Avocats et erreurs médicales : limite du risque permettant indemnisation par l’Oniam.

Par Dimitri Philopoulos, Avocat.

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Explorer : # erreur médicale # indemnisation # probabilité faible

La victime d’un accident médical et son avocat ne manqueront pas de remarquer un arrêt du 30 novembre 2021 du Conseil d’Etat qui précise le seuil exact de la probabilité faible en dessous duquel l’indemnisation est mise à la charge de l’ONIAM.

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La victime d’un accident médical non fautif grave et son avocat en droit de la santé connaissaient seulement de manière approximative le seuil de la probabilité faible ouvrant droit à l’indemnisation par l’Office nationale d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) car la jurisprudence n’avait pas encore fourni de chiffre exact.

La doctrine a soupconné une limite de 5% car la jurisprudence gravitait autour de ce chiffre mais on attendait la confirmation formelle [1].

Or, un arrêt du Conseil d’Etat du 30 novembre 2021, mentionné dans les tables du recueil Lebon, apporte cette confirmation.

Pour mémoire, les dispositions du II de l’article L1142-1 du Code de la santé publique précisent les conditions permettant l’indemnisation par l’ONIAM d’un accident médical non fautif grave :

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret...  ».

Suivant la jurisprudence du Conseil d’Etat, la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque « l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement. Lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible » [2].

Dans des termes identiques, la Cour de cassation a suivi cette approche par un arrêt rendu le 15 juin 2016 [3].

Encore faut-il rappeler que pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès [4].

En conséquence, ce n’est pas un risque d’ordre général mais le risque plus spécifique d’invalidité grave ou de décès ce qui change tout car ce risque spécifique est souvent beaucoup plus faible.

La Cour de cassation a également suivi cette solution par un arrêt rendu le 19 juin 2019 [5].

Ainsi selon la jurisprudence des deux ordres de juridiction, pour apprécier la condition d’anormalité du préjudice, il convient de rechercher tout d’abord si les conséquences de l’acte médical sont notablement plus graves que celles de l’évolution naturelle de la pathologie de la victime.

C’est seulement à défaut de pouvoir remplir cette condition qu’il faut déterminer si la survenance du dommage présente une probabilité faible [6].

Il restait néanmoins le problème du seuil exact de la probabilité faible.

Certes, il y avait des décisions permettant de cerner une fourchette dans laquelle se trouve ce seuil mais on ne connaissait pas la limite exacte.

Par exemple, le Conseil d’Etat a décidé que le risque de 3% traduit une probabilité faible ouvrant droit à la réparation des préjudices de la victime par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale [7].

Le Conseil d’Etat a ainsi augmenté le seuil de la probabilité faible par rapport à la jurisprudence de certains juges du fond. Par exemple, un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a décidé qu’un risque de 2% ne serait pas une probabilité faible [8].

De son côté, la Cour de cassation a décidé qu’un risque de paralysie de 6% à 8% n’est pas une probabilité faible [9].

On pourrait en déduire que la limite de la probabilité faible se trouve entre 4% et 6%.

L’arrêt rapporté du 30 novembre 2021 du Conseil d’Etat précise le chiffre exact [10].

Dans cette affaire, la victime a subi de graves séquelles invalidantes à la suite d’une intervention de chirurgie vasculaire (une endartériectomie).

En l’absence de faute du chirurgien, la victime a demandé réparation du préjudice subi sur le fondement du II de l’article L1142-1 du Code de la santé publique.

Les autres conditions de ce texte étant remplies (absence de faute, imputabilité directe à un acte de soins et niveau de gravité du préjudice), il restait à déterminer si les conséquences de l’accident médical étaient anormales au regard de l’état de santé de la victime comme de l’évolution prévisible de celui-ci.

En l’espèce, les conséquences de l’acte médical n’étaient pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement.

Pour cette raison, il fallait déterminer si dans les conditions où l’acte a été accompli la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Sur ce point le Conseil d’Etat décide : « En retenant qu’une telle probabilité, qui, appréciée dans les conditions rappelées au point précédent, n’était pas inférieure ou égale à 5%, ne présentait pas le caractère d’une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale, la cour administrative d’appel n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique ».

Dans ces termes, le Conseil d’Etat dévoile enfin le seuil exact de la probabilité faible qui est de 5% ce qui confirme les soupçons de la doctrine.

Ce chiffre traduit la limite supérieure de la probabilité faible qui ouvre droit à l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale.

En raison de l’harmonisation de la jurisprudence des deux ordres de juridiction en matière de droit de la santé, il est probable que la Cour de cassation adopte cette limite.

Il n’est pas sans intérêt de noter que la pratique médicale utilise le même seuil de 5% pour déterminer si le résultat d’une étude est « statistiquement significatif ». Autrement dit, il y a un risque de 5% qu’un résultat d’une étude médicale soit en réalité la conséquence d’une simple erreur d’échantillonnage et non pas, par exemple, un effet réel d’un traitement.

A l’origine, cette convention fut adoptée en 1925 par un des fondateurs de la statistique moderne puisqu’il considéra un risque d’erreur d’échantillonnage de 5% (1 sur 20) comme faible au regard des applications habituelles de la statistique [11]. Ce seuil de 5% est toujours utilisé aujourd’hui par la vaste majorité des études médicales.

