L'Etat de droit : de la radicalisation religieuse au séparatisme. Par Nacer Kassous, Enseignant.

L’Etat de droit : de la radicalisation religieuse au séparatisme.

Par Nacer Kassous, Enseignant.

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L’assassinat tragique du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020 à la sortie d’un établissement scolaire, a relancé le débat en France sur la capacité du dispositif juridique de lutter contre la radicalisation religieuse, dans le cadre du respect de l’Etat de droit. L’objectif des pouvoirs publics en France est de protéger le modèle démocratique du communautarisme, du séparatisme, et de la radicalisation.

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L’enjeu est de savoir comment l’Etat démocratique se saisit de la radicalisation confessionnelle, et du séparatisme afin d’empêcher la violence radicale, toute en assurant, la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire ? Et sans pour autant laisser place à la promotion de l’apologie du terrorisme, entraînant un trouble à l’ordre public.

Le projet de loi contre le « séparatisme islamiste » (NDLR : devenu "Loi confortant le respect des principes de la République") présenté au Conseil d’État au mois de novembre, examiné ensuite au Conseil des ministres le 9 décembre 2020, coïncide avec une date hautement symbolique car la loi fondatrice de la laïcité en France est entrée en vigueur le 9 décembre 1905. Le séparatisme semble constituer un nouveau concept dans la lutte contre la radicalisation religieuse. L’objectif annoncé est d’intervenir le plus en amont possible du « passage à l’acte » violent. Le « séparatisme islamiste » est ici considéré comme le terreau d’une radicalisation violente, sans précisé s’il s’agit d’une nouvelle étape dans le processus de la radicalisation ou une conséquence de ce phénomène radical.

En effet, le droit comme instrument nécessaire pour la structuration de la société, a pour objectif d’assurer la protection des libertés, ainsi de maintenir l’ordre public, tout en apportant une réponse adéquate aux actes radicaux. Le fait que la radicalisation ne soit pas un phénomène mesurable, ni quantifiable, nous pouvons la définir comme étant la coexistence d’une idéologie radicale et d’une action violente qui a un objectif politique.

Les pouvoirs publics, en France, cherchent à mettre en œuvre tous les moyens en leur disposition afin de protéger le modèle démocratique du communautarisme, du séparatisme, et de la radicalisation. Année après année, les concepts se superposent et interrogent directement les juristes chargés de mettre en œuvre la politique publique de lutte contre la radicalisation religieuse. Parmi ces derniers, les praticiens du droit public qui occupent une place de choix, par leur implication d’appliquer la norme juridique dans la prévention, et la détection de la radicalisation, ils sont aussi aujourd’hui amenés à lutter contre le « séparatisme ».

La radicalisation religieuse connaît en effet de multiples définitions et, tend parfois à être amalgamée à d’autres notions comme le séparatisme, l’intégrisme religieux ou le communautarisme. « Le risque est de voir de la radicalisation là où il n’y en a pas forcément », et donc de restreindre certaines libertés là où il n’y a pas de danger avéré pour la société. En effet, soit la démocratie traite le terrorisme comme l’ensemble des infractions violentes avec le risque d’une relative impuissance, soit l’adoption d’une législation spécifique destinée à être efficace afin d’atténuer la protection juridique des jihadistes comme « the patriotact », sans avoir la certitude de mettre un terme aux attentats, et donc, d’une certaine façon, cela peut être une forme d’inclinaison face au radicalisme.

Le législateur a fait le choix de prendre en considération les besoins de l’autorité chargée de la sécurité, sans renoncer aux droits de la personne radicalisée. Une difficile conciliation sous le contrôle du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. L’objectif est de veiller au respect des impératifs constitutionnels et conventionnels. En effet, dans quelle mesure l’appréhension juridique du terrorisme permet-elle de lutter efficacement contre le phénomène radical tout en respectant l’État de droit ? La lutte contre cette criminalité particulière a été très bien posée par Gilles de Kerchove dans les termes suivants : « Une démocratie, a-t-elle les moyens, sans se renier elle-même, de lutter avec efficacité contre le terrorisme » ?

L’enjeu est de savoir comment l’Etat démocratique se saisit de la radicalisation confessionnelle, et du séparatisme afin d’empêcher la violence radicale, tout en assurant, la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire ? Et sans pour autant laisser place à la promotion de l’apologie du terrorisme, entraînant un trouble à l’ordre public.

L’action radicale à caractère religieux n’est considérée comme problématique du point de vue juridique, que lorsqu’elle débouche sur un acte incriminé par la loi. En effet, la saisine juridique de la radicalisation religieuse suscite des interrogations liées à la flottabilité d’une notion dont les contours restent flous. Ses effets sont par ailleurs considérables puisqu’elle a participé à faire évoluer le cadre de l’ordre public et à rendre plus perméable la frontière entre police administrative et police judiciaire.

Autrement dit, nous nous interrogeons sur la capacité du droit public en France à jouer d’une part, le rôle de prévention dans la lutte contre la radicalisation confessionnelle, dans le respect des principes des libertés sans qu’il ne soit qualifié de « droit public de l’ennemi » et à s’assurer d’autre part, que les normes de droit public n’appréhendent pas le phénomène radical violent par une prévention répressive qui s’inscrit dans le spectre du droit privé ?

Le droit public ne tend-il pas à développer des normes juridiques comportant des mesures de police administratives restrictives des libertés pour combattre l’action violente, à l’instar des fermetures des lieux de culte, de déchéance de nationalité, d’assignations à résidence, etc.., à partir de la théorie controversée des « ’signaux faibles » sans les garanties de la procédure pénale ? Cela ne peut-il pas être considéré comme une érosion de l’Etat de droit ?

