Brève considération sur l’imbroglio constitutionnel actuel.

Par Raphael Piastra, Maître de Conférences.

815 lectures 1re Parution: 3  /5

Explorer : # crise politique # constitution française # gouvernement # président de la république

C’est donc ce 16 juillet 2024 que le président Macron a finalement accepté la démission du gouvernement Attal. Depuis les législatives, ce dernier, contrairement à ce qui est affirmé çà et là notamment par certains collègues, le gouvernement continuait sa tâche qui est celle de gouverner sous la houlette du Premier ministre.
Anaylse de la situation constitutionnelle actuelle.

-

Preuve en est la tenue du dernier conseil des ministres du 15 juillet. Alors il est certain que la tâche ministérielle était quelque peu allégée du fait de l’absence de majorité. Il expédiait ce qu’on appelle « les affaires courantes ». Mais, pour en avoir discuté avec un haut fonctionnaire ministériel, la vie administrative, technicienne pourrait-on dire, avait toujours cours mais de façon ralentie. Ainsi les contreseings étaient apposés sur les décrets de l’Elysée et de Matignon, les ministres signaient les décrets d’exécution des lois (immigration par ex). Comme nous l’a dit ce haut fonctionnaire, les ministres devaient aussi rester prêts à pallier à toute crise.

Bien entendu, dans les cabinets ministériels les cartons de déménagement commençaient à s’amonceler. Et la grande question était de replacer les principaux membres desdits cabinets (directeur, chef par ex). Les conseillers et autres chargés de mission dans leur grande majorité devaient, quant à eux, s’attendre à connaitre les « joies » de France Travail. Mais des ministres partants se sont déjà trouvés en quête d’un emploi. En général avec les réseaux tissés et les carnets d’adresses ce n’est souvent qu’une affaire de quelques semaines. Comme nous le confiait un ancien ministre, « le temps de se reposer de fonctions très prenantes ».

L’autre grande question était de savoir quand le chef de l’Etat allait accepter la démission du Gouvernement. On lit et écoute çà et là que ce dernier met trop de temps à donner un gouvernement à la France. De façon incontestable, le président est « le maitre des horloges ». Aucun délai ne lui est fixé par la Constitution. Comme cela a toujours été le cas depuis 1958. Selon le contexte cela peut être rapide ou alors plus long. Ainsi en 1962, de Gaulle accepte la démission de Pompidou suite à la censure et le renomme dans la même journée. En 1981, Mitterrand et Mauroy mettent plus de 15 jours à nommer le gouvernement. E. Macron lui-même, réélu le 24 Avril 2022, attendra le 16 Mai pour nommer E. Borne. Soit plus de trois semaines.

Ce n’est pas tout à fait « le fait du Prince » mais pas loin finalement.

Un problème qui est en suspens c’est le fait que 18 ministres démissionnaires ont été élus députés. Le fait qu’ils ne soient plus au gouvernement consacre tout simplement qu’ils n’ont plus aucune existence exécutive. Notre collègue B. Morel parle de « zombies » juridiques. C’est un peu fort mais pas complétement faux. Et même après leur élection et alors qu’ils étaient encore ministres (démission non acceptée par le président), l’art. 23 al 1 et 2 de la Constitution leur permettait tout à fait de « cumuler ».

Citons le texte de référence ici : « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle ;
Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois (…)
 ».

La loi organique en question fixe à un mois le choix que doit faire le ministre. Nous avons donc été tout à fait dans les temps.

Ce qui est important de préciser c’est que, nonobstant l’emballement médiatico-politique, il n’y a eu nullement vacuité gouvernementale. En effet une veille juridique est assurée par un organe essentiel dans la vie administrative de l’Etat : le Secrétariat Général du Gouvernement. Peu connu des non-initiés, il est un organe administratif qui relève du Premier ministre. Il assure la continuité du travail gouvernemental, organise le travail de celui-ci et conseille juridiquement le Gouvernement. Ce SGG travaille d’ailleurs en étroite collaboration avec un autre organe élyséen aussi méconnu : le Secrétariat Général de l’Elysée (ou de la Présidence de la République).

Ce dernier coordonne le travail de l’équipe présidentielle, prépare le conseil des ministres, conseille le président, veille sur les domaines réservés du P.R (défense et affaires étrangères). Et il gère les affaires privées du président. Enfin il est l’interface entre le chef de l’Etat et l’extérieur du palais.