La probabilité considérée comme faible par le Conseil d’Etat est donc similaire au risque d’erreur considéré comme faible par la statistique médicale.

Selon l’arrêt rapporté, la probabilité faible relève d’une qualification juridique soumise au contrôle de la Haute juridiction administrative.

Le Conseil d’Etat précise aussi que l’appréciation de la probabilité peut tenir compte de l’influence de l’état initial du patient.

L’arrêt du Conseil d’Etat est important car il permet à la victime d’un accident médical non fautif grave de bien connaître à l’avance les chances de succès d’une action en justice fondée sur les dispositions du II de l’article L1142-1 du Code de la santé publique.

En effet, avant toute procédure, l’avocat spécialiste des erreurs médicales et son médecin conseil peuvent déterminer si la survenance du dommage présente une probabilité inférieure ou égale à 5%.

Dans l’affirmative, les chances de succès d’une action fondée sur le II de l’article L1142-1 du Code de la santé publique sont élevées.

L’avocat et la victime peuvent se servir des données des sociétés savantes pour trouver cette estimation des risques.

Par exemple, pour le cas d’un accident médical non fautif consécutif à une anesthésie générale, l’avocat peut consulter les publications de la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR). Pour le cas d’un accident médical survenu pendant l’accouchement et la naissance, il convient de consulter celles du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). De manière générale, les publications de la Haute autorité de santé (HAS) peuvent être utiles.

Naturellement, des études individuelles peuvent aussi être consultées. A cet égard, il existe un grand nombre de modèles prédictifs validés qui permettent d’estimer la probabilité de différents résultats cliniques y compris ceux qui sont négatifs tels qu’un dommage corporel.

Il convient de rappeler qu’il s’agit d’une estimation pour un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès.

A cet égard, l’avocat doit vérifier que la mission d’expertise proposée au juge contient cette précision puisque le risque global de l’événement (tous préjudices confondus) est souvent nettement supérieur.

Cette vérification de l’avocat doit aussi intervenir après l’envoi du pré-rapport d’expertise. En cas de besoin, le dire de l’avocat demandera à l’expert de rectifier son estimation globale pour le risque spécifique d’une invalidité grave ou d’un décès.

Pour apprécier ce point, on notera que la Cour de cassation a rappelé dans une affaire que le risque général d’un accident médical non fautif était de 20% mais que ceci baisse à 1% pour le risque spécifique d’une invalidité grave ou d’un décès [12].

On voit bien l’importance de cette distinction pour permettre l’indemnisation de la victime d’un accident médical non fautif grave.

Quant à l’influence de l’état de santé initial du patient, l’avocat en droit médical doit vérifier que toute prétendue influence soit directe et certaine et non pas purement hypothétique.

En cas de simples hypothèses, l’avocat peut demander à l’expert par voie de dire de préciser pour le juge les études sur lesquelles il se base pour affirmer que l’état initial de la victime aurait joué un rôle dans la survenance du dommage.

Par suite, l’avocat peut verser ces études aux débats devant le juge qui n’est pas lié par l’avis de l’expert.

Par exemple, au vu des études, le magistrat pourrait constater que le lien causal entre l’état initial de la victime et le préjudice n’est pas clairement établi selon les données acquises de la science médicale si bien que ce lien serait purement hypothétique sans incidence juridique sur la probabilité du risque finalement réalisé.

Au total, l’arrêt rapporté du Conseil d’Etat apporte de la clarté à la notion exacte de probabilité faible pour l’appréciation de la condition d’anormalité du préjudice du II de l’article L1142-1 du Code de la santé publique. Dès lors que cette probabilité est inférieure ou égale à 5%, la condition de l’anormalité du préjudice est remplie ouvrant droit à l’indemnisation d’un accident médical non fautif grave par l’ONIAM.

Dimitri PHILOPOULOS
Avocat à la Cour de Paris
Docteur en médecine
https://dimitriphilopoulos.com

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Notes de l'article:

[1Bertrand Debono, Carole Gerson, Thierry Houselstein, Lynda Lettat-Ouatah, Renaud Bougeard, Nicolas Lonjon. Litigations following spinal neurosurgery in France. Neurosurg Focus. 2020 Nov ;49(5):E11.

[2CE 5e/4e SSR 12 déc. 2014, n° 355052.

[3Civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824

[4CE 5e/6e CR 15 oct. 2018, n° 409585.

[5Civ. 1e, 19 juin 2019, n° 18-20883.

[6CE 5e/4e SSR 12 déc. 2014, n° 355052.

[7CE 5e/6e CR, 04 février 2019, n° 413247

[8CAA Bordeaux, 1e février 2016, n° 15BX03104.

[9Cass. civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824.

[10CE 5e/6e CR 30 nov. 2021, n° 443922.

[11Fisher, Ronald A. (1925) Statistical Methods for Research Workers (1e ed.), Edinburgh : Oliver & Boyd.

[12Civ. 1e, 19 juin 2019, n° 18-20883.

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