Les réponses à ces interrogations sont particulièrement délicates. Désormais, derrière la volonté publique de promouvoir les valeurs laïques comme outil de prévention de la radicalisation religieuse et du séparatisme, se profile une lutte des idées, celle des conceptions et des perceptions, que le monde occidental peine à gagner sur ses propres territoires. Le débat d’idées est relativement flottant à cause de « la perte de vitesse de la laïcité », en effet, l’émergence d’une idéologie radicale au contenu élastique procurant à ses adeptes, un prétexte religieux, social et politique (I), s’est traduit par un traitement réservé à la notion de la radicalisation qui a donné lieu à un débat juridique sur la capacité de la démocratie de protéger les libertés, ainsi que l’ordre public au prisme de l’Etat de droit (II).

I- Les éléments définitionnels de la radicalisation religieuse.

L’émergence du concept de la radicalisation en France est un marqueur du retour du fait religieux sous une forme sectaire et violente. Le phénomène radical contemporain s’inspire fondamentalement de l’idéologie confessionnelle, via les réseaux sociaux. Le pouvoir d’emprise qu’exerce la notion de la radicalisation sur une partie de la population, en particulier la jeunesse (A), a créé des mutations des politiques publiques, en passant peut être de la radicalisation au séparatisme (B) mettant ainsi à l’épreuve l’État de droit (C).

A) La radicalisation.

L’étude de la notion de la radicalisation n’est pas limitée uniquement au monde universitaire, c’est ce qui en résulte de la prolifération des pratiques et des usages institutionnels en la matière. La variété sémantique attribuée à ce concept diffère d’un Etat à un autre, voire entre les multiples institutions au sein d’une même entité juridique. Il en ressort que la compréhension des phénomènes terroristes représente aujourd’hui une priorité des politiques publiques dans le domaine de lutte contre l’extrémisme. En France, l’adaptation de l’arsenal juridique de lutte contre le terrorisme avec la loi d’octobre 2017, en intégrant de nouveaux instruments. En France, la loi d’octobre de 2017 a intégré de nouveaux instruments pour adapter l’arsenal juridique existant à la lutte contre le terrorisme. C’est le même constat qu’on peut établir dans certains pays européens comme la création du Radicalisation Awarness Network ou RAN, puis Centre of Exellence RAN, au Royaume-Uni avec la stratégie Prevent Violent Extremism Program ou Prevent, aux Etats-Unis avec l’adoption d’une stratégie nommée Countering Violent Extremism ou CVE, au Canada avec la nouvelle stratégie de 2011 adoptée par le Ministère de la Sécurité publique : Renforcer la Résilience face au Terrorisme.

Les termes « prévention », « dé-radicalisation » se sont largement propagés en liaison à celui de la radicalisation depuis les attentats du 11 septembre 2001, notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Europe. Ces notions sont associées et trouvent de nouveaux intérêts en France depuis les récentes vagues d’attentats.

« La dé-radicalisation » vise à « anéantir » le processus de radicalisation via la réintégration des individus radicalisés dans la société. En effet, l’utilisation de ces termes a fait couler beaucoup d’encre entre les chercheurs eux-mêmes, mais aussi entre les praticiens de droit.

La radicalisation pose d’emblée une difficulté sémantique. En effet, le mot a souvent valeur de slogan, la notion « est issue du latin Radix qui signifie racine, origine. L’adjectif radical est issu du latin radicalis qui qualifie toute action visant un retour aux origines ». « La radicalisation religieuse n’est qu’une forme parmi d’autres, et la radicalisation islamiste n’en est que le dernier avatar » .

« Il existe une distinction de fond entre la radicalisation en tant que « processus » et le terrorisme en tant que « produit ». La radicalisation se situe en amont, le terrorisme en aval, c’est-à-dire que l’une peut mener à l’autre mais pas nécessairement ».

Le terme « radicalisation » dans le droit français n’existe pas, ce dernier emploie d’autres concepts pour rendre efficaces les réponses de l’action publique au fondamentalisme : radicalisme ou radicalité, fait référence à une époque ancienne.

« Selon les dictionnaires de l’âge classique, est radical ce qui sert de base et de fondement » (Furetière, 1968 : 1717),« qui a une vertu nutritive, ainsi qu’une racine » (Pomey, 1671 : 771) ; Richelet (1973 : 539) propose ainsi l’exemple suivant : « l’homme a radicalement la faculté de raisonner & de rire ». Les auteurs de cet ouvrage

« se réfèrent donc en premier lieu à l’essence, à l’origine ; « radicalisme » comme manière de désigner une attitude politique n’étant attesté en France que depuis 1820, selon un usage dérivé de l’anglais où il apparaît vers la fin du XVIIIe siècle ».

Cette appellation continue à alimenter le débat, en effet, la société française reste partagée, comme l’élite d’ailleurs, à l’usage de ce terme. La définition proposée par Furetière : « radical est également ce qui vise à agir sur la cause profonde des effets qu’on veut modifier » (1968 : 1717), « ce qui est drastique et absolu ». En ce sens, l’autorité en charge de la sécurité en France milite pour une réponse juridique extrême, radicale, mais un État de droit ne peut-il pas verser aussi facilement dans « des réponses sans nuances, donc des réponses radicales ? »

Par ailleurs, le traducteur Vincent Giroud explique pourquoi il a conservé l’usage des termes « radical » et « radicalisme » :

« dans le langage anglo-américain (...) est un radical celui qui se reconnaît le droit de juger ce qui est vrai et mensonger, juste et injuste, légitime et illégitime, désirable et condamnable, sans soumission aucune aux conventions et aux autorités ».

