À la confluence de l'éthique et de la sécurité nationale : le cadre juridique des soldats augmentés. Par Renan Livet, Étudiant.

À la confluence de l’éthique et de la sécurité nationale : le cadre juridique des soldats augmentés.

Renan Livet
Etudiant de la Clinique juridique One Health-Une seule santé, promotion 2022-2023
Sous la direction de Aloïse Quesne,
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay,
Directrice de la Clinique juridique One Health-Une seule santé
https://cjonehealth.hypotheses.org/

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Explorer : # soldat augmenté # éthique militaire # biotechnologies # sécurité nationale

« Oui à Iron Man, Non à Spiderman », tels sont les mots employés le 4 décembre 2020 par Florence Parly, alors Ministre de la Défense, à propos du premier avis du Comité d’éthique de la Défense rendu sur la possibilité de créer un "soldat augmenté".
Le concept du soldat augmenté, un militaire amélioré grâce à la technologie pour surpasser les capacités humaines, émerge. Toutefois, il est entouré d’un paradoxe : son amélioration, destinée à protéger les droits humains, peut contredire les droits du soldat en tant qu’individu. Les défis incluent l’éthique du consentement, la préservation de la dignité humaine, et la différenciation entre l’amélioration et le besoin médical.

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La nature de l’Homme n’a eu de cesse de le pousser vers une quête infinie d’amélioration de son environnement, de son corps ou encore de son esprit, cherchant à combler ce qu’il considère comme un manque ou une faiblesse. En réparant, en comblant ou en corrigeant les « défauts et faiblesses » de la nature, la frontière entre ce qui est éthique et ce qui ne l’est plus est chaque fois plus floue.

Notre ère, dominée par la sphère médiatique, voue d’ailleurs un véritable culte à la performance, à l’énergie et à la force de vie. Nous observons une propagande publicitaire pour être « plus en forme, plus mince, plus concentré, moins fatigué, moins stressé, plus rapide, plus performant… ».
Notre civilisation entre et s’enracine dans le siècle des biotechnologies où les sciences ouvrent un monde des possibles qui appartenait jusque-là à la science-fiction. Dans son désir d’obtenir ce qu’il n’a pas, l’humain flirte avec la modification génétique mais cela se termine souvent par une fin dystopique nous garantissant que modifier notre destin et nos capacités nous rendrait insensibles, semblables à des machines, perdant toute empathie et toute humanité. Malgré ces dangers, la course à l’armement et à la surpuissance étatique continue, et de nombreux Etats sont en marche pour atteindre l’idéal d’un Homme génétiquement modifié au service de son pays : le soldat augmenté.

Le soldat augmenté peut se définir comme « un soldat dont les capacités sont augmentées, stimulées ou créées dans le but de renforcer son efficacité opérationnelle » [1].
« Oui à Iron Man […] Non à Spiderman », déclarait Florence Parly, ministre de la Défense, le 4 décembre 2020, pour présenter l’avis du Comité d’éthique de la Défense sur le « soldat augmenté » [2].

Mais qu’est-ce qu’une augmentation ? La revue de défense nationale a déterminé que l’augmentation était une action ayant pour objectif de rendre le soldat plus efficient en opération, en renforçant ses capacités psycho-cérébrales par des moyens faisant corps avec lui, par des apports pharmacologiques non thérapeutiques, des implantations statiques ou dynamiques et ce de manière courte ou prolongée, voire irréversible [3].

Ainsi, deux types d’augmentation sont à distinguer : les augmentations non invasives avec les équipements ou dispositifs extérieurs au corps du soldat (protection pare-balles, armement, exosquelettes, parachutes, lentilles de nuit [4] …) ; et les augmentations invasives, pénétrant la barrière corporelle (rétines artificielles, implants cérébraux contrôlant l’environnement…). Sans être exhaustif sur les possibilités d’augmentation des performances du soldat, citons ici certaines possibilités qui pourraient être entrevues à l’horizon 2030 selon l’étude du secrétariat de la défense nationale menée en 2017 : des implants destinés à augmenter l’acuité visuelle ou auditive, ou bien des dispositifs d’électrostimulation cérébrale (drone piloté par la pensée…) [5].

Pour comprendre l’encadrement juridique du soldat augmenté, il s’agira d’établir que l’augmentation du soldat – bien que nouvelle et peu encadrée – doit nécessairement se faire dans le respect des engagements internationaux, et qu’à cela s’ajoute le respect des engagements militaires contemporains (I), qui ne semblent toutefois pas encore suffisants pour éviter toute forme de violation des droits, couplée à des intérêts divergents formant alors l’utopie d’une éthique militaire (II).

