La dynamique de promotion de l’amiable doit subséquemment s’accompagner d’une offre de service répondant aux besoins des litigants. Cela passe nécessairement par la création de conditions favorables à la pratique des modes amiables de résolution des différends. C’est l’unique voie qui permettra d’éviter le scénario de l’article 750-1, 3° du Code de procédure civile [1].
S’agissant de la médiation, cela vaut également pour la conciliation, les conditions d’exercice de l’activité de médiation sont prévues par le décret du 9 octobre 2017 [2]. S’en sont suivies, depuis la promulgation de ce décret, plusieurs décisions qui ont apporté certaines précisions quant à l’interprétation du texte. Le mois de juillet 2024 a également été marqué par une série de décisions rendue par la deuxième Chambre civile, continuant ainsi la construction du régime juridique applicable aux prestataires de l’amiable.
Les prestataires de la médiation doivent être inscrits sur une liste ouverte auprès des cours d’appel [3]. Les conditions d’inscription sur cette liste diffèrent selon que le demandeur est une personne physique (I) ou morale (II).
I- L’inscription de la personne physique.
La personne physique doit satisfaire aux conditions d’honneur, de probité et de bonnes mœurs [4]. Il ne faut pas avoir fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire [5]. Enfin, le demandeur doit justifier d’une formation ou d’une expérience attestant son aptitude à la pratique de la médiation [6]. C’est à la lumière de ces conditions que la deuxième Chambre civile s’est prononcée le 11 juillet 2024 [7].
La Cour de cassation conditionne l’inscription des personnes physiques sur la liste des médiateurs, ainsi que celles dirigeant les structures d’organisation du processus, au respect d’exigences minimales de probité, de moralité et de formation ou d’expérience. En l’espèce, une personne physique a sollicité son inscription sur la liste des médiateurs de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, en qualité de personne physique rattachée à une personne morale. L’assemblée générale des magistrats a rejeté sa demande d’inscription, motif tiré d’une absence d’inscription de la personne morale de couverture sur la liste des médiateurs. Plus tard, la Cour de cassation a annulé la décision de rejet de l’inscription de la personne morale prise par l’assemblée générale des magistrats aixois. Dans son pourvoi contre la décision de rejet de son inscription, la personne physique soutient que si le recours formé par la personne morale contre l’assemblée générale aboutit, le motif qui lui est opposé pour rejeter sa demande disparaîtrait. Il demande donc à la cour de déduire de l’annulation de décision d’assemblée générale son inscription sur la liste des médiateurs de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. La Cour de cassation fit partiellement droit à sa demande. La décision de rejet est donc annulée sans que cela emporte une inscription automatique sur la liste des médiateurs. Selon les hauts magistrats, « une personne physique assurant l’exécution des missions de médiation d’une personne morale exerçant l’activité de médiateur doit remplir les conditions de probité, moralité et formation ou expérience attestant de l’aptitude à la médiation, prévues au premier de ces textes (…) ». Les juges n’ont fait qu’appliquer les dispositions des articles 2 du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017.
Si la vérification des conditions de probité et de moralité ne pose en général pas de difficultés particulières, l’appréciation de « l’aptitude à la pratique de la médiation » par les cours d’appel est souvent sujette à des interprétations divergentes, suscitant parfois l’intervention de la Cour de cassation.
De prime abord, le texte semble clair : les personnes physiques doivent « justifier d’une formation ou d’une expérience attestant l’aptitude à la pratique de la médiation ». La conjonction de coordination « ou » témoigne du non-cumul de l’exigence de formation et de l’expérience. Le candidat à l’inscription peut donc présenter une formation et une expérience ou seulement l’une d’elles [8]. C’est en ce sens que la Cour de cassation avait annulé une décision d’assemblée générale, statuant en formation administrative de commission restreinte, qui avait écarté une candidature au motif que l’intéressé ne justifiait pas d’une formation, mais seulement d’une expérience de la médiation [9]. Elle énonça, à cet effet, que l’assemblée générale doit « procéder à une appréciation globale de l’aptitude du candidat à la pratique de la médiation au regard de ces deux critères » [10].
Donc, ce qui est exigé c’est soit la preuve soit d’une expérience soit d’une formation.
Le texte n’exige pas non plus de diplôme pour être inscrit sur la liste des médiateurs [11]. Ainsi, même si les diplômes universitaires se créent de plus en plus en vue de promouvoir les modes amiables de résolution des différends, ce qui est à encourager, l’inscription sur les listes des médiateurs n’est pas conditionnée par l’obtention d’un diplôme. Même en matière familiale, le diplôme d’État de médiateur familial, créé par le décret 2003-1166 du 2 décembre 2003 et organisé par l’arrêté du 19 mars 2012 modifié, ne constitue pas un préalable à la pratique de la médiation [12].