Halévy, en 1995, sur le contexte anglais du XVIIIe siècle :

« il ne sépare pas la défense des libertés individuelles de celle des libertés politiques et lie l’une et l’autre à la recherche du bien public et de la justice sociale. Associant la volonté de transformer les institutions, l’anti-autoritarisme, la critique du privilège, la méfiance à l’égard des défenseurs du pouvoir, l’attachement à la participation du peuple aux affaires de la nation, le radicalisme, quoiqu’il ait pu coïncider avec des projets révolutionnaires, relève d’une éthique du politique, plutôt qu’il ne désigne un mouvement régi par une fin déterminée ».

Le terme de radicalisation peut revêtir plusieurs dimensions, il renvoie ainsi à une pluralité de situations, ouvrant le champ à une ambivalence constante quant à la réalité même du phénomène. L’idée ici est d’avoir une appellation qui recouvre une sémantique le plus large possible, afin de pouvoir qualifier non seulement les raisonnements terroristes, mais également tout point de vue atypique qui pourrait être considéré comme extrême au sein d’une société. Cette dénomination devient rotative dès lors qu’elle est utilisée pour désigner par exemple le fait de devenir radical. Sans une précision complémentaire sur le sens précis de ce qu’est être radical.

Il semble difficile de comprendre l’extrémisme contemporain, sans mettre la lumière sur l’exposition des individus à des espaces numériques, validant l’action violente.

Ainsi, la prise en considération des éléments définitionnels, environnementaux et du contexte dénotatif dans lequel se trouvent les personnes et leurs influences sur les différentes trajectoires d’engagement radical permet d’adapter l’arsenal juridique.

La radicalisation ne doit pas être étudiée sur le seul angle sécuritaire, elle doit devenir une matière de connaissance de la société. Cette dernière met en relief les modalités de passage à l’action violente, à partir d’une adhésion idéologique et sur des modèles de décisions qui peuvent impliquer ambiguïté et énigme.

L’individu ne se radicalise pas en quelques jours, le processus semble plus long impliquant des changements invisibles au départ dans les modes de raisonnement, ainsi sur la sociabilité de ce dernier qui peut être perçu par son entourage sans parvenir à comprendre cette transformation ambivalente. En effet, il existe des enjeux de connaissance dans la perception du phénomène et de sa prise en charge par les sciences sociales, qui devancent largement la vision sécuritaire des services de police et de renseignement. Pour comprendre le radicalisme, il faut se concentrer sur l’individu, les modalités de son adhésion au groupe, l’interaction du groupe, de l’individu ; sur les idées et l’idéo-sphère de celui-ci car « La radicalisation est souvent considérée comme l’articulation entre une idéologie radicale extrémiste et une action violente plus ou moins organisée ».

Cette notion a trait à l’islamisme radical à caractère sectaire, il s’agit de la spécificité des groupes qui adhèrent à cette idéologie faisant directement référence à la religion. L’étude de cette conception tente d’apporter une explication en termes de sciences sociales, notamment en France : le retour du religieux sous une forme sectaire et violente. En effet, le phénomène radical contemporain s’inspire fondamentalement de l’idéologie salafiste via les réseaux sociaux. Le pouvoir de séduction qu’il exerce sur la population, en particulier la jeunesse, a parfois des conséquences désastreuses. Il s’agit en effet de comprendre les mutations du dogme religieux radical sur les individus dans un monde global interconnecté.

B) De la radicalisation au « séparatisme ».

Le modèle français de lutte contre la radicalisation menant au terrorisme naît en 2012 à la suite des attaques terroristes commises à Toulouse par Mohamed Merah.

Instaurant des normes juridiques exceptionnelles, de nouvelles infractions sont créées, une tendance qui vient en réaction aux attaques terroristes commises à Paris le 13 novembre 2015. L’arsenal juridique antiterroriste se transforme en instaurant l’idée d’une prévention pénale au sein des normes juridiques avec l’émergence du concept de radicalisation religieuse.

La politique normative de prévention de la radicalisation s’inscrit ainsi dans la continuité des premières politiques antiterroristes, dont l’ultime objectif est d’empêcher la réalisation d‘attentat sur le sol français, mais avec une évolution suite à l’intégration de la notion de la radicalisation qui signe une transformation majeure de la norme juridique restrictive des libertés.

La définition de la radicalisation adoptée par les pouvoirs publics reprend peu ou prou celle du sociologue Fahrad Khosrokavar. La radicalisation est « le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel ». Il s’agit de trois caractéristiques cumulatives : un processus progressif, l’adhésion à une idéologie extrémiste, l’adoption de la violence.

Le pouvoir central dans son combat contre la radicalisation a confié le pilotage décentralisé aux acteurs administratifs déconcentré de l’Etat, qui sont chargés de mettre en œuvre les trois missions de la lutte contre la radicalisation : prévention, détection et répression selon une batterie de mesures décidées au niveau national.

Le rapprochement entre la notion de la radicalisation et le séparatisme est plus récent. Emmanuel Macron déclare que

« le problème, c’est le séparatisme islamiste.
Ce projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles communautarisées qui sont le prétexte à l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République. C’est l’endoctrinement et par celui-ci, la négation de nos principes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité humaine. Le problème, c’est cette idéologie, qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République. Je ne demande à aucun de nos citoyens de croire ou de ne pas croire, de croire un peu ou modérément, ça n’est pas l’affaire de la République, mais je demande à tout citoyen, quelle que soit sa religion ou pas, de respecter absolument toutes les lois de la République
 ».

