Est-ce qu’il est possible d’engager la responsabilité de l’Etat pour la gestion de cette pandémie ?
Est-ce qu’il est possible d’engager la responsabilité des établissements de santé pour un patient qui contracte la Covid lors de son hospitalisation ? Si oui, sur quel fondement ?
Quid des personnes qui déclarent des symptômes graves à la suite de la contamination et/ou à la suite de la vaccination ?
Quid des opérations, initialement bénignes, reportées pour surcharge des services ?
Comment indemniser la souffrance liée à la perte de ces milliers de personnes ?
I) Sur la responsabilité pour faute de l’Etat.
Par trois arrêts remarqués, la Cour administrative d’appel de Paris a reconnu la responsabilité pour faute de l’Etat dans la gestion de cette crise sanitaire mondiale [3].
Ces arrêts laissent pantois en ce que la responsabilité reconnue est partielle et l’indemnisation des victimes fortement limitées.
La cour retient une faute de l’Etat dans sa communication au début de l’épidémie sur l’utilité du port du masque et sur sa gestion des stocks de masques.
Les appelants soutenaient d’autres fautes de l’Etat : absence de dépistage de toutes les personnes présentant des symptômes dès le mois de mars 2020, absence d’anticipation quant à la production des tests, décision de confiner la population au 16 mars 2020 alors que l’Etat était informé de l’ampleur de cette crise dès décembre 2019 et atteinte au principe de précaution.
La cour rejette, par ces trois arrêts, la responsabilité de l’Etat sur ces fondements.
Sont seulement prises en compte la faute de communication au début de l’épidémie s’agissant de l’utilité du port du masque (pour rappel de ce qui était affirmé, il convient de visionner l’interview de Mme Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement de l’époque [4]) et la faute dans le maintien et la gestion des stocks de masques.
Une première étape est franchie.
En revanche, la cour a fortement limité l’indemnisation des victimes.
En effet ; elle précise :
« les fautes relevées au point précédent ne peuvent être regardées comme étant directement à l’origine de la contamination d’un individu donné. Toutefois, les personnes qui, sans qu’un comportement à risque puisse leur être reproché, établissent avoir été particulièrement exposées au virus, notamment du fait de leur profession, dans des conditions qui ne leur permettaient pas de maintenir des distances physiques avec les personnes potentiellement contagieuses, peuvent, le cas échéant, être regardées comme ayant été privées d’une chance d’échapper à la contamination. Le préjudice résultant directement de ces fautes n’est alors pas le dommage survenu, mais la perte d’une chance d’éviter ce dommage. La réparation qui incombe à l’Etat doit, dès lors, être évaluée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ».
Concrètement, la cour ouvre la voie à l’ensemble des praticiens, des professionnels de santé (de l’agent d’accueil des urgences en passant par les infirmiers salariés ou libéraux, brancardiers etc).
Ces derniers peuvent agir contre l’Etat mais l’indemnisation allouée sera faible.
En l’espèce, une des requérantes obtiendra une indemnisation à hauteur de 500 euros et l’épouse d’un médecin généraliste devant consulter sans masque sera portée à 14 000 euros.
L’on conseillera alors, lorsque les conditions sont remplies, d’user la voie de la responsabilité sans faute.
II) Sur la contamination par la Covid-19 en tant qu’infection nosocomiale.
Les commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (C.C.I.) s’attendaient à une vague de dossiers.
Il semblerait que les victimes de la Covid se soient abstenues d’agir.
Ces commissions peuvent être saisies sur simple formulaire disponible en ligne [5].
Elles ont vocation à rendre de simples avis sur la qualité de la prise en charge des patients, la commission de fautes, la survenance d’un accident médical fautif ou non etc.
C’est dans ce contexte que certaines victimes de proche, décédé de la Covid à l’hôpital, ont décidé de porter leur chagrin devant cette commission.
Si certaines commissions ont été réfractaires à l’idée de reconnaitre la contamination par la Covid-19 comme une infection nosocomiale, il semble désormais que ce ne soit plus le cas.
Deux théories s’opposaient : celle d’affirmer, littérature médicale à l’appui, que le malade avait plus de chance de contracter la Covid-19 à l’extérieur de l’hôpital qu’à l’intérieur et celle de rappeler que la définition de l’infection nosocomiale était sans équivoque [6] : celui qui contracte une infection au cours ou au décours d’une prise en charge, en l’espèce, la Covid-19, est victime d’une infection nosocomiale et donc ses proches ont droit à une indemnisation totale.
La démonstration de la contamination lors de son hospitalisation repose sur la réalisation d’un test négatif à l’entrée de l’hospitalisation et la réalisation d’un test positif mais essentiellement sur la date d’apparition des premiers symptômes.
La note CNAMeD (Commission Nationale des Accidents Médicaux) du 23 juin 2021, réactualisée le 13 juillet 2022, est un outil utilisé pour déterminer le délai d’incubation et donc la contamination au cours de l’hospitalisation.
« Lorsque les premiers symptômes sont apparus après l’entrée à l’hôpital, le fait que la contamination soit intervenue à l’hôpital est : improbable si le délai est < 2 jours - vraisemblable si le délai est de 2 à 5 jours - certaine si le délai est > 5 jours ».
Ainsi, un patient admis aux urgences, non porteur de la Covid, et qui manifeste des symptômes 2 jours après son admission et dont il est reconnu porteur de la Covid, est susceptible d’engager la responsabilité sans faute de l’établissement.
La différence de traitement est majeure car les proches de celui-ci auront droit à une indemnisation totale.
Ils peuvent obtenir, au titre de la solidarité nationale, indemnisation du préjudice successoral des souffrances endurées par le proche décédé, de leur préjudice moral, de leur préjudice d’accompagnement, des frais funéraires, du préjudice économique etc.
Cette prise de position est celle retenue par certaines commissions.
A ce jour, aucune juridiction n’a été amenée à se positionner et il faudra attendre plusieurs années avant qu’une jurisprudence soit établie.
En tout état de cause, la jurisprudence actuelle admet largement la définition de l’infection nosocomiale.
L’on relèvera, à titre d’exemple, cet arrêt surprenant du 15 juillet 2022 traitant d’une infection provoquée par le frottement des ridelles d’un lit médicalisé [7].
Il est donc à parier que les juridictions suivent le raisonnement adopté par les CCI sous réserve d’apporter la preuve que le patient a effectivement contracté la Covid-19 lors de sa prise en charge.
L’impact juridique de la Covid-19 est source d’une réelle insécurité juridique et d’une incompréhension des victimes.
Le médecin qui contracte le virus car il a été envoyé au front sans arme du fait de la faute de l’Etat est indemnisé faiblement alors que celui qui est pris en charge par l’hôpital et qui contracte le virus, a droit à une indemnisation totale.
Comment expliquer aux familles des victimes, qui supportent une peine similaire, ce contraste indemnitaire ?
Se pose également la question de ceux qui n’ont pas pu être pris en charge car les services étaient saturés.
L’état de santé, non alarmant, est devenu catastrophique. Comment les indemniser justement ?
La question de l’indemnisation des « covid longs » est tout aussi vague.
Enfin, la survenance d’effets indésirables graves ou de symptomatologie non prévue post-vaccination semble réelle.
Ce sont 156 788 000 injections qui ont été réalisées [8].
Il est indispensable d’étayer la littérature médicale pour aider les praticiens du droit à éclairer les victimes.
Le rôle du Conseil est d’alerter son client sur le bien-fondé de l’action envisagée.
En l’absence de textes législatifs et de jurisprudences, cette mission relève de la cryptesthésie.