Bénéficier des subventions FEDER implique le respect de la procédure de passation des marchés publics.

Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.

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Explorer : # marchés publics # subventions européennes # compétitivité des pme # procédure administrative

Condamnation d’un acheteur public à reverser des sommes perçues au titre d’une subvention « FEDER » en raison du non-respect de la procédure de passation des marchés publics.
CAA Nantes, 4 janvier 2019, req. n°17NT03956

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En l’espèce, dans le cadre du programme opérationnel du Fonds européen de développement régional (FEDER), la Chambre de commerce et d’industrie de la région des Pays de la Loire (CCIR) a été choisie par l’Etat et la région des Pays de la Loire pour piloter le « Dispositif Dinamic » consistant à permettre aux entreprise relevant de la catégorie des petites et moyennes entreprises de bénéficier, sur une période de neuf mois et à leur demande, de prestations de conseils et de formations dans le but d’améliorer leur compétitivité sur le territoire régional. En contrepartie de l’exécution de sa mission et conformément à la convention conclue avec l’Etat, la CCIR devait bénéficier d’une « aide financière » au titre du FEDER, matérialisée par le versement de plusieurs acomptes puis du solde. Après avoir perçu des acomptes d’un montant total de 1 048 506,64 euros, la CCIR a sollicité le Préfet de la région aux fins d’obtenir le versement du solde, soit la somme de 542.810,36 euros.

Après avoir procédé au contrôle de l’éligibilité des dépenses au FEDER, le Préfet de la région des Pays de la Loire a rejeté la demande de la CCIR aux motifs que les contrats conclus par cette dernière avec les organismes chargés de l’exécution des prestations de conseils et de formations n’avaient pas respecté les dispositions du Code des marchés publics. Par un arrêté du 18 février 2016, le Préfet a ordonné le reversement de la somme de 922 713,41 euros représentant le montant versé à titre d’acompte correspondant à des dépenses non éligibles. A la suite de cet arrêté, la Direction générale des finances publiques a émis un titre de perception en vue d’obtenir le reversement de la somme.

La CCIR a saisi le Tribunal administratif de Nantes aux fins d’obtenir le versement du solde du montant de l’aide « FEDER », l’annulation de l’arrêté du 18 février 2016 et du titre exécutoire mettant à sa charge la somme de 922.713,41 euros et la décharge de l’obligation de payer cette somme. Par un jugement en date du 20 octobre 2017, le Tribunal a rejeté sa demande.

Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Nantes devait se prononcer sur la question de savoir si les contrats conclus par la CCIR avec les organismes de conseils et de formations, en exécution des contrats de mandat conclus entre la CCIR et les entreprises devant bénéficier de ces prestations, étaient soumis au Code des marchés publics.

Pour rejeter l’appel interjeté contre le jugement et confirmer le jugement de première instance, la Cour a procédé en trois temps.

1.- Préalablement, et sans surprise, la Cour a rappelé que le titre exécutoire ne relevait pas du champ d’application de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et que par suite, le moyen tiré de la violation de l’article 3 de ladite loi (aujourd’hui codifié à l’article L. 211-5 du Code des relations entre le public et l’administration) était inopérant. La Cour s’est ensuite intéressée à la motivation en tant que telle du titre exécutoire, imposée à l’article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Pour rappel, cet article dispose que « Toute créance liquidée faisant l’objet d’une déclaration ou d’un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation ». Erigée en principe général du droit (CE, 11 janvier 2006, n°272216l), la motivation des titres exécutoires est soumise à une appréciation stricte. Ainsi, l’indication des bases de la liquidation constitue une formalité substantielle dont l’absence est de nature à entacher d’irrégularité le titre exécutoire (CE, 28 octobre 2002, req. n°225604). Une motivation imprécise entraîne l’illégalité du titre (CAA Nancy, 13 février 1997, req. n°94NC00077 ; CE, 25 septembre 2009, req. n°301909). Comme l’a rappelé elle-même la Cour, pour être légal, un titre exécutoire doit comporter la mention précise des bases de liquidation des sommes exigées, si ces bases n’ont pas été préalablement portées à la connaissance de celui-ci ou si ces éléments n’ont pas été précisés dans un document annexé au titre exécutoire [1]. En l’espèce, la Cour a relevé que le titre exécutoire « indiquait l’ordonnateur, le redevable, le montant à percevoir soit la somme de 922.713,41 euros et mentionnait comme objet que "la Chambre de Commerce et d’Industrie de Région était redevable de la somme de 922 713,41 euros par application de l’arrêté préfectoral 2016/Feder/19 du 18/02/2016 concernant l’opération "Dinamic Entreprises - engagement d’entreprises de janvier 2010 à décembre 2011" au motif suivant "Rapport définitif de contrôle de la GICC en date du 27/11/2014 trop perçu et reversement à ce titre somme versée : 1.048.506,64 euros somme due : 125.793,23 euros trop perçu : 922.713,41 euros ».
Selon la Cour, ces mentions étaient conformes à l’article 24 du décret précité qui n’imposait pas l’indication des recours effectués par le débiteur à l’encontre de la décision de l’ordonnateur fondant l’ordre de reversement.