Si le séparatisme est une : « Attitude, tendance à sortir d’un ensemble national et à former une entité politique distincte de l’Etat d’origine ». Il convient, pour lutter contre la radicalisation, de prévenir ce séparatisme. Prendre des mesures de contrôle renforcé des établissements scolaires hors contrats, dissolution des associations, les actions de promotion de la laïcité et des valeurs de la République. Une vision qui prend en considération la théorie controversée de signaux faibles créant ainsi l’amalgame entre les besoins de sécurité et les « atteintes à la laïcité ». Ce qui peut conduire à une évolution de stigmatisation des musulmans de France, due à l’absence de considération qui pousse vers un repli séparatiste, à savoir augmenter l’échec d’intégration des populations musulmanes en France.

Si les politiques publiques antiterroristes françaises étaient conduites jusqu’alors par des magistrats et des services de police spécialisés, en 2014 une évolution est enregistrée selon Francesco Ragazzi, professeur à Leiden University qui se rapproche d’une « politique qui fait la synthèse entre les modèles nord-européens basés sur la représentation communautaire (Royaume-Uni, Pays Bas) et les pratiques françaises de prévention de la délinquance et de lutte contre les dérives sectaires ».

Pour la première fois, la lutte contre la « radicalisation » associe les acteurs publics de la sécurité (magistrat, renseignement, police) aux travailleurs sociaux, et de la protection judiciaire de la jeunesse et associations dans le cadre de la prévention spécialisée contre les dérives sectaires.

La dissolution d’associations à l’instar du Collectif de Lutte Contre l’Islamophobie (CCIF) sont-elles cependant les meilleures solutions au problème ? Cela peut-il vraiment aider à combattre le « séparatisme islamiste » ?

Le renforcement de la laïcité et les principes républicains, à travers une série de mesures visant à consolider l’arsenal juridique en matière de terrorisme, par le biais de la loi contre le séparatisme, ne constituent pas un diagnostic public au problème de la radicalisation, à savoir le manque d’intégration des musulmans en France ?

Existe-t-il une radicalisation des musulmans en France qui conduirait à une forme de séparatisme ?

Francesco Ragazzi répond à ces interrogations via une étude réalisée en France en 2018, il démontre que

« le niveau de confiance des musulmans dans les institutions est similaire à celui des non-musulmans, voire supérieur dans certains cas (comme l’école, avec un score de confiance de 6,9/10 pour les musulmans et de 6,3/10 pour le groupe de contrôle), à l’exception des médias (4,6/10 et 5/10) et des forces de l’ordre (6,5/10 et 6,9/10). Ce qui ressort de l’étude ressemble ainsi plutôt à une adhésion massive des musulmans de France à la République ».

« Or, cette confiance est d’autant plus surprenante que les musulmans déclarent dans le même temps se sentir discriminés, bien plus que le reste de la population (58% du groupe des musulmans contre 27% des non-musulmans). La différence entre les scores est encore plus frappante dans certaines situations : plus de 3 fois plus lors de la recherche d’un logement (24% contre 7%) ou à l’école (18% contre 5%), et jusqu’à 5 fois plus lors d’interactions avec la police (26% contre 5%) ».

L’étude met en avant un autre résultat important en démontrant « tant chez les musulmans que chez les non-musulmans, la baisse de confiance dans les institutions ainsi que le changement de comportement face à l’antiterrorisme (limitation de la liberté d’expression, repli) s’expliquent avant tout par un seul et même facteur, l’expérience de la discrimination ». Une autopsie qui interroge la démocratie en profondeur en tant que symbole de l’Etat de droit.

C) Le concept de L’Etat de droit.

La démocratie en tant que symbole de l’Etat de droit trouve sa logique dans l’idée qui consiste à dire que la notion de l’Etat de droit, permet aux valeurs démocratiques de s’exprimer dans le cadre de la l’égalité juridique. En effet, la protection de la norme juridique des principes démocratiques avec fermeté consolide l’existence de l’État de droit. Cette connexion entre les deux concepts constitue la pierre angulaire de la République Française. Ne pas respecter l’État de droit revient à « bafouer la République ». Donc, ne pas respecter les principes de la démocratie et de l’État de droit menace la continuité de la République, alors comment reconnaître l’État de droit ?

Le concept de l’État de droit est un système qui interagit avec d’autres éléments, pour fonder la République contemporaine qui se veut protectrice des libertés individuelles, à travers l’ensemble des règles du droit positif. Cela veut dire que l’État de droit est doté d’une valeur hiérarchique, la sénatrice Esther Benbassa déclare que : « La lutte implacable que nous devons mener contre le terrorisme ne nous impose pas inéluctablement de maintenir l’état d’urgence et de suspendre ainsi l’État de droit et le fonctionnement normal de nos institutions ». Elle place l’État de droit très haut au sein du système juridique, dans l’objectif d’éviter de couper le cordon ombilical entre le fonctionnement régulier des institutions et les règles constitutionnelles. En ce sens, Michel Mercier ex-sénateur engagé au centre droit de l’échiquier politique consolide cette hypothèse : « lorsque l’on veut réformer la Constitution, cela signifie que l’on est attaché à l’État de droit. Sinon, à quoi bon établir une règle suprême ? » Il établit donc une relation entre la constitution et le concept de l’État de droit.

Au demeurant, L’État de droit est ainsi dynamique par sa capacité d’adaptation aux besoins de la République, Éric Ciotti sénateur les Républicains annonce que ce concept est : « dynamique dans la mesure où celui-ci nécessiterait de s’adapter en fonction des contextes ». La dynamique de l’État de droit selon le sénateur Ciotti vient de sa faculté d’interagir avec d’autres éléments, à l’instar de l’état d’urgence ou des lois permettant de lutter efficacement contre la radicalisation religieuse.

L’État de droit, notion juridique.