I. L’augmentation du soldat et le respect des engagements internationaux.

Le cas de la caféine à libération prolongée.

D’après le neurologue Frédéric Canini, « durant la Seconde Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre, les amphétamines ont été utilisées de manière extensive afin d’accroître la cognition, la motivation et la vigilance. Cependant, il est apparu un risque réel à leur utilisation. La description des effets secondaires a fait évoluer les positions sociétales vers une restriction de leur usage » [6]. C’est en effet dans ce contexte que s’est tenue la Convention de 1971 de l’ONU sur les substances psychotropes afin d’encadrer leur utilisation à la seule prescription. Cette Convention a notamment été refusée par les Etats-Unis jusqu’en 2007, lesquels continuaient à les utiliser, a contrario des Danois et des Allemands qui ont préféré la limiter à la seule condition de « survie » et privilégient dans le contexte opérationnel la caféine [7], ce qui se rapproche de la conception française qui a évoluée vers l’utilisation du modafinil – médicament stimulant du système nerveux central prévu pour soigner la narcolepsie mais également utilisé pour améliorer la concentration, la productivité ou la performance cognitive en général – puis de la caféine à libération prolongée (LP) qui est semble-t-il, le meilleur compromis.

La caféine LP est encadrée par une instruction qui a évoluée de 2008 à 2015. Cette instruction considère que la Caféine LP est une augmentation réversible et sans opération chirurgicale, utilisée par beaucoup d’armées dont l’armée française et qu’il ne peut être fait appel à une prescription de caféine que dans la mesure où tous les moyens hygiéno-diététiques ont été mis en place et ont prouvé leur insuffisance [8]. Afin de pouvoir caractériser ces moyens, cette instruction prévoit un « guide d’utilisation ». En outre, est également prévu que le soldat ne découvre pas la substance durant une opération militaire. Le soldat doit ainsi avoir été préalablement sensibilisé à l’utilisation de la caféine en dehors de tout contexte d’urgence opérationnelle. Cet essai doit être fait en situation écologique de stress (par exemple, privation de sommeil, exercice, etc.) afin d’être certain de la qualité de la tolérance. Enfin, cette sensibilisation passe par une information loyale et un consentement formel et éclairé.

En outre, le choix de prendre de la caféine LP est tenu par le secret médical. Lorsqu’un contexte d’opérations continues impose la prise de caféine, le commandement désigne les catégories de personnels autorisés à prendre la caféine dans les conditions définies par l’instruction. Le Service de santé des armées (SSA) met alors en place un approvisionnement adapté et une prescription en vue de la délivrance de la caféine dans le respect de la loi. La prescription se fait dans un cadre strictement médical avec inscription des actes dans le livret médical de l’intéressé. Les personnels sous augmentation sont alors considérés comme « à risque » et suivi pendant et après les missions effectuées sous caféine [9].

En conclusion, on distingue trois principes directeurs à propos de l’augmentation du soldat, par le biais de substances licites :

  • le premier est le résultat de l’augmentation, qui doit être au service d’une mission ;
  • à cela s’ajoute la santé et l’intégrité du combattant qui doivent être protégées de tout ce qui peut être évité ;
  • et enfin, la gestion des augmentations relève d’un partenariat entre la direction, le soldat et le médecin. Le médecin a un rôle de médiateur neutre ayant pour seul souci la protection de la santé, quelle que soit la position des uns et des autres.

Les contraintes et interdictions de la modification génétique.

Si l’on considère la caféine comme une intervention « invasive », le comité d’éthique français a initié un dialogue et élargi le spectre de la recherche pour englober des techniques bien plus sophistiquées et intrusives. En effet, s’il est souvent vain de chercher à prédire l’avenir, il est salutaire de s’y préparer. Ce Comité d’éthique de la défense (COMEDEF), créé par la Ministre des Armées, a ainsi pour mission d’éclairer par ses avis l’autorité politique, le commandement et l’opinion sur les questionnements éthiques induits, dans le domaine militaire, par les évolutions scientifiques et techniques, par le recours à de nouveaux systèmes d’armes et par l’ouverture de nouveaux espaces de conflictualité. La France est, ce faisant, la première puissance militaire à s’être dotée d’une instance de cette nature [10].

