Dans une affaire très médiatisée en France ces derniers mois, deux familles ayant pour nom patronymique Renault ont décidé d’attaquer en justice le célèbre constructeur automobile homonyme pour vouloir utiliser comme marque la dénomination ZOE pour identifier son futur véhicule électrique.
A la rentrée 2010, RENAULT a en effet dévoilé en avant-première un nouveau modèle de voiture électrique, baptisé ZOE, et destiné à être commercialisé mi-2012.
Plusieurs familles françaises Renault, pour certaines comptant parmi leurs membres une Zoé, ont alors élevé la voix craignant que la nouvelle dénomination commerciale choisie par RENAULT soit source de railleries au détriment de leurs enfants. Deux familles ont même décidé, soutenues en cela par l’Association pour la défense de nos prénoms, d’attaquer en justice le constructeur automobile pour l’empêcher de poursuivre son projet de marque s’estimant victimes d’une atteinte au respect à la vie privée et aux fonctions des prénoms de chaque individu.
Saisi en la forme des référés, le Tribunal de grande instance de Paris vient cependant de les débouter, le 10 novembre 2010, considérant que le caractère urgent de l’affaire n’était pas établi, dans la mesure où les demandeurs ne démontraient pas l’existence d’un dommage imminent. Bien que nous n’ayons pas eu accès à l’ordonnance rendue, il est possible de penser que la décision fut en partie motivée par le fait que la commercialisation prévue par RENAULT ne devrait pas être effective avant 18 mois, mais peut-être aussi du fait de l’existence d’une marque ZOE au nom de la société RENAULT, enregistrée en France depuis 1991 (1), et sans doute ainsi antérieure à la naissance des deux jeunes filles prénommées Zoé, que leurs parents cherchent à protéger.
Les deux familles ne comptent toutefois pas en rester là et ont laissé entendre, par la voix de leur avocat, qu’elles allaient poursuivre leur action au fond (2).
S’il est acquis qu’un prénom peut être déposé à titre de marque (3), se posera en revanche la question de la possibilité en droit de s’opposer à l’usage d’une marque sur le fondement d’un droit de la personnalité, a priori postérieur, composé d’un prénom ou de la combinaison d’un prénom et d’un nom.
Sur le terrain du droit des marques, on sait que "Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : […] g) Au droit de la personnalité d’un tiers, notamment à son nom patronymique, à son pseudonyme ou à son image […]", ainsi qu’en dispose l’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle.
En revanche, sur quel fondement et en invoquant précisément quel type d’atteinte aux droits de la personnalité serait-il possible de faire obstacle à l’exploitation d’une marque, enregistrée depuis près de 20 ans, visiblement exploitée et tout au moins non susceptible de déchéance pour défaut d’exploitation (étant donné le battage médiatique autour du nouveau modèle de RENAULT), sur la base d’un prénom, même associé à un nom patronymique, qui est postérieur au dépôt de la marque ?
Sans vouloir préjuger de la stratégie des familles Renault ni encore moins de la réponse judiciaire qui sera donnée à leur action, nous rappellerons cependant qu’il a déjà été jugé que "les prénoms ne confèrent à la différence du nom patronymique aucun droit" (4).
En tout état de cause, gageons que les débats présenteront un intérêt certain.
Manuel ROCHE
Juriste Conseil en propriété industrielle
Cabinet WAGRET
(1) Marque française ZOE (en majuscules et sans accent) N°1662977, du 21 mai 1991, enregistrée en classe 12, notamment pour des "voitures automobiles terrestres".
(2) V. également le site Internet de soutien http://www.zoerenault.com/.
(3) V. la liste non limitative de l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
(4) CA Paris, 22 oct. 1999, "Daniel Elise"