2.- La Cour administrative d’appel de Nantes a rappelé que la CCIR devait, au préalable, conclure un contrat de mandat avec chacune des entreprises bénéficiaires du dispositif, puis, choisir pour celles-ci, les organismes de conseils et de formations chargés d’assurer ces tâches auprès des entreprises. Elle a relevé que chacun des contrats conclus entre la CCIR et ces prestataires l’avaient été en exécution des conventions de mandat conclus avec chacune des entreprises – n’ayant pas la qualité de pouvoirs adjudicateurs - devant bénéficier de ces prestations. Elle en a déduit que ces contrats avaient été conclus au nom et pour le compte de ces dernières et pour leurs besoins propres. Ceci aurait dû conduire la Cour à annuler le jugement.

3.- Mais la Cour ne s’est pas arrêtée à ce seul constat. Elle s’est intéressée, dans un second temps, à la mission poursuivie par la CCIR. Plus précisément, elle a relevé que si les entreprises étaient les premières bénéficiaires de ces contrats, la CCIR les avait conclus en vue de satisfaire la mission globale qui lui avait été confiée dans le cadre de l’exécution de la convention signée avec l’Etat, à savoir le pilotage et la coordination d’un programme de développement économique destiné à renforcer la compétitivité des entreprises situées sur le territoire régional, l’obligation de signer chaque année, avec les financeurs, un contrat d’objectif en vue de la mise en œuvre du « Dispositif Dinamic » auprès d’un nombre donné d’entreprises et dans un délai déterminé. En exécution de sa mission, la CCIR devait bénéficier, sous la forme de subventions, d’une aide financière. Plus précisément, la Cour a relevé qu’il ressort « du cahier des charges de la "structure Dinamic", que la CCIR des Pays de la Loire n’agissait pas seulement en qualité de mandataire des entreprises bénéficiant des prestations, mais devait, notamment en application de l’article 3.1, "assurer le pilotage et la coordination des actions nécessaires à la réussite des programmes", qu’elle devait signer, chaque année, avec les financeurs, un contrat d’objectif en vue de la mise en oeuvre du "dispositif Dinamic" auprès d’un nombre donné d’entreprises et dans un délai déterminé et qu’elle devait bénéficier, sous la forme de subventions, d’une aide financière au titre de l’exécution de ces missions financées par la conclusion, le 21 mars 2012, de la convention Feder signée avec le représentant de l’Etat ».
La Cour en a donc conclu que la CCIR n’avait pas uniquement agi en qualité de mandataire de ces entreprises mais qu’elle avait agi pour la satisfaction de ses besoins.

Elle en a conclu que les contrats passés avec les prestataires de conseil devaient être regardés comme ayant été conclus dans le cadre d’un ensemble contractuel ayant notamment pour objet de répondre aux besoins de la CCIR en matière de services au sens des dispositions de l’article 1er du code des marchés publics, et que par suite, la passation de ces contrats aurait dû être soumise conformément aux règles de la commande publique.

La Cour a donc rejeté l’appel interjeté par la CCIR et confirmé le jugement de première instance.

« Sur les conclusions à fin d’annulation :
4. En premier lieu, la CCIR n’apporte aucun élément nouveau à l’appui de ses moyens fondé sur le défaut de motivation de l’arrêté du 18 février 2016 du préfet de la région des Pays de la Loire et sur le non respect de la procédure contradictoire avant son édiction. Par suite, il y a lieu d’adopter les motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 11 à 13 du jugement attaqué et d’écarter ces moyens.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Toute créance liquidée faisant l’objet d’une déclaration ou d’un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation". Tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l’état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.

