La conciliation en droit du travail : quel présent ? Quel avenir ?
Dans un premier temps, il convient à mon sens d’examiner les hypothèses et les avantages d’une conciliation pré-contentieuse.
Puis, nous examinerons le cadre et la mise en oeuvre d’une solution de conciliation une fois que le litige est né.
Enfin, nous évoquerons les idées possibles de réforme des procédures existantes.
I/ La conciliation, mode de prévention des litiges :
A/ Nature et circonstances des litiges potentiels :
Il est bien évident qu’il y a " litige " et " litige "... En effet, en cas par exemple de licenciement dans des circonstances difficiles pour l’employé et/ou pour l’employeur (licenciement pour comportement agressif avec des collègues ou des supérieurs, par exemple, ou encore licenciement économique imposé par une baisse de chiffre d’affaires bien que le salarié n’ait pas démérité), une conciliation sera beaucoup plus difficile qu’en cas de simple désaccord sur le montant des congés payés ou sur l’application d’une clause de non concurrence...
Ainsi, avant de rechercher une conciliation, l’employeur devra naturellement diagnostiquer la nature exacte du litige, rechercher les fautes de l’employé...mais aussi les siennes éventuellement, afin d’avoir une vision claire du litige, des risques contentieux et des enjeux financiers.
En effet, toute appréciation et tous calculs erronés à ce stade conduiraient à une solution transactionnelle bancale, voire à une annulation de la transaction si elle a été conclue par le salarié en méconnaissance de ses droits.
Au besoin, l’employeur ou/et le salarié devront s’entourer des conseils d’un avocat, ou au moins d’un juriste (service interne ou autre) pour éviter des erreurs lourdes de conséquences.
B/ Efficacité de la conciliation pré-contentieuse : la rédaction d’une transaction :
Si le litige qui se dessine peut être résolu par une conciliation, qui prendra de préférence la forme d’une transaction (contrat régi par le Code civil), ce sera évidemment la solution la plus intéressante pour les deux parties, car elle interviendra à moindre cožt et plus rapidement.
Surtout, le passage par une procédure prud’homale, qui encombrera par ailleurs la justice, ne se fera jamais sans séquelles dans les relations à court, moyen et même long terme entre le salarié et son employeur (à supposer qu’il ne s’agisse pas d’un licenciement).
En effet, le salarié en voudra toujours à l’employeur de l’avoir contraint à aller en justice pour " obtenir son dž " et inversement l’employeur jugera son salarié à l’aune de son caractère " revendicatif et litigieux " (un premier litige conduit généralement à l’exclusion du salarié de toute promotion, etc...).
Toutefois, les parties doivent jalonner leur volonté de se concilier des gardes fous juridiques nécessaires. A moins, qu’il s’agisse d’un " litige " très accessoire (conditions de travail, faible rappel de salaire...), les parties auront tout intérêt à mettre par écrit les raisons de leur litige et la solution retenue. De même, en cas de versement d’une somme d’argent, l’employeur en conservera naturellement une preuve accompagnée d’un courrier exposant les raisons du montant versé. Ces preuves écrites pourront en effet être utilisées en cas de litige ultérieur portant sur le même sujet.
De préférence, les parties rédigeront même une transaction rappelant certaines dispositions du code civil sur son caractère obligatoire et irrévocable. Toutefois, une transaction n’est juridiquement valable que si elle est signée après que le " litige " est né. Donc, les parties, et au premier chef l’employeur, auront bien garde de se ménager des preuves de ce litige préexistant, par exemple un courrier du salarié se plaignant du non paiement d’heures supplémentaires, et une réponse de l’employeur contestant le nombre d’heures réclamées.
En matière de licenciements, il est même clairement exigé par la jurisprudence que la lettre de licenciement ait été au préalable adressée à l’employé par lettre recommandée avec accusé de réception (une lettre remise en main propre, même contre décharge, ne suffirait pas) avant la conclusion de la transaction. Sinon, le salarié pourrait en demander l’annulation en justice pour obtenir un complément d’indemnisation par rapport à ce qui lui a été versé...
Attention : dans tous les cas, il conviendra de constater dans la transaction les " concessions réciproques " (ce sont les termes de la jurisprudence) réalisées par chacune des parties, mais notamment par l’employeur, faute de quoi le contrat serait nul.
II/ La conciliation au stade prud’homal :
A/ Déroulement de l’instance :
En matière prud’homale, sauf cas très particulier (par exemple en cas de demande de requalification d’un C.D.D. en C.D.I.), le salarié et l’employeur, une fois que le Conseil de prud’hommes a été saisi, doivent obligatoirement passer devant le " bureau de conciliation ".
Cette règle procédurale tend à favoriser une conciliation entre les parties, mais celle-ci intervient généralement, soit avant, soit après cette première audience (une transaction ou une conciliation restent en effet possibles jusqu’à l’audience de jugement constituant la seconde audience).