Définir l’État de droit comme l’ensemble ou une partie du droit positif, ne résout pas la problématique sur le doute entretenu au sujet de l’appartenance ou non de l’état d’urgence à l’État de droit. L’État de droit selon la sénatrice Esther Benbassa dans son intervention susmentionnée, en tant que partie du droit positif, semble avoir une valeur hiérarchique importante, en soulignant le lien entre fonctionnement régulier des institutions, les règles matériellement constitutionnelles, et l’État de droit.

Un nombre important des interventions des parlementaires confirment l’idée qui consiste à dire que l’État de droit est une règle ou un ensemble des règles, offrant des garanties aux individus dans l’exercice de leurs libertés individuelles, en utilisant des termes tels que « les règles de notre État de droit », « les règles habituelles » ou encore le mot « garanties ». À ce titre, les garanties de l’État de droit seront en nette régression si l’état d’urgence est décrété, afin de ne pas permettre aux individus suspectés de commettre des actes terroristes de profiter de ses garanties pour accomplir leurs actions violentes. Toutefois, de vives critiques ont été soulevées par les défenseurs des libertés à l’encontre de l’état d’urgence qui selon eux représente un éventuel contournement de l’État de droit.

La conception dynamique de l’État de droit ouvre la voie à la possibilité d’intégrer de nouveaux dispositifs à ce concept. À cet égard, l’état d’urgence semble être un élément de l’ensemble constituant l’État de droit : l’état d’urgence peut être défini comme un ensemble de moyens d’action aux contours moins précis faisant partie d’ensemble plus large et que constitue l’État de droit. Une relation d’appartenance tantôt qualifiée de « dérogation à l’État de droit commun et habituel », tantôt d’« atteinte à l’État de droit » qui ne peut pas être légitimé par le motif de la lutte contre la radicalisation.

Afin de maintenir l’ordre public tout en faisant face à ses critiques, le pouvoir public a pris l’initiative d’adapter l’arsenal juridique français aux nouvelles menaces de la radicalisation, en essayant de trouver une formule qui assure à la fois la sécurité, pour calmer les voix qui réclament le retour au droit ordinaire. En effet, le droit public français connaît un nombre croissant de dispositions spécifiques à l’instar des assignations à résidence, les visites administratives, etc. Poursuivant l’objectif affiché d’une prévention toujours plus rigoureuse, considéré comme un régime juridique dérogeant au droit commun.

II- Le maintien de l’ordre public à l’épreuve de la radicalisation confessionnelle.

L’État de droit en tant que concept formel soumit l’action de l’État au droit, en se préoccupant davantage du contenu de la norme juridique. Par conséquent, l’État de droit se révèle donc étroitement lié à la primauté du maintien de l’ordre public restrictif des droits et des libertés individuelles. Ne pas respecter l’État de droit revient à « bafouer la République ». Donc, ne pas respecter les principes de la démocratie menace la continuité de la République, d’où l’intérêt du maintien de l’ordre public en respectant l’État de droit (A), notamment les dispositions administratives (B).

A) La nécessité de protection de l’ordre public conformément à l’État de droit.

« L’ordre public dont son maintien est la finalité de la police administrative, implique la préservation du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques et plus récemment du respect de la dignité de la personne humaine ». Cela traduit l’engagement des pouvoirs publics dans les sociétés contemporaines dans la protection de l’ordre public, une bataille menée en effet par l’autorité administrative en France à travers les contraintes administratives et policières, sous le fondement d’un régime dérogatoire à l’instar de l’état d’urgence, pour assurer le maintien de la sécurité publique.

Selon Hauriou, l’ordre public général est avant tout un ordre « matériel et extérieur » dont les atteintes extérieures provoquent des réactions telles qu’elles peuvent se traduire par des troubles. Des caractères que nous retrouvons dans le contenu de l’article 97 de la loi du 5 avril 1884, l’article L2212-2 du CGCT précise le contenu, non limitatif, de l’ordre public général qui comprend notamment la sûreté et la sécurité (sauvegarde de la sécurité physique des personnes et de l’intégrité matérielle des biens), la tranquillité publique. En revanche le Conseil constitutionnel « n’a jamais défini ce qu’il entendait par ordre public... mais, à la lecture de ces décisions, il est facile de comprendre ce à quoi il fait référence. Il s’agit en fait d’une notion que tout le monde comprend sans qu’il soit besoin de lui donner une définition précise ». Cependant la définition de l’ordre public que le Conseil constitutionnel semble adopté est très proche de celle utilisée en droit administratif français depuis plus de deux siècles.

L’ordre et la tranquillité sont devenus le nouveau paysage de sociétés modernes, pour ce faire, l’autorité administrative en France a employé tous les moyens juridiques pour répondre à la préoccupation de la paix, et la sérénité de chaque individu, notamment dans le cadre de la lutte contre la radicalisation religieuse.

« Autrement dit, la prévention des atteintes à l’ordre public est devenue nécessaire à la sauvegarde de nos libertés, ainsi que l’affirme le Conseil constitutionnel de manière répétée ». Peut-on prévenir la radicalisation religieuse avant qu’elle ne se transforme en acte radical menaçant l’ordre public ?

Le concept de la laïcité en France autorise de limiter l’expression d’une religion, une morale, une idéologie politique, dès lors qu’elle porte atteinte à ce que l’État garantit, à l’instar de l’ordre public, les droits et les libertés. La séparation du politique et du religieux est la pièce maîtresse de la laïcité juridique en France, en l’espèce, dans le cadre de lutte contre la radicalisation religieuse, seuls les effets politiques et sociaux du fait religieux justifient une restriction des droits des individus concernés. Il est donc admissible pour le maintien de l’ordre public de prendre des mesures préventives à l’encontre d’une personne susceptible de troubler la tranquillité publique. En effet, la prise de dispositions pour lutter contre la radicalisation est légale, tandis que la mise en œuvre peut s’avérer arbitraire.