Cela peut se comprendre. Si l’on veut un recours massif à la résolution amiable, il faudra s’assurer que les offres de service dans ce secteur soient à la hauteur des attentes, aussi bien en termes de compétence que de disponibilité des prestataires. Il faut donc veiller à ne pas rendre difficiles les conditions d’exercice, sans pour autant négliger les qualités techniques des prestataires. En tout état de cause, le demandeur devra justifier de la formation à travers des documents (il peut s’agir d’une attestation, d’un certificat ou d’un diplôme). D’ailleurs, la certification est exigée lorsqu’il s’agit d’une prestation en ligne [13].
L’interrogation à laquelle le décret de 2017 ne répond pas concerne le nombre d’heures de formation. Des éléments de réponse peuvent être tirés de la circulaire du 8 février 2018 présentant certaines dispositions du décret de 2017. En réalité, hormis l’exemple de la profession d’avocat qui exige deux cents heures de formation, il n’est pas exigé un nombre précis d’heures de formation. Le temps de formation n’est pas uniforme. Il varie selon le contenu et l’établissement de formation. Par exemple, le CMAP propose des sessions de cinquante-six heures de formation, l’école professionnelle de la médiation et de la négociation propose cent douze heures et les diplômes universitaires proposent en général deux cents heures de formation. Une harmonisation de ce temps de formation ne ferait pas de mal.
II- L’inscription de la personne morale.
S’agissant des personnes morales organisant les processus amiables, outre les exigences de probité et de formation que doivent remplir leurs dirigeants, elles ne peuvent être inscrites « que si leurs dirigeants et toute personne physique assurant en leur nom les mesures de médiation remplissent les conditions exigées à l’article 2 du décret ». Il faut par ailleurs que les statuts de la personne morale le prévoient [14]. Quid alors si l’activité de médiateur n’est qu’accessoire ?
La Cour de cassation y apporte une réponse claire dans l’un des arrêts rendus le 11juillet 2024 [15]. En l’espèce, une société a sollicité son inscription sur la liste des médiateurs de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette demande a été rejetée par l’assemblée générale des magistrats au motif que la société pratiquait la médiation de manière accessoire et qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence de formation. Dans son recours, la société soutenait qu’elle exerçait l’activité de médiateur à titre principale, comme en atteste l’objet social figurant dans ses statuts et le pourcentage du chiffre d’affaires réalisé à ce titre. Elle ajoute qu’une personne morale ne peut se former. La décision d’assemblée générale des magistrats est annulée par la Cour de cassation. Dans son arrêt, la haute juridiction énonce qu’il importe peu que l’activité de médiateur soit exercée à titre accessoire. Ce qui compte finalement c’est l’objet inscrit dans les statuts de la personne morale [16]. Il est reproché à l’assemblée générale des magistrats d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation et d’avoir ajouté une condition de formation de la personne morale que le décret de 2017 n’exige pas.
La solution de l’arrêt est non seulement conforme au droit positif, mais aussi découle d’une certaine logique juridique. En effet, s’il est possible d’exiger que les dirigeants de la personne morale satisfassent à la condition de formation, il est en revanche illusoire d’en exiger autant de la personne morale elle-même. D’ailleurs, l’article 3 du décret de 2017 ne l’exige pas. Par ailleurs, sur le caractère accessoire de l’activité de médiateur, l’arrêt semble cohérent avec la dynamique de l’amiable amorcée par le garde des Sceaux. Si l’on veut inciter les justiciables à privilégier les modes amiables, il faut nécessairement faciliter l’inscription des structures organisant de tels processus.
La solution de l’arrêt ne pose pas de difficulté lorsqu’il est question des centres exerçant la médiation accessoirement à d’autres modes alternatifs de résolution des différends, comme l’arbitrage. En revanche, elle interroge sur le cas des sociétés d’avocats qui pratique la médiation en parallèle du contentieux civil et commercial.
Les avocats de la société pourraient ainsi être saisis en qualité de médiateur pour certaines affaires, et pour d’autres ils sortiront les gants de boxe. A priori, rien ne semble l’interdire [17]. Néanmoins, il y aura manifestement une contradiction profonde dans leurs convictions internes, car être médiateur c’est avant tout avoir une conviction, une culture unique, de paix. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains avocats exerçant la médiation se refusent de faire du contentieux.
Dans tous les cas, l’inscription définitive n’est accordée que par l’assemblée générale des magistrats, après vérification des pièces produites par les demandeurs [18]. Lorsqu’elle est saisie d’un refus d’inscription, le contrôle de la Cour de cassation est limité à une éventuelle erreur manifeste d’appréciation. Il ne porte pas sur l’exactitude de l’appréciation que l’assemblée générale a faite de l’aptitude réelle du candidat à la pratique de la médiation. Donc, son contrôle a pour but de s’assurer que la décision prise par l’assemblée générale est fondée sur des critères légaux [19]. Des recours ont ainsi été rejetés pour absence d’erreur manifeste d’appréciation [20].