Cahiers des charges des lotissements : quand la loi ELAN réduit à néant les tentatives hasardeuses de la loi ALUR.

Par Jérôme Nalet, Avocat.

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Explorer : # cahiers des charges # loi elan # urbanisme # liberté contractuelle

Les difficultés d’application insurmontables posées par les dispositions de l’article L 442-9 du code de l’urbanisme telles qu’issues de la loi ALUR, ainsi d’ailleurs que l’inflexibilité de la Cour de Cassation, ont abouti à un amendement de la loi ELAN qui confirme au moins implicitement la force obligatoire des cahiers des charges des lotissements dans leur globalité.

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Le 8 mars 2017, à propos des cahiers des charges des lotissements, j’avais publié sur le présent site un article sur ce que j’appelais la position « anti-ALUR » de la Cour de Cassation. J’y exposais en particulier les modifications apportées par la loi ALUR du 24 mars 2014 à l’article L 442-9 du code de l’urbanisme ainsi que les très probables difficultés d’application du nouveau texte, au regard notamment d’une complexité rédactionnelle sans bornes et de l’intransigeance de la Cour de Cassation, qui n’a cessé de réaffirmer la valeur contractuelle des cahiers des charges des lotissements, quelles que soient leurs dates, approuvés ou non, pour la totalité de leurs stipulations. J’y voyais pour ma part une certaine logique, la nécessité de construire davantage ne pouvant se faire au mépris d’autres impératifs, comme la force obligatoire du contrat et le respect du droit de propriété.

Depuis lors, la Cour de Cassation avait maintenu sa position (voir par exemple les arrêts de la 3ème chambre civile des 9 mars 2017, n°16-13085, 15 juin 2017, n°15-24776 et 14 septembre 2017, n°16-21329). En outre, le malaise du Législateur était palpable : l’article L442-9 nouvelle formule exigeait un décret, lequel devait normalement préciser les modalités de publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier des cahiers des charges (rappelons que la loi ALUR prévoyait, faute pour un cahier des charges d’avoir fait l’objet de cette publication, que ses dispositions non réglementaires « ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage de la destination de l’immeuble », cesseraient de produire leurs effets dans les cinq ans de la promulgation de la loi, soit au 26 mars 2019). Or, ce fameux décret n’était jamais paru… Comment, d’ailleurs, ne pas comprendre ce malaise ? En effet, avant ALUR, il était déjà compliqué de distinguer la règle d’urbanisme mentionnée à l’alinéa 1 du texte des « droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement » (son alinéa 3).

La loi ELAN (portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), dont la promulgation est imminente, tire les conséquences de cette situation pour le moins délicate. Son article 47 supprime donc les trois derniers alinéas de l’article L442-9 du code de l’urbanisme, mettant à néant ce que la loi ALUR avait tenté de mettre en place. L’amendement adopté par les sénateurs invoquait précisément la "fragilité constitutionnelle [de ces alinéas] au regard du principe de liberté contractuelle, en particulier du droit au maintien des conventions légalement formées".

Les cahiers des charges des lotissements conservent par conséquent leur force obligatoire sans plus de discussion possible. Et, chat échaudé craignant l’eau froide, on peut penser qu’une nouvelle tentative du Législateur dans le sens d’une fragilisation des cahiers des charges des lotissements ne surviendra pas de sitôt…

Jérôme Nalet
Spécialiste en Droit Immobilier
Avocat Associé au sein de la SELARL FEUGAS AVOCATS
http://www.nalet-avocat.com/
http://www.feugas-avocats.com/
https://aslinfoblog.wordpress.com/

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Discussions en cours :

  • Bonjour,
    il semble que certaines collectivités locales, conseils juridiques ou juridictions considèrent que la modification de l’article 442-9 du code de l’urbanisme par la loi ELAN ne peut pas concerner les cahiers des charges ou réglements de lotissement dont tout ou partie des éléments communs ont été acquis par la collectivité publique.
    Dès lors l’autorité administrative peut modifier,unilatéralement la destination de ces parties communes (principalement espaces verts, puisque en général, les voiries ou dessertes d’un lotissement ont été acquises par la collectivité et sont devenues voirie publique)
    Un arrêt de la CAA BORDEAUX du 2 février 2023 n°21 BX00781 confirme cette position juridique.en totale opposition avec ce que j’avais pu interpréter des modifications ’’ELAN’’, et de la lecture de vos articles.Ce qui qui me rend dubitatif.
    Que pensez-vous de cette décision ?Est-ce que je l’ai mal lue ?
    Magistrat honoraire depuis quelques années, j’ai sans doute perdu quelques facultés de raisonnement !!

  • Dernière réponse : 4 avril 2019 à 18:32
    par VINCENS DE TAPOL , Le 4 avril 2019 à 16:12

    Bonjour cher Maître,

    Votre article est parfaitement synthétique.

    La Cour de cassation s’est illustrée entre-temps en acceptant de reconnaître le caractère contractuel d’anciens règlements de lotissement (en le déduisant de l’adhésion automatique à une ASL dont l’objet serait le respect du règlement, ou des énonciations du règlement lui-même sous la forme "le présent règlement devra être porté à la connaissance de chaque acquéreur...et reproduit dans chaque acte de vente....") ainsi requalifiés de cahiers des charges.

    Dès lors, nous voici contraints dans certains lotissement de faire voter aux ASL des résolutions à la majorité de l’article L315-13 reprise à l’article L442-10 pour faire reconnaître le caractère non contractuel de ces règlements ou alors qu’ils ne sont que des règlements simplement périmés et ne pourront être requalifiés en cahier des charges.

    La situation qui était claire cahier des charges=valides/règlements= généralement périmés s’est effondrée et la stabilité juridique des contrats affectée.

    Nous nous pencherons bientôt sur un nouvel article indiquant que les règlements ne peuvent acquérir le caractère de documents privés ?

    Les débats ne sont donc pas terminés.

    Mdt notaire

    • par Jérôme NALET , Le 4 avril 2019 à 18:32

      Mon Cher Maître,

      C’est avec grand plaisir que je discuterai avec vous de vive voix de cette épineuse question. Je tâcherai de vous joindre.

      Bien cordialement,

      JN

  • Dernière réponse : 5 mars 2019 à 15:50
    par BERNARD , Le 5 mars 2019 à 13:50

    Votre article permet d’y voir plus clair et pour nous , de mieux faire face à une administration qui invoque les textes qui l’arrangent . C’est très important d’être informé. "Qui a l’information a le pouvoir " ! Merci encore .
    B. F.

    • par Jérôme NALET , Le 5 mars 2019 à 15:50

      Merci pour ce retour positif.

      Bien cordialement,

      JN

  • Bonjour Maître,
    Merci de votre article très clair, et comme de coutume très bien documenté.
    J’avais pris la liberté de vous contacter voici un peu plus d’un an en qualité d"animateur" d’un petit collectif de copropriétaires essayant de s’opposer à l’appétit d’un promoteur immobilier.
    Vous m’avez encouragé à poursuivre notre action, compte tenu de la jurisprudence qui semblait se dessiner, et des incohérences manifestes de la loi ALUR. Nous avons eu finalement gain de cause et découragé le promoteur, ce dont je vous remercie vivement.
    Je m’apprêtais à relancer mes voisins et à faire à nouveau enregistrer notre cahier des charges par le service de la Publicité Fonciére quand j’ai découvert, non sans plaisir, que l’article L 442-9 du CU avait été récemment modifié, pérennisant ainsi le cahier des charges sans autre formalité.
    Bonne nouvelle donc, et encore un grand merci !
    P. Pujol
    La Rochelle

    • par Jérôme NALET , Le 5 mars 2019 à 15:51

      Cher Monsieur,

      Vous me voyez ravi de ces nouvelles.

      Bien cordialement,

      JN

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