L’interdiction de tenues religieuses lors de compétitions de football est maintenue.

Par Quentin Clément, Avocat.

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Explorer : # interdiction des tenues religieuses # neutralité du sport # liberté de conscience # bon fonctionnement du service public

Jeudi 29 juin 2023, le Conseil d’État s’est prononcé par une décision n° 458088, 459547 et 463408, sur la délicate question dite de « l’interdiction du hijab » lors des matchs officiels de football.

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La problématique est en réalité plus large dès lors que les statuts de la Fédération Française de Football (FFF) ne visent pas un vêtement religieux en particulier mais interdisent de façon plus générale « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical » et « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ».

En effet, l’article 1er des statuts de la FFF stipule que :

« La Fédération et ses organes déconcentrés, en tant qu’organes chargés d’une mission de service public déléguée par l’État, défendent les valeurs fondamentales de la République française et doivent mettre en œuvre les moyens permettant d’empêcher toute discrimination ou atteinte à la dignité d’une personne, en raison notamment de son sexe, de son orientation sexuelle, de son origine ethnique, de sa condition sociale, de son apparence physique, de ses convictions ou opinions. Par ailleurs, le respect de la tenue règlementaire et la règle 50 de la Charte olympique assurent la neutralité du sport sur les lieux de pratique. A ce double titre, sont interdits, à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées sur le territoire de la Fédération ou en lien avec celles-ci : - tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical, - tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale, - tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande, (…) ».

La question s’est toutefois très rapidement centrée, dans l’opinion publique, sur le port du hijab par des joueuses de football lors de matchs et compétitions.

Pour trancher la question de la légalité de l’article 1er des statuts de la FFF, le Conseil d’État a procédé en plusieurs étapes.

1. La juridiction administrative compétente pour connaître, en l’espèce, de la légalité des statuts de la FFF.

Le Conseil d’État a eu tout d’abord à trancher la question de sa compétence pour connaître du recours engagé par plusieurs associations sollicitant l’annulation des stipulations précitées des statuts de la Fédération Française de Football.

Les décisions prises par les fédérations sportives sont classiquement des actes de droit privé dès lors que ces fédérations sont elles-mêmes des personnes morales de droit privé, et non de droit public.

Toutefois, le Conseil d’État considère depuis longtemps que le législateur a chargé ces fédérations sportives françaises, dont celle de Football, d’une véritable mission de service public, à caractère administratif.

C’est dans ce cadre de l’exercice d’une telle mission de service public que les actes pris par ces fédérations de sport manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique.

Par conséquent, les décisions prises par les fédérations sportives dans leur exercice d’une mission de service public acquièrent le caractère d’acte administratif et relève alors de la compétence de la juridiction administrative.

En l’espèce, le fait d’insérer dans ses statuts des stipulations interdisant pendant les matchs de football le port de tenues manifestant une appartenance religieuse, relève de la mission d’organisation de compétitions de la FFF et présente, par conséquent, un caractère administratif.

C’est en suivant ce raisonnement que le Conseil d’État s’estime alors bien compétent pour connaître du recours.

2. Une interdiction légale de porter des signes religieux en compétition.

Sur le fond, il était demandé au Conseil d’État de trancher la question de savoir si, notamment, les stipulations précitées des statuts de la Fédération Française de Football méconnaissait les libertés de conscience, d’expression, de manifester ses croyances, ou si au contraire elles s’inséraient dans le champ de l’application du principe de neutralité.

Le Conseil d’État raisonne tout d’abord en distinguant deux types de personnes potentiellement concernées par l’interdiction du port de tenues manifestant une appartenance religieuse.

D’une part, la plus haute juridiction de l’ordre administrative considère, tout à fait logiquement, que le principe de neutralité s’applique aux agents de la FFF ainsi qu’aux personnes participant à l’exercice du service public confiée à cette fédération.

Cette position est rationnelle dès lors que le service public devant être neutre, les individus « incarnant » et « représentant » ce service public doivent se conformer eux aussi à ce principe de neutralité.

En revanche, comme le rappelle le Conseil d’État dans un second temps, ce principe de neutralité ne s’applique aucunement aux usagers d’un service public, qui jouissent de la liberté de manifester leurs convictions religieuses.

Le Conseil d’État explicite ensuite qu’une fédération sportive délégataire d’un service public dispose d’un pouvoir réglementaire lui permettant de définir des règles pour organiser et fixer le fonctionnement de ce service public.

En vertu de ce pouvoir d’organisation du service public, la FFF peut décider de limiter l’expression des opinions et convictions des joueuses de football lors des matchs et compétitions, si cela permet d’assurer le bon fonctionnement du service public, ou la protection des droits et libertés d’autrui.

Cette limitation doit bien évidemment être « adaptée et proportionnée » à cet objectif de bon fonctionnement du service public et/ou protection des droits et libertés d’autrui.

En se fondant sur ces considérations de « bon fonctionnement du service public », le Conseil d’État a considéré que la FFF pouvait légalement interdire des actes d’affichage religieux, tel que le port de certains vêtements, dès lors qu’ils sont de nature à faire obstacle au bon déroulement des matchs. Par cette démarche, les statuts de la FFF permettraient de prévenir tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport.

Les statuts de la FFF ne méconnaissent donc pas, selon le Conseil d’État, les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni d’autres textes consacrant des droits et libertés fondamentaux, puisque l’interdiction du port de tenues manifestant une appartenance religieuse est limitée aux temps et lieux des matchs de football.

3. Une position du Conseil d’État sujette à débat juridique.

Les juges du Palais Royal ne se sont pas placés, à juste titre juridiquement, sur le terrain du principe de neutralité malgré de nombreuses pressions politiques et médiatiques allant dans le sens d’une « neutralité du sport ». Un tel principe ne s’applique pas aux usagers d’un service public, ce que sont indéniablement les joueuses de football.

Le Conseil d’État a plutôt usé la notion jurisprudentielle de « bon fonctionnement du service public ».

Cette notion utilisée par le Conseil d’État, si elle n’est pas dénuée de fondement juridique et fait écho à une position jurisprudentielle déjà développée, étonne en l’espèce dès lors qu’il n’est nullement expliqué quels pourraient être les « affrontements ou confrontations sans lien avec le sport » dont fait état la décision du Conseil d’État…

Dès lors, il pourrait être simplement nécessaire pour une fédération sportive de faire état d’une crainte d’affrontements ou de confrontations au cours de compétitions sportives, sans plus de précision, pour prendre une mesure légale pourtant relativement restrictive de libertés fondamentales.

Il est également notable que la décision du Conseil d’État est rendue « sur conclusions contraires » du Rapporteur public, qui préconisait quant à lui une censure des stipulations litigieuses des statuts de la FFF.

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