Que l’on ne se méprenne pas, malgré les cris d’orfraies de certaines et certains, l’Etat est gardé. S’il existe un « bourbier » à l’AN pour reprendre les termes de Mme Le Pen, ce n’est nullement le cas au niveau gouvernemental. D’abord le président de la République, malgré cette dissolution manquée, est à la tâche, avec les missions de l’art 5 C et les pouvoirs constitutionnels que lui aménage l’art 19 C (seulement amputé pour encore dix mois de la dissolution) et élu qu’on le veuille ou non jusqu’en 2027. Les scénarii autour de son éventuelle démission définitive ou conditionnelle à une nouvelle candidature ne sont à ce stade que des arguties juridiques. Comme tous ses prédécesseurs, E. Macron sait pouvoir s’appuyer sur le SGE (et son proche et influent secrétaire A. Kholer) lequel est en connexion permanente avec le SGG (dirigée par la conseillère d’Etat, Claire Landais, non moins influente).

Bien sûr depuis un certain temps, plus de lois votées, ni de décrets importants pris.

Mais ne faut-il pas aussi « laisser du temps au temps » comme le disait Mitterrand ?

Les hauts fonctionnaires, techniciens voire technocrates (que nous vilipendons parfois !) connaissent très bien les rouages et arcanes de l’Etat.

Une fois le président de l’AN élu, E. Macron enchainera sur la nomination du locataire ou de la locataire de Matignon. Et puis ce sera la nomination du gouvernement. On a narré récemment dans ces colonnes ce qu’il en était. Il est clair que ce ne sera pas une sinécure ! En effet trois blocs, dont certains se fissurent, se disputeront une majorité illusoire. Ils ont déjà commencé, donnant parfois une image assez calamiteuse de la politique. Les partis négocient âprement. Dans l’arrière-cour élyséenne c’est aussi le cas.

Ne croyons pas un seul instant que ces gens-là ne se contactent pas. Les émissaires vont et viennent. Les coups de fil s’enchainent. L’heure est trop tendue pour qu’il n’en soit pas ainsi. Nous rappelons ici ce que nous disait Charasse, « dans ces cas-là, c’est le trop-plein ! »

Il est une phrase de Bossuet qui sonne particulièrement bien depuis quelques temps : « Le gouvernement est un ouvrage de raison et d’intelligence ».

Il faut donc souhaiter cela au président de la République et au futur locataire de Matignon. Ensuite, et puisqu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée, il y aura de façon certaine des gouvernements qui ne tiendront pas longtemps emportés par des censures. Sous la IVᵉ, on parlait de « valse des gouvernements ». Ca risque d’être un peu cela. En somme du mouvement à l’Assemblée, de la permanence à l’Elysée et au Sénat. Comme si la République était appelée à marcher sur deux jambes. Il y aura aussi des majorités de circonstances sur des textes importants. Avec, on ne sait jamais, des alliances inédites.

Tout cela fonctionnera, parfois cahin-caha, car le Vᵉ République a des réserves et a déjà fait preuve de sa grande adaptabilité face aux situations de crise. Ainsi décolonisation, mai 68, mort d’un président en fonction en 1974, alternance de 1981, cohabitations, covid sont autant d’exemples de sa solidité.

Rappelons aussi ce que disait le général de Gaulle dans sa célèbre conférence de presse de 1964 : « Une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ».

Les institutions sont solides et fiables. Quant à l’esprit et la pratique de ceux qui gouvernent, on citera J. de Maistre : « toute nation a le gouvernement qu’elle mérite ».

Chacun aura remarqué que dès que cela ne va pas, la Constitution de 1958 est critiquée. Il faut la réviser pour les uns (elle l’a été 24 fois), la remplacer pour les autres (pour faire quoi ?). En cette année où l’on célèbre les cinquante ans de la mort de G. Pompidou, qu’il nous soit permis de rappeler cette phrase qui résume tout selon nous :

« Notre système, précisément parce qu’il est bâtard, est peut-être plus souple qu’un système logique. Les "corniauds" sont souvent plus intelligents que les chiens de race ».

Raphael Piastra, Maître de Conférences en droit public des universités.

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27886 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs