Le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 (JORF n°0304 du 31 décembre 2023) portant simplification de la procédure d’appel en matière civile a procédé à un « toilettage » de l’article 954 du Code de Procédure civile.
Il est entré en vigueur le 1er septembre 2024.
Il s’applique aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date.
I- L’obligation de formuler expressément ses prétentions dans les conclusions.
L’article 954 du Code de Procédure Civile dispose : « Les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues aux deuxième à quatrième alinéas de l’article 960. Elles formulent expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes conclusions sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties reprennent, dans leurs dernières conclusions, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs ».
Le second alinéa dispose désormais :
« les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ».
L’article 954 du Code de Procédure Civile pose donc par écrit :
- L’exigence jurisprudentielle de demander l’annulation ou l’infirmation dans le dispositif des conclusions d’appelant ;
- L’obligation d’énoncer les chefs du dispositif du jugement critiqué dans le dispositif des conclusions d’appelant et d’appelant incident.
II- L’obligation d’examiner les pièces régulièrement versées aux débats.
Les pièces numérotées doivent apparaître dans les conclusions de manière claire et lisible, comme les prétentions ainsi que les moyens soutenus en appel à l’appui des prétentions.
En l’absence de renvoi par les conclusions aux pièces produites, la Cour peut-elle refuser d’examiner les pièces régulièrement versées aux débats et clairement identifiées dans les conclusions prises au soutien de ses prétentions ?
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a répondu positivement.
Afin que les choses soient claires, la Cour de cassation rappelle à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qu’elle a ajouté au texte de l’article 954 du Code de Procédure Civile, une condition qu’il ne prévoit pas.
Aucune sanction ne s’attache à l’absence de renvoi par les conclusions aux pièces produites par d’autres termes dans les conclusions d’appel dès lors que les pièces ont été régulièrement versées aux débats.
1- Les faits et la procédure.
Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 février 2022), Mme [F] a saisi un tribunal judiciaire d’une demande d’ouverture des opérations de copte, liquidation et partage de l’indivision existant entre elle et M. [W].
M. [W] a relevé appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire.
Pour confirmer le jugement, l’arrêt de la Cour retient que dans les douze pages que comptent les conclusions de M. [W], aucun renvoi n’est fait aux quatre-vingt-quinze pièces figurant dans son dernier bordereau et qu’ainsi la cour d’appel n’est pas mise en mesure de vérifier les calculs de l’appelant et les preuves des règlements qu’il prétend avoir effectués.
La deuxième chambre civile juge que cette absence de renvoi par les conclusions aux pièces produites, n’est assortie d’aucune sanction.
2. L’examen du moyen.
1°- Par son premier moyen, M. [W] fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir fixer le montant de la contribution de Mme [F] au titre du prêt immobilier de 200 000 euros et, en conséquence, de le débouter de sa demande tendant à ce que Mme [F] soit déclarée redevable à l’indivision d’une somme de 21 934,65 euros au titre de ce prêt, alors que : « l’obligation pour les parties d’indiquer, pour chaque prétention, les pièces invoquées et leur numérotation, prévue à l’article 954 du Code de procédure civile, n’est assortie d’aucune sanction ; qu’en rejetant néanmoins la demande de M. [W], motif pris que « dans les 12 pages que comptent les conclusions de M. [P] [W], appelant, aucun renvoi n’est fait aux 95 pièces figurant dans son dernier bordereau de pièces. La cour n’est donc pas mise en mesure de vérifier les calculs de l’appelant et les preuves des règlements qu’il prétend avoir effectués seul », la cour d’appel a violé l’article 954 du Code de procédure civile et l’article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