Toujours est-il que cette audience a lieu au bout de quatre à six mois en bureau porte fermée (sauf demande de provision supposant un débat contradictoire) devant un conseiller prud’hommes élu par les salariés, et un conseiller prud’hommes élu par les employeurs (au lieu de deux conseillers issus de chaque collège pour ce qui concerne l’audience ultérieure devant le bureau de jugement).
Malgré la bonne volonté de la plupart des conseillers prud’hommes, force est de constater que cette audience est très largement inutile, et ne sert en définitive qu’à recueillir certaines informations pratiques concernant le litige (notamment le montant des demandes du salarié).
Pour le salarié, cette audience peut toutefois être l’occasion de rencontrer l’employeur sans l’intermédiaire de son avocat (s’il s’est déplacé, ce qui assez rare concernant les entreprises d’une certaine taille), et même de demander un versement provisionnel sur certaines sommes qu’il réclame, si leur caractère exigible est incontestable (rappel de salaires par exemple) et dans la limite maximale de six mois de salaires.
B/ Efficacité de la conciliation : exécution de la volonté des parties :
Si les parties parviennent à une conciliation avant ou pendant l’audience de conciliation, il sera alors opportun de demander au conseil de prud’hommes de rédiger un procès-verbal de conciliation (totale ou partielle).
Ce procès-verbal constatera que l’employeur et le salarié sont d’accord pour régler leur litige moyennant le versement de la somme indiquée. La solution retenue aura force obligatoire pour les deux parties et ne pourra plus être contestée, mettant fin à la procédure.
Ceci sera une bonne solution pour des litiges simples, notamment en termes de cožts (pas de frais d’avocat de rédaction d’une transaction).
Par contre, pour des litiges complexes ou comportant plusieurs demandes de la part du salarié, il sera intéressant (surtout pour l’employeur souhaitant bien clarifier les choses), de rédiger une transaction conforme aux principes déjà évoqués, de préférence avec les conseils d’un avocat.
III / Vers une réforme de la conciliation ?
A/ Les défauts du système actuel :
Comme cela a été évoqué précédemment, la tentative de conciliation devant le conseil de prud’hommes aboutit rarement.
Tout au plus l’audience de conciliation, d’une durée de dix minutes au maximum, est-elle l’occasion de rappeler aux parties qu’une transaction reste possible tout au long de la procédure.
A cet égard, même après le jugement, en cas d’appel de la partie perdante, une transaction est encore envisageable.
Mais dans la majeure partie des cas, un litige se règle soit en dehors du prétoire (règlement spontané de l’employeur, transaction ou autre), soit ne se solde qu’à l’issue de la procédure (qu’elle soit favorable au salarié, ou plus exceptionnellement à l’employeur).
La phase actuelle de passage obligatoire devant le bureau de conciliation est donc plutôt une perte de temps pour le salarié (la procédure pourrait être raccourcie de quatre à six mois sans cela), et un peu une hypocrisie pour tout le monde.
B/ Vers une tentative réelle de conciliation :
Pour une conciliation plus efficace (notamment pour le salarié), il serait ainsi judicieux d’imaginer d’autres façons d’inviter les parties à régler leur litige à l’amiable.
D’autres voies pourraient ainsi être mises en place en amont avant même la saisine du Conseil de Prud’hommes, peut-être avec l’aide des représentants du personnel (voire des syndicats) et de l’inspecteur du travail.
Ou encore, peut-être faudrait-il inciter le bureau de jugement lui-même à mettre en oeuvre, le cas échéant d’office, des solutions intermédiaires (sous réserve tout de même d’appel) plus nuancées qu’une décision de justice classique (par hypothèse limitée aux demandes du salarié et donnant tort ou raison à l’une ou l’autre des parties sans solution médiane).
Enfin, des procédures extra prud’homales pourraient être mises en oeuvre, par exemple des procédures devant des conciliateurs ou arbitres spécialisés ou des magistrats professionnels (mais ce serait alors, dans cette dernière hypothèse, contester le principe même des conseillers élus par les salariés et employeurs auxquels d’aucuns sont encore très attachés).
Quoiqu’il en soit, c’est l’ensemble des procédures de tentative de conciliation dans tous les domaines du droit (civil, pénal, administratif - à l’exception notamment des médiateurs de la république - ou social) qui semble aujourd’hui encore défectueux, et mériterait d’être revu ou relancé.
Auteur : Vincent COLLIER
Avocat au Barreau de Paris
9 rue Anatole de la Forge - 75017 Paris
Tél : 01 47 66 01 65
Fax : 01 47 66 45 05
E-mail : chez voila.fr>collier.v chez voila.fr
Site : http://site.voila.fr/collieravocat/
Activités :
Droit des affaires - Droit social - Droit fiscal