6. Le titre de recette exécutoire du 2 juin 2016, qui correspond à la récupération du trop-perçu versé à titre d’acompte à la CCIR, indique l’ordonnateur, le redevable, le montant à percevoir soit la somme de 922.713,41 euros et mentionne comme objet que "la Chambre de Commerce et d’Industrie de Région est redevable de la somme de 922.713,41 euros par application de l’arrêté préfectoral 2016/Feder/19 du 18/02/2016 concernant l’opération " Dinamic Entreprises - engagement d’entreprises de janvier 2010 à décembre 2011 " au motif suivant " Rapport définitif de contrôle de la GICC en date du 27/11/2014 trop perçu et reversement à ce titre somme versée : 1.048.506,64 euros somme due : 125.793,23 euros trop perçu : 922.713,41 euros". Ainsi, il satisfait aux exigences de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012, qui n’impose pas l’indication des recours effectués par le débiteur à l’encontre de la décision de l’ordonnateur fondant l’ordre de reversement.

7. En troisième lieu, le préfet de la région Pays de la Loire a indiqué, dans le courrier adressé le 3 février 2015, auquel était effectivement joint le rapport définitif de contrôle de la commission interministérielle de coordination des contrôles, qu’au terme de la procédure contradictoire menée entre l’unité de contrôle, le service instructeur et la CCIR, il avait décidé, en tant qu’autorité de gestion du programme opérationnel Feder, de retirer les dépenses rejetées par les contrôleurs à hauteur de 3.070.851, 19 euros, d’émettre un arrêté de trop perçu pour récupérer les sommes indûment versées à hauteur de 922.713,41 euros et de retirer de la demande de solde les dépenses de même nature que celles rejetées en application de cette décision. Il ressort ainsi des termes mêmes de cette décision que le préfet de la région des Pays de la Loire a apprécié l’éligibilité des dépenses dont la CCIR demandait le remboursement au dispositif Feder. Il s’en suit que le moyen tiré de ce que le préfet de la région Pays de la Loire n’aurait pas exercé sa compétence doit être écarté.

8. En quatrième lieu, dans le cadre du parcours Dinamic, la CCIR devait, dans un premier temps, conclure un contrat de mandat avec les entreprises bénéficiaire du dispositif, puis, dans un second temps, choisir pour celles-ci les organismes de conseils et de formation chargés d’assurer ces tâches auprès des entreprises. Ainsi, chacun des contrats conclus entre la CCIR des Pays de la Loire et les prestataires de conseil l’ont été en exécution des conventions de mandat conclus entre chacune des entreprises devant bénéficier de ces prestations, qui n’ont pas la qualité de pouvoirs adjudicateurs, et l’établissement requérant et, par suite, au nom et pour le compte de ces dernières et pour leurs besoins propres. Toutefois, il résulte également de l’instruction que la CCIR a conclu ces mêmes contrats en vue de remplir un besoin qui découle de la mission d’intérêt général qui lui a été confiée dans le cadre de l’exécution du contrat de subvention, financé par le Feder, à savoir le pilotage et la coordination d’un programme de développement économique destiné à renforcer la compétitivité des entreprises situées sur le territoire régional. En particulier, il résulte du cahier des charges de la " structure Dinamic ", que la CCIR des Pays de la Loire n’agit pas seulement en qualité de mandataire des entreprises bénéficiant des prestations, mais doit, notamment en application de l’article 3.1, "assurer le pilotage et la coordination des actions nécessaires à la réussite des programmes", qu’elle doit signer, chaque année, avec les financeurs, un contrat d’objectif en vue de la mise en oeuvre du "dispositif Dinamic" auprès d’un nombre donné d’entreprises et dans un délai déterminé et qu’elle doit bénéficier, sous la forme de subventions, d’une aide financière au titre de l’exécution de ces missions financées par la conclusion, le 21 mars 2012, de la convention Feder signée avec le représentant de l’Etat. Dans ces conditions, les contrats passés avec les prestataires de conseil par la CCIR doivent être regardés comme conclus dans le cadre d’un ensemble contractuel ayant notamment pour objet de répondre aux besoins de cette dernière en matière de services au sens des dispositions de l’article 1er du code des marchés publics. Il en résulte que le préfet de la région des Pays de la Loire a pu à bon droit estimer que la passation de ces contrats aurait dû être soumise aux règles de ce code.

Anne-Margaux HALPERN
Avocat - Cabinet ATMOS

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Notes de l'article:

[1CAA Nantes, 30 décembre 2014, req. n°14NT00713 ; CE, 21 mars 2012, req. n°308601 ; CAA Bordeaux, 14 mars 2006, req. n°03BX00783 ; CAA Bordeaux, 22 mars 2011, req. n10BX02259 ; CAA Bordeaux, 7 juin 2012, req. n°11BX00133.

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