2°- Par son deuxième moyen, M. [W] fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir fixer le montant de la contribution de Mme [F] au titre du prêt relais (capital et intérêts) et, en conséquence, de le débouter de sa demande tendant à ce que Mme [F] soit déclarée redevable à l’indivision d’une somme de 73 372,21 euros au titre du prêt relais et d’une somme de 6 188,98 euros au titre de sa quote-part sur les intérêts du prêt-relai, alors que : « l’obligation pour les parties d’indiquer, pour chaque prétention, les pièces invoquées et leur numérotation, prévue à l’article 954 du code de procédure civile, n’est assortie d’aucune sanction ; qu’en rejetant néanmoins les demandes de M. [W] au motif que énoncé que dans les 12 pages que comptent ses conclusions, aucun renvoi n’est fait aux 95 pièces figurant dans son dernier bordereau de pièces, de sorte qu’elle n’est pas mise en mesure de vérifier les calculs de l’appelant et les preuves des règlements qu’il prétend avoir effectué, la cour d’appel a violé l’article 954 du code de procédure civile et l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
3°- Par son troisième moyen, M. [W] fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir fixer le montant de la contribution de Mme [F] au titre du prêt relais (capital et intérêts) et, en conséquence, de le débouter de sa demande tendant à ce que Mme [F] soit déclarée redevable à l’indivision d’une somme de 6 188,98 euros au titre de sa quote-part sur les intérêts du prêt relais, alors que : « l’obligation pour les parties d’indiquer, pour chaque prétention, les pièces invoquées et leur numérotation, prévue à l’article 954 du code de procédure civile, n’est assortie d’aucune sanction ; qu’en rejetant néanmoins les demandes de M. [W] au motif que « dans les 12 pages que comptent les conclusions de M. [P] [W], appelant, aucun renvoi n’est fait aux 95 pièces figurant dans son dernier bordereau de pièces. La cour n’est donc pas mise en mesure de vérifier les calculs de l’appelant et les preuves des règlements qu’il prétend avoir effectués », la cour d’appel a violé l’article 954 du code de procédure civile et l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
3. La réponse de la Cour de cassation.
Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 954, alinéa 1ᵉʳ, du Code de procédure civile :
Selon le second de ces textes, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Pour confirmer le jugement, l’arrêt retient que dans les douze pages que comptent les conclusions de M. [W], aucun renvoi n’est fait aux quatre-vingt-quinze pièces figurant dans son dernier bordereau et qu’ainsi la cour d’appel n’est pas mise en mesure de vérifier les calculs de l’appelant et les preuves des règlements qu’il prétend avoir effectués.
En statuant ainsi, alors que, sauf à priver l’appelant du droit à l’accès à un tribunal consacré par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette absence de renvoi par les conclusions aux pièces produites, qui n’est assortie d’aucune sanction, ne la dispensait pas de son obligation d’examiner les pièces régulièrement versées aux débats par M. [W] et clairement identifiées dans les conclusions prises au soutien de ses prétentions, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 février 2022, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée ;
Elle rappelle donc, sous le visa de cet l’article 954 précité, que, sauf à priver l’appelant du droit à l’accès à un tribunal consacré par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette absence de renvoi par les conclusions aux pièces produites, qui n’est assortie d’aucune sanction, ne dispensait pas la Cour de son obligation d’examiner les pièces régulièrement versées aux débats par M. [W] et clairement identifiées dans les conclusions prises au soutien de ses prétentions, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Tel est le principe.
Notes :
- Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 (JORF n°0304 du 31 décembre 2023) entre en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024.Il est applicable aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date ;
- Cassation Civ. 2ème du 28 novembre 2024- Pourvoi T n°22-16.664 ;
- Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- Article 954 du Code de Procédure Civile.
Discussions en cours :
Mon Cher Confrère
N’est-ce pas vous, j’avoue que le rythme des lectures me fait perdre un peu la mémoire, qui avez commenté précédemment, un arrêt de la Cedh qui a en quelque sorte stigmatisé l’application du CPC français ?
Dans l’affirmative, je note votre vigilance à propos de certaines pratiques disons "dérivantes" et je vous en remercie.
Il est vrai qu’en 40 années d’exercie, le paysage a bien changé.
Eric Chouquer
Mon Cher Confrère,
J’accuse réception de votre message.
En réponse, vous trouverez ci-joint le lien vers l’article dans lequel j’ai récemment commenté l’arrêt de la CEDH publié sur le village de la justice le 22 novembre 2024.
L’ANNEXE A LA DECLARATION D’APPEL, QUELLE VALEUR ?
https://www.village-justice.com/articles/annexe-declaration-appel-quelle-valeur,51523.html
Vous en souhaitant bonne réception.
Bien Cordialement.