La difficulté pour les pouvoirs publics est dans la connexité entre ce qui relève de la radicalisation idéologique pacifique non prohibée par la loi, et la radicalisation violente incriminée par le dispositif juridique. Pour la première notion, ne pas lutter contre ce qui peut être considéré théoriquement comme le terreau qui alimente les actes violents, augmente le risque d’inefficacité de l’action publique, car l’objectif visé n’est pas à la mesure du phénomène. Pour la seconde hypothèse, visée plus large en intégrant la radicalisation non-violente peut constituer une atteinte au concept de la laïcité qui représente la pierre angulaire de l’état de droit en France. La sortie de cette impasse se fait peut-être en concentrant l’effort de l’action publique contre « la radicalité seulement active ». C’est la raison pour laquelle la France a édicté la loi du 30 octobre 2017 relative à la lutte contre le terrorisme.

La radicalisation est donc contrôlée par des mesures issues de la loi du 30 octobre 2017, que si elle engendre des effets qui peuvent troubler l’ordre public, qui sont censurées si elles sont considérées comme illégales par le juge administratif, dans le cas où elles empiéteraient sur le concept de « la laïcité qui prévaut en France, où le for interne est libre, mais le for externe limité par la nécessité de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui et à l’intérêt général ». La juridiction administrative appelle en effet à la neutralité de l’État, même quand il s’agit de mesures de protection de l’ordre public. C’est un modèle politique qui impose de règles juridiques laïques, non discriminatoires, protectrices des droits de l’homme et des libertés, ainsi que la mise en œuvre de ses normes juridiques ne doit pas compromettre les valeurs démocratiques de l’État de droit.

En outre, l’ordre public est au cœur du dispositif de protection des valeurs républicaines, « une dimension axiologique à l’ordre public est permanente, mais selon les époques, les valeurs que l’on veut lui faire servir peuvent être très différentes, d’une portée liberticide très variable ». L’ordre public est annexé soit à un élément de moralité commune, c’est-à-dire une assise de valeurs partagées par la grande majorité, soit les principes de l’ordre politique républicain, ou encore les droits de l’homme. Autant de segments immatériels censés enrayer la radicalisation confessionnelle pour incompatibilité qu’il faut prouver à l’aide de curseurs comme les mœurs, les principes de la République, les droits fondamentaux, et le vivre ensemble en tant que nouvelle composante de l’ordre public.

1- La notion de l’ordre public : du trouble matériel au critère immatériel.

L’intégration de l’élément immatériel dans le concept de protection de l’ordre public s’est opérée avec la promulgation de la loin° 2004-228 du 15 mars 2004, destinée à protéger l’ordre public dans l’école, et endiguer le développement de la norme religieuse considérée inacceptable avec le principe de la laïcité. Cette loi a été jugée nécessaire pour prévenir le fait religieux dans les écoles, par le biais d’interdictions de tout signe religieux ostentatoire qui manifeste l’appartenance à une religion. Une interdiction indépendamment de tout trouble à l’ordre public scolaire, il ne s’agit pas d’interdire le comportement d’un élève, mais la manifestation d’une appartenance religieuse.

A cela, s’ajoute la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, une nouvelle catégorie de substitution constituant une nouvelle composante de l’ordre public ; le vivre ensemble. « Les exigences minimales de la vie en société admise par le Conseil constitutionnel s’opposent à la radicalisation religieuse exprimée par le port public du voile intégral ». Le juge administratif a ainsi intégré l’élément matériel dans le cadre de la protection de l’ordre public, en considérant que « le port du niqab », défaut d’assimilation caractérisé pour prononcer le refus de la nationalité française. Un « défaut d’assimilation dans les propos hostiles à la laïcité et à la tolérance révélant un rejet des valeurs essentielles de la société française », permettant ainsi à l’élaboration d’un ordre public matériel pour la prévention de la radicalisation religieuse.

Les mesures de prévention prises après les attentats de 2015 contre le phénomène radical religieux destiné à prévenir le terrorisme, ont créé un arsenal juridique pour contrôler la croyance religieuse, à l’instar de la surveillance des prêches dans les mosquées, la formation des imams, autant de dispositions juridiques permettant à l’État de mettre la main sur la foi musulmane. Une situation qui a poussé Frédéric Dieu, rapporteur public au Conseil d’État à s’interroger, si la notion de l’ordre laïc ne tend pas à concurrencer l’ordre public.

2- Ordre public matériel ou ordre public immatériel pour prévenir la radicalisation religieuse ?

La tentative d’anéantissement de la radicalisation religieuse menant à une action violente radicale est conduite sur la base des valeurs d’une société démocratique, à l’instar du principe de la laïcité, et non pas sur la base d’un ordre moral. En effet, l’idéologie religieuse radicale n’est pas interdite, sauf si ces expressions publiques peuvent mener à la commission d’un acte terroriste. Le Conseil constitutionnel via la QPC du 21 février 2013 déclare :

« que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ».

Il existe une difficulté réelle dans « la distinction entre ordre public matériel et immatériel, stimulante mais paresseuse dans la mesure où elle conduit à confondre plusieurs conceptions possibles de l’immatériel (mœurs, droits, politiques) et dissimule les fondements immatériels de l’ordre matériel ». Dès lors, il est nécessaire d’admettre l’existence de l’immatériel dans le matériel, pour cerner les principes directeurs du dispositif de l’ordre public, protecteur des libertés en adaptant le principe de neutralité de l’État, qui permet la protection de la notion d’ordre public, tout en assumant sa part immatérielle, non pas seulement au nom de la prévention de la radicalisation confessionnelle, non pas au nom de la laïcité, mais au nom des conditions de protection des valeurs démocratiques et de pérennisation de l’État de droit.

A cet égard, le juge administratif tente d’opérer une conciliation entre « le droit d’expression collective des idées et des opinions et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ». Le Conseil d’État à la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 19 février 2016, relative à l’article 8 de la loi sur l’état d’urgence, se prononce suite à la fermeture d’une salle de prière musulmane dans les termes suivants : « la liberté du culte a le caractère d’une liberté fondamentale [...] et qu’elle a également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice d’un culte ». Il a abouti « qu’un arrêté prescrivant la fermeture d’un lieu de culte, telle qu’une salle de prière, est susceptible de porter atteinte à cette liberté fondamentale ».

Une décision de la juridiction administrative qui reconnaît la partie estompée, a pour objectif d’éclaircir les mesures préventives de lutte contre la radicalisation religieuse. Certains magistrats considèrent que la prévention de l’action radicale est démesurée et floue, c’est ce que déclare le syndicat de la magistrature concernant les effets des mesures prises pour la protection de l’ordre public dans le cadre de lutte contre la radicalisation occultant : « les dérives et les abus que contiennent en germe des mesures préventives prises sans contrôle juridictionnel préalable et fondées non sur une infraction déterminée ou déterminable, mais sur le critère dangereusement flou d’un “comportement suspect” ». Ces mesures de police administrative sont-elles indispensables pour préserver la liberté collective et l’ordre public ? L’individu, doit-il accepter que l’autorité administrative qui garantit l’exercice de ses droits en temps de paix, le rappelle à ses devoirs lorsque l’ordre public est menacé ?

Joël Andriantsimbazovina, apporte une réponse à ces interrogations dans les termes suivants :

« pour déterminer l’étendue du pouvoir de police dans un cas particulier, il faut toujours se rappeler que les pouvoirs de police sont toujours des restrictions aux libertés des particuliers, que le point de départ de notre droit public est dans l’ensemble les libertés des citoyens, que la Déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle et la restriction de police l’exception ».

L’assignation à résidence, la fermeture des lieux de culte et salles de spectacle, autant de décisions prises sous le fondement des « notes blanches » en lien avec l’islamisme radical. À titre d’exemple, sur un panel de 775 décisions, le terme « islam » apparaît dans 412 décisions, « radical » dans 260 décisions, « radicaux » dans 101 décisions et islamisme dans 43 décisions. Des mesures qui dérogent au droit commun, restrictives des libertés, telles que la liberté d’aller et venir et de circuler des personnes, afin de protéger la société d’éventuels troubles que celles-ci pourraient causer à l’ordre public. Le but n’est pas la répression d’un acte qui peut s’avérer illicite, mais d’anéantir à jamais la probabilité même de son existence. L’état d’urgence apparaît donc comme une situation « exceptionnelle » visant à répondre à un péril « imminent », justifiant ainsi les pouvoirs exceptionnels des autorités administratives dans la mission de protection de la sécurité publique.

Si l’octroi de tels pouvoirs à l’administration peut être légitimé partiellement par la menace terroriste qui pèse sur la France, il serait très difficile, voire inacceptable, de justifier la restriction des libertés, comme la liberté de circuler, d’aller et venir, de mener une vie « normale », manifester ses idées politiques, ou même d’interdiction de séjour de militants qui s’opposent à la COP21. Le juge administratif aurait pu pousser une réflexion via le contrôle de légalité pour développer une doctrine, détaillant les conditions qui encadrent le recours à ces mesures restrictives des libertés. Or, il a opté pour une conception minimale de son contrôle laissant ainsi planer, « les suspicions concernant sa capacité à être, pleinement, juge des libertés », et des valeurs de l’État de droit dont il s’est investi comme protecteur.

B- Les mesures de police administratives.

La loi du 20 novembre 2015 prévoit un cadre des obligations à l’encontre de la personne assignée à résidence : douze heures par jour à domicile, trois passages au commissariat par jour, obligation de demeurer dans le ressort de la commune sauf autorisation expresse du préfet. Ainsi, des obligations impactant la vie privée et familiale et l’activité professionnelle de l’individu telle que : Les notes blanches fonctionnent comme un système de « casier administratif ».

1- L’assignation à résidence.

L’administration a fait recours à cette mesure de manière requérante dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, des assignations à résidence ont été prises dans la dissolution des associations liées aux activités d’un ancien imam au sein d’une mosquée, ainsi dans l’affaire de la mosquée « Al Rawda » quatre assignations à résidences pour des individus qui fréquentaient ce lieu de culte.

Dans ce contexte sécuritaire tendu le Conseil d’État considère « qu’en l’état de l’instruction, que chacune des sept mesures d’assignation à résidence dont il était saisi traduisait, compte tenu du comportement de la personne concernée et de la mobilisation particulière des forces de l’ordre, une conciliation entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public qui ne portait pas une atteinte manifestement illégale à la liberté d’aller et venir. Il a donc jugé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer des mesures de sauvegarde ». En effet dans le considérant 29, le Conseil poursuit son raisonnement en expliquant que « le ministre de l’Intérieur, conciliant les différents intérêts en présence ». Autrement dit, la mobilisation des forces de l’ordre sur d’autres fronts peut justifier des mesures restrictives de libertés à l’encontre de personnes, susceptibles de créer de potentiels troubles à l’ordre public selon les critères de l’autorité administrative, afin de ne pas « détourner les forces publiques de leur mission ».

C’est le principe de nécessité fonctionnelle qui est mis en avant par la juridiction administrative, pour justifier ses mesures restrictives des libertés, à l’instar de l’assignation à résidence. Alors, il est possible de prononcer une assignation à résidence sous prétexte de manque de moyens humains, telle que les forces de police soient en sous-effectif dans un secteur précis, ou manque d’éléments de preuve, comme de simples suspicions non fondées, par exemple, en se trouvant aux abords du domicile d’une victime, ou encore, telle qu’une personne ayant croisé les frères Kouachi, auteurs d’un sanglant attentat.

« Finalement, la conciliation entre les exigences de la liberté et celles de l’ordre public semble bien faible, le résultat étant, non pas de rendre ces deux exigences compatibles, mais plutôt de rendre l’exercice des libertés compatibles avec les exigences de l’ordre public tel qu’il soit conçu par les autorités administratives dans le cadre de l’état d’urgence ».

2- La valeur juridique des « notes blanches » et l’État de droit.

L’examen du juge administratif des mesures administratives selon deux procédures : le référé suspension, qui implique l’existence d’une situation d’urgence et la présence d’un doute sérieux sur la légalité de la mesure contestée, et le référé-liberté, qui nécessite l’existence d’une urgence et d’une atteinte grave et illégale à une liberté fondamentale. Le juge administratif exerce son contrôle sur des mesures de police administrative dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, en se basant sur les « notes blanches » : des documents produits par les services de renseignements, ni datés, ni signés, contenant une multitude d’informations variées qui n’y constituent pas forcément des preuves tangibles, et reposent parfois sur des simples déclarations sur les réseaux sociaux, ou pour la participation à une marche. Il s’agit en réalité d’un

« document imprimé issu d’un simple traitement de texte, dans lequel les services de renseignements ont réuni, pour les besoins de la cause, un certain nombre d’informations sur une personne. Évidemment, la note ne mentionne aucune source ni aucun élément permettant de déterminer les modalités de recueil de ces informations ».

« Les notes blanches fonctionnent comme un système de « casier administratif », indépendant du casier judiciaire. Ainsi le profil de l’intéressé dressé dans les notes blanches et son comportement passé, ainsi que sa personnalité, son environnement familial, social et professionnel et plus largement ses fréquentations, ses réseaux notamment numériques (réseaux sociaux, etc.) dessinent un panoptique d’infirmations visant à mesurer sa dangerosité potentielle et le risque virtuel de passage à l’acte violent ».

Des informations parcellaires pour apprécier une éventuelle menace justifiant la prise des mesures de police restrictives des libertés, à l’instar des « assignations à résidence ».

Le Conseil d’État a admis le recours aux « notes blanches » pour justifier les mesures d’assignations à résidence. Ainsi, il a accepté les « notes blanches » en tant qu’élément de preuve devant sa juridiction, au motif que « ce procédé permet de protéger le secret des sources et des méthodes de service de renseignements, et qu’il existe toujours une possibilité pour le requérant de contester les faits mentionnés dans ces documents ». Une reconnaissance du juge administratif qui a fait couler beaucoup d’encre, et qui interroge sur la force de vérité de ses documents. Une situation délicate pour le juge qui ne peut pas obliger l’administration de révéler ses sources et ses méthodes, mais ne peut pas non plus considérer ses écrits comme contenant des éléments probants dans tous les cas, compte tenu du non-respect du principe du contradictoire.

Alors, c’est au cas par cas, à l’occasion d’un débat de fait, que les « notes blanches » doivent être confirmées ou infirmées.

« Il ne suffit donc pas qu’une note blanche pose des affirmations générales. En revanche, à partir du moment où elle apporte des éléments circonstanciés, susceptibles d’être contestés et remis en cause par le requérant, ils sont pris en compte comme éléments probants par le juge, dans le cadre du débat contradictoire ».

Car il s’agit d’évaluer la dangerosité d’un comportement d’un individu, à partir d’un écrit administratif qui contient des informations générales,

« établis par les services de renseignements et transmis aux autorités politiques et judiciaires - qui fondent bien souvent, et parfois uniquement, les mesures contestées.

La question de la valeur probante des « notes blanches », et de leurs cousines « notes de renseignements », est d’autant plus sensible que ces documents permettent, ou pas, d’établir la réalité d’un « comportement » - non plus d’une « activité » telle que prévue par la loi de 1955 en sa version initiale -, notion en elle-même très floue et susceptible d’être interprétée de manière très extensive ».

L’objectif de ces mesures de police administrative est la prévention et non pas la répression, il ne s’agit pas de réprimer des actes, mais de prévenir contre les effets des comportements, qui peuvent constituer des tentatives de commission d’actes menaçant la sécurité et l’ordre public.

« Ainsi, la notion de comportement ne doit pas être appréhendée à travers le prisme de notre droit pénal, mais renvoie au rôle de l’autorité administrative, de surcroît dans un contexte de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » (art. 1er de la loi du 3 avril 1955). En outre, le juge administratif exerce un contrôle réel, a posteriori, sur l’existence d’un tel comportement, établie le cas échéant par le biais d’une « note blanche », dans le cadre de son office juridictionnel ».

Cela étant que la conception de l’État de droit peut être fragilisée, si les mesures de police prises dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, à l’instar des « notes blanches » dérogent totalement ou partiellement au cadre juridique, qui impose le respect de la hiérarchie des normes, et particulièrement le respect des droits fondamentaux, constitutionnellement protégés, assurés par un juge indépendant et impartial dans le respect total du principe de séparation des pouvoirs, et la protection de l’ordre public.

Nacer Kassous
Enseignant à l’Université Toulouse 1 Capitole : ATER en droit public.

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