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  • 1re Parution: 4 juin 2022

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L’assistance médicale à la procréation et l’entreprise : on fait le point.

La loi Bioéthique est enfin entrée en vigueur le 3 août 2021 (publication au journal officiel), après deux ans de débat parlementaire.

Elle permet notamment d’ouvrir l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) à tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée [1].

La parentalité en France s’en trouve bouleversée.

Bien que relevant principalement d’une question de droit de la famille, le recours accru à la PMA aura des conséquences en entreprise.

Le parcours PMA est long, exigeant et fatiguant, ayant un impact sur l’état de santé physique et moral des salariés, nécessitant de nombreuses absences au pied levé, pouvant perturber les relations de travail.
La gestion RH quotidienne en entreprise doit pourtant tenir compte des dispositions européennes et du Code du travail qui interdisent toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou encore de la situation de famille.
Les premiers concernés par ce chamboulement législatif seront donc les employeurs français à l’égard de leurs salariés plongés dans un parcours PMA, qui pourront être dorénavant beaucoup plus nombreux.

En effet, ne seront plus seulement concernés les couples infertiles ou les couples souhaitant éviter la transmission d’une maladie à leurs enfants, mais tout salarié ayant un projet parental et ne pouvant y accéder sans aide médicale.

Ces salariés se verront dorénavant appliquer toutes les dispositions favorables du Code du travail relatives à la discrimination, et aux absences liés au suivi d’un parcours de PMA.

La discrimination et le parcours PMA.

Pour rappel, et même si cela paraît évident, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 étend aux salariées bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation, la protection contre les discriminations liées à la grossesse [2].

Autrement dit, la salariée en parcours PMA n’est pas obligée d’informer son employeur, ni à l’embauche, ni en cours d’exécution du contrat, qu’elle bénéficie d’une assistance médicale à la procréation.

Si l’employeur en est informé, il ne doit pas prendre en considération le suivi d’un tel parcours pour refuser une embauche. Les pratiques des questionnaires d’embauche, contenant la question fatidique « êtes-vous enceinte ? » ou « êtes-vous en projet de grossesse ? » constituent évidemment des discriminations directes à l’embauche.

En cas de litige, c’est à l’employeur de communiquer au juge tous les éléments de nature à justifier sa décision de ne pas embaucher [3]. Le législateur a voulu ainsi renforcer tout particulièrement la protection de la femme enceinte et la protection de la femme en parcours PMA, en inversant la charge de la preuve.

Le suivi d’un parcours PMA ne peut pas non plus être pris en considération pour justifier le non-renouvellement ou la résiliation du contrat, les questions de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, ou de mutation.

En cas de litige sur ces points, la salariée présentera les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte fondée sur sa situation familiale. Là encore, ce sera alors à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination [4].

La violation de l’une quelconque de ces dispositions entraînera de lourdes sanctions pénales à l’égard des employeurs.

L’employeur qui a refusé d’embaucher, a sanctionné ou licencié une femme en raison de sa situation familiale (en l’occurrence ici en parcours PMA) est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans et d’une amende maximale de 45 000 € [5].

Les absences autorisées dans le cadre d’un parcours PMA.

Les employeurs ne sont pas suffisamment informés sur ces dispositions, encore méconnues en entreprise, mais pourtant en vigueur depuis 2016 : les femmes qui cherchent à concevoir un enfant dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation bénéficient d’une autorisation d’absences, afin de pouvoir se rendre aux examens organisés dans ce cadre [6].

Sont visés ici les examens et actes médicaux prévus par les articles L 2141-1 et suivants du Code de la santé publique à savoir notamment la stimulation ovarienne, l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, et le don de gamètes.

La durée de l’absence pour se rendre à ces examens médicaux inclut le temps de l’examen médical, mais également le temps du trajet aller et retour.

Les personnes mariées, liées par un Pacte civil de solidarité ou vivant maritalement (quel que soit leur sexe) avec une femme bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation bénéficient également d’une autorisation d’absence pour se rendre à trois des examens médicaux obligatoires ou des actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours d’assistance médicale au maximum [7].

Ces absences ne devront entraîner aucune diminution de la rémunération et devront être assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés, ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par la salariée au titre de son ancienneté dans l’entreprise.

A plus forte raison, les absences liées au suivi d’un parcours PMA ne devront avoir aucun impact sur le montant des indemnités versées en cas de rupture du contrat de travail, au même titre que le congé maternité ou paternité par exemple.

Les employeurs, ayant connaissance du suivi d’un tel parcours par l’un ou plusieurs de leurs salariés, devront donc être vigilants à ne pas commettre d’impair sur le terrain de la rémunération.

Toute la difficulté résidera finalement dans le fait que les employeurs ne seront pas toujours au courant de la situation de leurs salariés, lesquels voudront garder secret le parcours médical dans lequel ils sont entrés. Ils ne pourront pas faire valoir leurs droits officiellement, cette situation pouvant générer des tensions.

Pour éviter au maximum cette hypothèse, le dialogue, et la communication restent les outils majeurs de management en entreprise.
Il est également possible de négocier un accord d’entreprise ou de rédiger une décision unilatérale pour accorder des avantages supplémentaires à ces salariés, ou pour tout simplement encadrer ces problématiques et éviter les abus de toute part.

Il est important de vous référer à vos conventions collectives et accords de branche ayant potentiellement déjà prévu des dispositions spécifiques pour les salariés bénéficiant de ce parcours.

En résumé, il est conseillé aux employeurs d’être extrêmement vigilants face à de telles problématiques, touchant l’état de santé de leurs salariés et leur orientation sexuelle ; deux éléments de l’intime n’étant pas censés interférer avec le contrat de travail.

L’enjeu pour les entreprises est important : elles s’exposent évidemment à des sanctions civiles et pénales, mais elles devront également faire face au Tribunal de l’opinion, lequel est féroce depuis l’existence des réseaux sociaux. Le « Name and Shame » est aujourd’hui partout.

Liora BENHAMOU
Avocat en droit social/ Employment law attorney

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[1Article L2141-2 du Code de la santé publique.

[2C. trav., art. L. 1225-3-1.

[3C. trav., art. L. 1225-3.

[4C. trav., art. L. 1142-1 ; C. trav., art. L. 1144-1.

[5C. pén., art. 225-1.

[6C. trav., art. L. 1225-16.

[7C. trav. art. L 1225-16, al. 3.

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