La création de ce comité intervient dans un contexte d’innovation médicale particulier. Une nouveauté se dresse face à la loi, celle de modification génétique CRISPR-Cas 9. De facto, en octobre 2020, deux chercheuses, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, ont reçu le prix Nobel de chimie pour leur découverte en 2012 des « ciseaux à découper l’ADN », présentés comme une avancée majeure de ce début de siècle. Cette technique s’est énormément développée dans le monde et a permis notamment de donner naissance à un chien né avec le double de sa masse musculaire en Chine, tandis qu’en Pennsylvanie a été développé un champignon de Paris ne brunissant plus en le coupant [11].

Aujourd’hui officiellement aucune augmentation militaire ne se fait, mais une utilisation abusive et despotique est à craindre dans la sphère militaire. Eric Pourcel, dans sa revue sur le soldat augmenté de 2018, expose ainsi trois perspectives d’augmentation militaire, notamment grâce à l’utilisation des « ciseaux » CRISPR : l’augmentation endogène, dans le but d’améliorer le génome humain à des fins militaires ; l’augmentation exogène via l’apport de gènes non humain ; ou encore l’augmentation par apport de gènes synthétiques dans le but de créer un soldat sur mesure [12]. Dès lors, les ciseaux CRISPR ouvrent la voie à toute une lignée d’expériences possibles pour augmenter un soldat.

L’expérimentation sur la personne est toutefois fortement encadrée depuis 1946. Cet encadrement découle des suites du procès de Nuremberg, dont les principes ont été définitivement scellés en 1964 à la conférence d’Helsinki. En France c’est la loi « recherches impliquant la personne humaine » de 2012, dite Jardé, qui encadre la recherche impliquant la personne humaine, dont les décrets d’application ont commencé à être publiés en novembre 2016. Cette loi impose, pour des essais produits de santé, l’obtention de l’avis favorable du Comité de protection des personnes (CPP) et l’autorisation de l’Agence nationale de sûreté des médicaments (ANSM), la qualification de médecin ou de personnel paramédical pour les investigateurs, ainsi qu’une procédure de validation auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour débuter le protocole d’étude.

S’il est vrai que l’intitulé de cette loi laisse penser que l’augmentation de la personne puisse entrer dans son champ, elle distingue les recherches sur les médicaments ou produit de santé des recherches hors produit de santé. Cette dernière catégorie désigne davantage les interventions moins invasives qui ne mettent en jeu ni molécules, ni dispositifs médicaux. Dès lors, rien ne laisse penser que le législateur a eu l’intention d’encadrer les essais sortants du cadre de l’étude de l’efficacité et de la tolérance de moyens thérapeutiques. L’expérimentation sur la personne humaine en vue d’évaluer l’effet d’une intervention d’augmentation ne semble donc pas avoir de cadre réglementaire à ce jour [13]. La seule limite aux perspectives de manipulations génétiques sur l’humain, au-delà de l’éthique, est la Convention d’Oviedo du conseil de l’Europe, entrée en vigueur le 1er décembre 1999 [14], suivant laquelle l’être humain prévaut sur la science (article 2) et les interventions sur les humains ne peuvent avoir lieu que si elles n’entrainent pas de modification du génome (article 13). En droit français s’ajoute l’article 16-4 du Code civil qui interdit toute modification génétique qui n’est pas médicalement nécessaire à des fins préventives ou thérapeutiques, ainsi que le rapport du Le Comité d’Ethique de la Défense (COMEDEF) de 2020 qui interdit toute modification génétique chez les soldats.

Cette protection n’est toutefois pas identique dans nos pays voisins. La recherche militaire pourrait ainsi privilégier la biologie de synthèse comme l’affirme le rapport de 2017 « Chocs du futur » vis-à-vis du Human Genome project des USA qui pourrait aboutir à la création d’un soldat sur commande [15].

Le droit des conflits armés oblige à l’étude d’un nouveau moyen de guerre : le soldat augmenté.

Pour déterminer si l’augmentation a un caractère favorable ou non il est nécessaire de l’étudier vis-à-vis du corpus juridique qui regroupe le droit des armées, le droit de la guerre, le droit humanitaire et le droit de la maîtrise des armements. Les principes fondamentaux du droit international humanitaire qui doivent être respectés en cas de conflits armés sont notamment les principes de distinction entre les civils et les combattants, de proportionnalité, d’interdiction d’infliger des souffrances inutiles et des maux superflus.
Sur la scène internationale, la France a également des engagements à respecter, comme l’atteste l’article L1111-1 des principes généraux de la défense : « Elle pourvoit au respect des alliances, des traités et des accords internationaux et participe, dans le cadre des traités européens en vigueur, à la politique européenne de sécurité et de défense commune ». Enfin, la politique de défense est assurée par les différents traités ou accords de défense internationaux tel que l’OTAN, ou encore les conventions de Genève de 1949. Ces ratifications permettent une aide militaire mutuelle en cas d’agression contre l’un des signataires.

