Après les commentaires de l’ensemble des réponses à notre enquête publiés ici fin juin, voici une chronique portant spécifiquement sur les réponses des avocats.
Comme précédemment 2 remarques préalables :
les chiffres résultent de réponses volontaires à un questionnaire : il existe sans doute un biais de déclaration, difficile à apprécier.
il s’agit d’enquête d’opinion : la réalité est peut-être différente, mais il faut compter avec le vécu.
Quelques commentaires parmi les plus topiques sont repris en fin d’analyse.
Les avocats (individuels ou associés) et les collaborateurs d’avocats (collaborateurs au sens strict et avocats salariés) ont été les professionnels les plus nombreux à répondre après les juristes d’entreprise : ils représentent près de 37 % des réponses.
L’ancienneté moyenne dans la profession des répondants s’élevait à presque 10 ans, avec une plus grande ancienneté pour les avocats (11 ans) que pour les collaborateurs (6 ans).
1 - Les réponses aux 21 questions faisant l’objet de l’enquête
Les réponses doivent être analysées à 2 niveaux : en elles-mêmes, sur ce qu’elles disent du vécu des avocats, et par rapport aux réponses de l’ensemble des professionnels du droit.
Vous sentez-vous stressé dans votre métier ?
89% des répondants se sentent stressés dans leur métier (toujours 31% et souvent 58%), ce qui est considérable. Les avocats non collaborateurs le sont encore plus : 90%.
En comparaison, l’ensemble des professionnels du droit ne le sont qu’à 76% (toujours et souvent), ce qui est quand même beaucoup.
Si les résultats peuvent être reçus in abstracto, il est très difficile de mettre en place une comparaison avec l’ensemble des professionnels, ou avec d’autres métiers.
Selon les sources documentaires disponibles les plus récentes, en France, plus de 50% des salariés déclarent éprouver du stress au travail (enquête Opinion Way, Octobre 2009).
Au niveau européen, 27% des salariés estiment que leur santé est affectée par des problèmes de stress au travail (Enquête ESENER de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail Eurofound, Dublin).
Peut-on en inférer que les juristes sont particulièrement stressés ? C’est possible mais pour pouvoir affirmer cette conclusion il faudrait bien sûr comparer les conditions d’administration des enquêtes.
Vous et les moyens de faire votre travail...
Le temps vous manque-t-il pour votre vie personnelle ?
85% des répondants manquent de temps pour leur vie personnelle (toujours 37%, souvent 48 %). L’ensemble des professionnels du droit n’exprime ce manque qu’à hauteur de 73% (respectivement 25 et 48%).
Le temps, le temps : c’est ce qui manque le plus aux avocats !
Avez-vous l’impression que votre temps est désorganisé (prévisibilité de votre emploi du temps, maintien des rendez-vous) ?
Oui à 73 % (toujours 18%, souvent 55%).
Ensemble des professionnels : 62% (16 et 46%), ce qui moins.
Estimez-vous avoir assez de temps pour faire "de la belle ouvrage" ?
Oui pour 69% (toujours 11%, souvent 58%) mais 27% parfois seulement - cf ensemble : toujours 23%, souvent 48% .
Pensez-vous avoir les moyens de faire le travail demandé ?
Seulement 5% ont toujours les moyens, mais 51% souvent, et pour 37% parfois seulement ; pour 7% rarement ou jamais.
A comparer : ensemble des professionnels du droit : respectivement 4, 39, 37 et 20% : les avocats estiment avoir davantage que les autres professionnels, les moyens pour faire leur travail.
Vous et la matière juridique
La complexité du droit est-elle source d’inquiétude ?
Oui pour 54 % des répondants (toujours 13%, souvent 41%).
Réponses de l’ensemble des professionnels : 41 % (12 et 29%).
On constate un glissement vers davantage d’inquiétude liée à la complexité du droit pour les avocats et collaborateurs.
La lourdeur du formalisme est-elle source de stress ?
Oui pour 58% (toujours 17%, souvent 41%), et parfois pour 27%.
Ensemble : oui 48% (toujours 13%, souvent 35%).
Le poids du formalisme est plus prégnant pour les avocats que pour l’ensemble de professionnels.
Êtes-vous gêné par les incertitudes liées au droit (évolution rapide des textes, décisions des tribunaux) ?
Pas trop : seulement 45% le sont (toujours 14%, souvent 31%), et 33% parfois.
En comparaison l’ensemble des professionnels semble moins gêné : toujours : 11% ; souvent : 28% et parfois : 37%.
La longueur des procédures vous agace-t-elle ?
Plutôt non : les réponses oui ne sont que 41% (toujours 11%, souvent 30%).
L’ensemble des professionnels y est encore moins sensible (toujours : 12% ; souvent : 28% ; parfois : 36%).
Vous posez-vous parfois la question du sens de votre métier ?
59 % des avocats et collaborateurs se posent toujours (18 %) ou souvent (41 %) cette question, et 20 % parfois.
Cf l’ensemble des professionnels du droit : toujours 16 % ; souvent 37 % ; parfois 21 %.
Il semblerait que les avocats aient davantage d’états d’âme sur le sens de leur métier que l’ensemble des juristes.
Vous et vos parties prenantes
Avez-vous un sentiment de malaise quand vous subissez des pressions internes ?
31% des avocats subissent des pressions internes et en éprouvent toujours un sentiment de malaise, et 42 % souvent.
C’est juste un peu plus que l’ensemble des professionnels du droit (toujours : 28 %, souvent 39 %). Pas de particularité topique à ce niveau.
Arrivez-vous toujours à vous faire comprendre par vos clients ? (qu’ils soient externes à l’entreprise ou internes)
75 % des avocats parviennent à se faire toujours ou souvent entendre de leurs clients.
C’est un peu plus que l’ensemble des juristes : toujours 10% ; souvent 60%.
Considérez-vous que les relations avec vos collègues juristes sont rendues plus difficiles par la matière ?
Souvent : 13% ; parfois 34% ; rarement 38%.
Ensemble des juristes : souvent : 15% ; parfois : 27% ; rarement : 41%.
Les avocats semblent mieux s’entendre avec leurs collègues à propos des questions juridiques... Signe de confraternité ?
Êtes-vous satisfaits des relations avec vos confrères ?
Plus de la moitié des avocats sont toujours ou souvent satisfaits des relations avec leurs confrères (2 et 51%) et 30% parfois.
Ce qui est moindre que l’ensemble des professionnels : toujours et souvent : 60% (4 et 56%) ; parfois : 28%.
Avez-vous le sentiment d’être seul au point de vue professionnel ?
Toujours : 15% ; souvent 32% ; parfois 36%.
Ensemble : toujours : 17% ; souvent 40% ; parfois 25%.
Certains avocats et collaborateurs se sentent toujours isolés, mais les autres le sont moins que l’ensemble des professionnels du droit.
Vous et votre employeur
Des questions prévues pour les professionnels du droit salariés... mais auxquels tous les répondants avocats ou collaborateurs ont répondu.
Le périmètre de vos activités, de vos pouvoirs et de votre responsabilité sont-ils suffisamment définis pour travailler dans la sécurité ?
L’éventail des réponses est assez large : 14% estime toujours ; 35% souvent ; 21% parfois ; 23% rarement et 7% jamais.
Ensemble : toujours 8% ; souvent 31% ; parfois 21% ; rarement 30% ; jamais 11%.
Le périmètre d’activité des avocats est mieux défini que la moyenne.
Pensez-vous avoir la reconnaissance de votre travail en termes de salaire notamment ?
La reconnaissance attendue ne vient jamais à chaque fois, mais pour 22% souvent et 30% parfois ; pour 48% rarement ou jamais.
Tous juristes : toujours 2% ; souvent 19% ; parfois 23% ; rarement ou jamais : 56%.
Les avocats se sentent donc mieux reconnus que l’ensemble des professionnels du droit, mais si peu ...
Souffrez-vous de ne pas avoir des possibilités d’évolution intéressantes ?
40% toujours ou souvent (12 et 28%) ; parfois 31%.
Tous professionnels du droit : toujours : 21% ; souvent 32% ; parfois 25%.
Il apparaît donc que les avocats en souffrent moins que l’ensemble des professionnels du droit.
Si vous êtes manager : avez-vous vous des problématiques particulières de management liées à la profession juridique ?
Seulement 70 % de répondants se sont déclarés managers
Avocats : toujours 7% ; souvent 12% ; parfois 43% ; rarement 29% ; jamais 9%.
Tous professionnels : toujours 4% ; souvent 16% ; parfois 36% ; rarement 27% ; jamais 17%.
On constate donc un relatif parallélisme avec celles de l’ensemble de professionnels, mais il y a parfois quelques problèmes ponctuels de management pour les avocats.
L’entreprise vous fournit-elle les formations utiles pour développer vos connaissances ?
Toujours 9% ; souvent 21% ; parfois 29% ; rarement 29% ; jamais 12%.
Toujours 7% ; souvent 19% ; parfois 25% ; rarement 31% ; jamais 17%.
Pas de distinction des avocats pour cette question : la formation semble être le parent pauvre de tous les professionnels du droit...
En conclusion...
Conseilleriez-vous votre métier à un jeune ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 40% des avocats et collaborateurs ne conseilleraient pas ce métier ; c’est moins que l’ensemble des professionnels du droit. Mais ceux-ci ne le conseilleraient que rarement (25%) ou jamais (9%). Que dire ?
2 - Les commentaires
Les commentaires libres sont encore plus parlants que les chiffres car ils font apparaître le vécu...
Ils sont distingués entre avocats (individuels ou associés) et collaborateurs (collaborateurs au sens strict et salariés), les ressentis n’étant pas les mêmes.
Les Avocats indépendants ou associés.
L’essentiel :
dégradation récente des conditions de travail
métier anxiogène
isolement
mauvaise ambiance
faiblesse des revenus eu égard aux études et à l’investissement
surcharge de travail - épuisement
dépression ou burn out.
Mais :
Il y a une vraie volonté chez les jeunes avocats de changer les relations de travail telles qu’elles existent aujourd’hui pour que l’entraide et le respect soient au coeur de notre métier.
En 33 ans d’exercice la profession d’avocat s’est considérablement dégradée (multiplication des tâches matérielles, pression de tous les intervenants et notamment des clients, pression financière, manque de temps pour la réflexion, réduction du rôle et du temps de plaidoirie....etc.....)
Je pense que le stress dépend de l’ambiance humaine ou non, des procédures du cabinet utiles ou non... Personnellement en burn out...
L’avocat est celui contre lequel tous s’acharne : magistrat, confrère, client. Il faut avoir une santé sans faille et avoir confiance en soi.
C’est une profession formidable mais très dure.
Ce métier est difficile quand on n’est pas carriériste car on comprend vite que si on veut avancer professionnellement (développement de clientèle, augmentation de rétrocession d’honoraires voire association), il faut donner de son temps et de sa personne SANS LIMITES ET CONDITIONS, et c’est évidemment au détriment de sa vie personnelle et de sa santé nerveuse et émotionnelle (surcharge de travail, travail le soir et le week-end, surmenage etc..).
J’en peux plus.
Sans vouloir être passéiste, l’exercice de la profession était plus intéressant il y a seulement 1 dizaine d’années.....
Profession dont les conditions de travail et de rémunération vont s’aggravant."
Les Collaborateurs.
L’essentiel :
surcharge de travail
manque de considération
faiblesse des revenus
absence d’avenir.
Je suis avocat collaborateur et le plus difficile est le manque de considération de la part de l’associé.
Oui, je recommande ce métier passionnant mais doit avertir sur le milieu qui l’entoure (pression, stress, harcèlement plus implicite mais qui a mes yeux reste du harcèlement, être payer correctement voire moins que ce qu’on nous annonce au début de nos études pour faire des horaires liés au levé et au couché du soleil). Entendre les avocats parler des personnes qui les entourent comme le petit peuple et des imbéciles.
Etre parent d’un enfant jeune et collaborateur libéral est une gageure compte tenu du manque de disponibilité (horaires et peu de congés) et de la faiblesse du revenu après charges et impôt ; développer sa clientèle personnelle est illusoire. J’ai le sentiment d’être pris au piège.
J’ai l’impression qu’on m’en demande toujours plus pour une rétrocession misérable et que mon travail n’est pas reconnu.
Il y a une vraie volonté chez les jeunes avocats de changer les relations de travail telles qu’elles existent aujourd’hui pour l’entraide et le respect, soient au coeur de notre métier. La difficulté majeure pour les jeunes collaborateurs (notamment à Paris) est de pouvoir développer sa clientèle. Les cabinets font en sorte que l’on ne puisse pas le faire, ce qui induit une forme de dépréciation de notre travail (on perd confiance en soi car on ne sent pas capable d’avoir ses propres clients).
Discussions en cours :
Merci, pour ces informations qui sont très intéressantes. Je pense que je ferai référence à cette étude pour ma thèse.
Il ramène le métier d’avocat à la réalité, pas simple, stressant et il faut toujours plus.
Keny
Bonjour,
Félicitations pour la pertinence de votre article.
François DANGER
IPRP
groupe-danger.com