Ces différents droits, et notamment le droit humanitaire ont les moyens de ne pas être contournés voire dépassés par les évolutions technologiques. Ainsi l’article 36 du 1er protocole additionnel aux conventions de Genève adopté en 1977 envisage les obligations des Etats face à « la mise au point, l’acquisition ou l’adoption d’une nouvelle arme, de nouveaux moyens ou d’une nouvelle méthode de guerre » [16]. Cela montre que dans le cadre des conflits armés le droit est protecteur et semble encadrer l’usage du soldat augmenté. Toutefois, s’il semble difficile d’imaginer le soldat augmenté en tant qu’arme, certaines de ses améliorations peuvent être considérées comme telles et entreraient dans le champ de l’article 36 précité. Or, le champ d’application de ce dernier est très large puisqu’il concerne toutes les armes dont l’acquisition est prévue, qu’il soit envisagé de les obtenir par le biais de la recherche et du développement sur la base de spécifications militaires ou de les acheter « prêtes à servir ». Il reviendrait alors à l’Etat concerné par cette arme « de déterminer si l’emploi en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances par les dispositions du présent Protocole ou par toute autre règle du droit international ».

In fine, l’emploi du soldat augmenté semble certes disposer d’un encadrement international, mais cet encadrement n’interdisant pas concrètement les augmentations du soldat pourrait amener à créer une asymétrie au sein des conflits armés, qui est pourtant prohibée au sein de ce droit des conflits armés. Cela a notamment pu être le cas avec le protocole additionnel n°IV à la convention de 1980 sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes qui a affirmé qu’« il est interdit d’employer des armes à laser spécifiquement conçues de telle façon que leur seule fonction de combat ou une de leurs fonctions de combat soit de provoquer la cécité permanente chez des personnes dont la vision est non améliorée, c’est-à-dire qui regardent à l’œil nu ou qui portent des verres correcteurs » [17]. Cette formule laisse donc la porte ouverte à la possibilité de provoquer la cécité chez les soldats dont la vision serait améliorée.

Cette asymétrie se verrait par ailleurs accentuée entre certains pays si des modifications ne sont pas effectuées.
La France, à l’heure actuelle, s’agissant de l’augmentation humaine impliquant eugénisme et modifications génétiques demeure prohibée, en cohérence avec l’article 16-4 du Code civil. Dans cette optique Florence Parly a affirmé que « Nous devons faire face aux faits. Tout le monde ne partage pas nos scrupules et nous devons être préparés à tout ce que l’avenir nous réserve » [18].
Le CREC (centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan) a lancé en 2015 un programme de recherche sur le soldat augmenté, considérant que dans un futur proche, le maillon faible de la guerre sera le combattant en opération, non amélioré, étant donné ses faiblesses inhérentes à la nature humaine.

II. Le droit du soldat face au droit de la défense : des intérêts divergents ou l’utopie d’une éthique militaire.

Le droit du soldat face à l’unicité de son double statut législatif.

Les problématiques soulevées par l’augmentation sont liées au respect des droits fondamentaux. En effet, l’augmentation ne peut être envisagée que dans un cadre et selon des procédures assurant le respect de ces derniers, inscrits à la fois dans l’ordre national et international et vont permettre d’établir la ligne rouge à ne pas franchir. Ces droits figurent notamment dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789. À l’international on retrouve le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 ainsi que la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine de 1997. Il est nécessaire de rappeler que selon l’article 1 de cette dernière convention, les États « protègent l’être humain dans sa dignité et son identité, et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine ». Cet article, mis en corrélation avec l’interdiction des traitements inhumains et dégradants des droits de l’Homme et le droit au respect de la vie privée et familiale, permet d’établir un cadre juridique.
En outre, l’article 16-1 du Code civil dispose que :

« Chacun a droit au respect de son corps » et que « le corps humain est inviolable ».

Plus encore, mais dans le même esprit, l’article 16-3 ajoute que :

« il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement or le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».

Complétées par l’article 16-4 qui prohibe quant à lui les pratiques eugéniques et le clonage ainsi que par l’article 16-10 qui ajoute que :

« l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique ».

Ces règles contraignent ainsi déjà le développement du soldat augmenté, bien qu’il s’avère que ce cadre n’est pas spécifique au soldat augmenté qui, lui, parait absent ou presque. Pour autant, ces règles ne semblent pas imperméables à toutes dérogations. En effet, l’article 16-3 du Code civil prévoit la possibilité de porter atteinte au corps humain en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui, et ces deux possibilités sont rappelées dans les règles de déontologie des praticiens des armées [19].

Le droit de la défense ou l’utopie du consentement libre et éclairé.

Bien que le consentement semble être une bonne protection à l’heure actuelle, il pose également un problème. Cette difficulté porte sur le caractère libre du consentement dans le cadre militaire. Le risque ne serait-il pas que le soldat se trouve dans une situation de coercition implicite, voire explicite le conduisant à accepter l’augmentation ? De plus, placer l’augmentation militaire sous la seule condition sine qua non du consentement est dangereux.

Le consentement implique également plusieurs difficultés que le comité d’éthique devra explorer : comment garantir que ce consentement puisse être correctement et efficacement recueilli, et pourra-t-il être retiré par exemple ? Cette question, fondamentale et source de difficultés, est en partie abordée dans l’article 5 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, le consentement libre et éclairé n’est envisageable qu’accompagné d’une information adéquate. Une garantie supplémentaire réside dans le fait qu’un retour en arrière est possible car « la personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement » [20]. Cependant, garantir un consentement libre et éclairé dans le cadre militaire relève d’un paradoxe [21].
Le militaire est soumis à différentes obligations qui ont pour but la réussite de la mission, qui pourraient pousser les militaires à s’augmenter au détriment de la liberté de choix. Ainsi, dans ce cadre-là, l’augmentation pourrait prévaloir afin de satisfaire l’aptitude au combat.
En outre, l’articulation entre le strict devoir d’obéissance et le consentement sera difficile. Enfin, l’augmentation pourrait devenir une condition d’emploi chez les militaires. L’augmentation pourrait être une étape obligatoire ou encore l’environnement social du soldat pourrait influer le soldat afin qu’il puisse rester avec ses « frères d’armes » ou tout simplement pour ne pas être le soldat avec qui on ne souhaite pas « aller au front ».

De plus, la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine envisage l’hypothèse dans laquelle « en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être obtenu ». Et prévoir qu’il « pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée », permettant alors d’exclure le consentement et de baser la possibilité d’une augmentation essentiellement sur la santé. Le respect des obligations du militaire, le respect des ordres de la hiérarchie, la question de l’urgence ou la volonté à rester soudé à une équipe pourraient ainsi être des freins à l’utopie de l’établissement d’un consentement « total et éclairé » ou « libre et éclairé », selon les différentes terminologies utilisées par les juridictions.

Pour pallier ces possibles dérives, liées au consentement, chacune des solutions technologiques envisagées et leur usage devraient être soumis à l’approbation d’un comité d’éthique, en plus d’un comité de protection des personnes, qui reste à constituer et qui pourrait se prononcer au cas par cas en respectant l’objection de conscience (pour les personnes qui doivent intervenir comme pour celles qui doivent recevoir la technologie d’augmentation). Ainsi, le soldat augmenté devrait être accompagné du service de santé des armées comme le préconise le rapport du COMEDEF de décembre 2020, qui serait un gage de préservation des personnels du système de santé des armées mais aussi des autres intervenants. Cependant, le statut dual du militaire crée des obligations et des responsabilités qui peuvent potentiellement entrer en conflit avec les droits accordés au soldat en tant que civil. Le consentement libre et éclairé peut sembler négligeable face à l’amélioration potentielle du soldat, car ce dernier, en tant qu’outil de la République, doit souvent mettre l’intérêt collectif avant son intérêt personnel.

L’article L4122-1 du Code de la défense souligne que les militaires doivent obéir aux ordres et assumer la responsabilité des missions qui leur sont confiées [22]. Bien que cet article soit restreint par l’article D4122-3 du même Code, qui prévoit qu’aucun acte ne doit être exécuté s’il semble manifestement illégal ou contraire au droit international, l’article D4122-4 fait appel au « sacrifice » du soldat. Cela ouvre la porte à l’amélioration du soldat en tant que sujet dédié à une mission. De plus, le maintien de l’ordre public est en lui-même une réponse à la nécessité de garantir le respect des droits fondamentaux. Par conséquent, la mission doit respecter ces droits. L’article 12 de la DDHC rappelle cet objectif en affirmant que la garantie des droits de l’Homme nécessite une force publique, instituée pour le bénéfice de tous.

Conclusion.

La potentialité d’une amélioration du soldat apparaît incontestablement comme une composante essentielle visant à garantir l’intégrité de l’ordre public et la préservation des droits fondamentaux. Dans la mesure où la réussite de la mission du soldat se pose comme une condition impérative en vue de la sauvegarde des droits individuels, il en résulte une nécessité catégorique de faire front contre tout antagoniste bafouant les règles édictées. Ainsi, l’argument selon lequel la sauvegarde et le respect des droits individuels pourraient être invoqués comme un simple prétexte autorisant l’optimisation du soldat émerge de manière sous-jacente.

Renan Livet
Etudiant de la Clinique juridique One Health-Une seule santé, promotion 2022-2023
Sous la direction de Aloïse Quesne,
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay,
Directrice de la Clinique juridique One Health-Une seule santé
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Notes de l'article:

[1G. de Boisboissel et J.-M. Le Masson, « Le soldat augmenté : définitions », Revue Défense Nationale, Hors-série, n°HS1, 2017, p. 21.

[2P. Bourgeois, « "Oui à Iron Man, non à Spiderman !" Un nouveau cadre pour le soldat augmenté avec l’avis du Comité d’éthique de la défense en France », Brève stratégique, INSERM, n° 18, 24 févr. 2021, en ligne.

[3Ibid.

[4E. Abdoun, « Lentilles infrarouges  : voir la nuit comme en plein jour », Science et vie, 24 juin 2014, modifié le 20 mars 2019, en ligne.

[5G. de Boisboissel et J.-M. Le Masson, op cit., p. 22.

[6F. Canini, « Éthique médicale et homme augmenté : quelques pistes de réflexion », Revue Défense Nationale, 2017/HS1, n° Hors-série, p. 181-189.

[7J.-N. Nielsen, « Danish Perspective : Commentary on “Recommendations for the Ethical Use of Pharmacological Fatigue Countermeasures in the U.S. Military” », Aviation, Space, and Environmental Medicine, vol. 78, supplément 1, mai 2007, p. B134-B135 ; E. Roedig, « German perspective : commentary on “Recommendations for the ethical use of pharmacologic fatigue countermeasures in the U.S. military” », Aviation, Space, and Environmental Medicine, vol. 78, supplément 1, mai 2007, p. B136-B137.

[8Instruction n° 744/Def/Dcssa/Ast/Tec « relative à l’utilisation de substances modifiant la vigilance en opérations », Bulletin officiel des Armées, Edition Chronologique n°24 du 27 juin 2008.

[9Instruction précitée.

[10L. Lagneau, « Le ministère des Armées fixe le cadre des recherches sur le “soldat augmenté” », Zone Militaire, 5 déc. 2020.

[11France Inter, « Des “ciseaux” pour découper l’ADN, une révolution génétique qui n’est pas sans risque », Radiofrance.fr, 10 avril 2021.

[12E. Pourcel, « L’avenir du soldat est-il celui de l’homme augmenté ? », Revue Défense Nationale, 2018/5, n° 810, p. 72-77.

[13J. Le Gars, « Besoins et perspectives de l’augmentation des capacités du soldat », Les cahiers de la Revue Défense nationale, Actes enrichis de la journée d’études du 19 juin 2017 au ministère des Armées, Paris, 2017, p. 131.

[14Conseil de l’Europe - STE no. 164, « Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine » Oviedo, 4 avr. 1997.

[15E. Pourcel, op. cit., p.5

[16Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 Relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 Juin 1977.

[17Comité international de la Croix-Rouge, Convention de 1980 sur certaines armes classiques. Fiche technique, 28 nov. 2014 ; Comité international de la Croix-Rouge, « Les armes à laser aveuglantes », règle n°86.

[18T. Poole, « “Super Soldat chinois”  : mythe et réalité », BBC News Afrique, 14 févr. 2021.

[19Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

[20Conseil de l’Europe, op. cit., note 15, p. 6.

[21A. Quesne, « La création d’un soldat augmenté : opportunités et risques de la médecine améliorative », in A. Cayol, B. Bévière-Boyer et E. Gaillard (dir.), Le transhumanisme à l’ère de la médecine améliorative, Mare & Martin, à paraître. Vidéo de la communication disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=U10nHJMwvmM

[22Code de la défense, Partie législative, partie 4 : le personnel militaire, Livre Ier : statut général des militaires, Titre II : droit et obligations, article L4122-1.

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