Que l’origine de l’arrêt de travail soit professionnelle ou non, c’est le dépassement du seuil des 30 jours qui déclenche l’obligation de passer la visite médicale. Il incombe à l’employeur de l’organiser dans un délai de 8 jours à compter du retour du salarié, mais ce dernier peut la réclamer lui-même en cas de carence de l’employeur. Le médecin du travail apprécie alors l’aptitude de l’intéressé à reprendre son poste et, si nécessaire, peut en suggérer l’aménagement ou l’adaptation.
Deux examens sauf « danger immédiat »
En principe, la visite se déroule en deux examens médicaux espacés de deux semaines, le premier permettant au médecin de rendre un premier avis temporaire, avant de se prononcer définitivement. La procédure dite « d’urgence » permet une déclaration d’inaptitude à l’issue d’un unique examen si le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou encore celle des tiers fréquentés professionnellement. Elle est appliquée en cas de « danger immédiat » ; sous cet intitulé correspondant à un film avec Harrisson Ford, se cache l’impossibilité absolue de reprendre le travail dans l’entreprise, le but étant de ne plus faire cohabiter un salarié avec un environnement que le médecin estime nocif.
Dialogue Médecin du travail – Chef d’entreprise
Si le Code du travail (cf. notamment article R. 4624-31) ainsi que le Ministère (circulaire DGT 13, du 9 novembre 2012) soulignent le rôle du médecin, qui doit réaliser une étude du poste et des conditions de travail dans l’entreprise, il n’en demeure pas moins que la responsabilité finale du reclassement du salarié dans l’entreprise incombe bel et bien à l’employeur et à lui seul. En effet, si le salarié est déclaré inapte à reprendre son emploi précédent, l’employeur est tenu de rechercher un autre emploi, approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail. Ces dispositions sont applicables aussi bien aux CDI qu’aux CDD.
Il s’agit là du point de passage entre le domaine strictement médical et l’organisation de l’entreprise : en effet, l’employeur doit construire un dialogue avec le médecin, dont il doit d’ailleurs obligatoirement solliciter l’avis.
A ce titre, le praticien peut d’ailleurs ouvrir des pistes à l’employeur selon le libellé de son diagnostic : aptitude sous réserve, inaptitude temporaire, inaptitude définitive, inaptitude à tout poste dans l’entreprise, inaptitude partielle … Avec ce « passage de relais » l’employeur doit d’abord vérifier si le poste initial continue de convenir ou s’il mérite d’être adapté, voire tout simplement s’il est possible de l’adapter. Dans ce dernier cas et, a fortiori en cas de changement de poste, l’emploi proposé doit être aussi comparable que possible au précédent ; l’employeur peut recourir à des mesures telles que mutations, transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail. Bien entendu, toute modification doit faire l’objet d’une validation par le médecin, seul capable de déterminer les capacités physiques du salarié à reprendre tel ou tel emploi. Rappelons que c’est néanmoins à l’employeur de prendre l’initiative du reclassement et qu’il ne peut pas conséquent se retrancher derrière l’éventuelle absence de proposition émanant du médecin du travail (Cass. soc. 9 mai 1995, RJS 1995. 421 n°638) ; c’est donc bien à lui de prendre en considération les propositions du médecin du travail, au besoin en les sollicitant (soc. 28 juin 2006 : RJS 2006.785 n°1057).
Inapte définitif à tout poste … mais à reclasser quand même !
Pour corser l’affaire – et c’est là que l’on confine à l’absurdité – l’avis du médecin du travail déclarant un salarié « inapte à tout travail » (soc. 9 juillet 2008 : RJS 2008.805 n°982) ou « à tout emploi dans l’entreprise » (soc 7 septembre 2009 : RJS 2009.750 n°848) ne dispense pas l’employeur de rechercher des possibilités de reclassement ! Il lui faut donc non seulement rechercher de telles solutions, mais également les soumettre au médecin du travail, voire en le sollicitant comme rappelé ci-dessus … alors même que c’est ce praticien qui rend vaines ses mêmes recherches … Le tout sans « faire semblant », la jurisprudence sanctionnant les tentatives de reclassement qui ne sont « pas sérieuses » (Soc. 30 avril 2009 : JS Lamy 2009 n°257-3).
30 jours chrono
Pour éviter que la situation, inconfortable aussi bien pour l’employeur que pour le salarié ne s’éternise, le Code du travail a enfermé la procédure dans un délai d’un mois qui commence à courir à l’issue du deuxième examen : l’employeur doit donc avoir mené des recherches suffisantes en vue du reclassement et, le cas échéant, engagé et achevé la procédure de licenciement sous 30 jours.
A défaut, il doit reprendre le paiement du salaire, ce qui est pour le moins incitatif. Notons d’ailleurs que ce versement intervient non seulement et même si le médecin du travail a constaté l’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise (Soc 26 février 2005 : RJS 2005.356 n°504) tandis que, parallèlement, l’obligation de reclassement continue de courir (Soc. 3 mai 2006) …
Cercles concentriques
Quant au périmètre « opérationnel » de l’obligation de reclassement, il concerne évidemment en premier lieu l’entreprise elle-même, mais s’étend également, le cas échéant, à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur, parmi les entreprises « dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permette d’effectuer la mutation de tout ou partie du personnel » (Soc. 19 mai 1998 : Bull. Civ. V n°264). Il n’est pas nécessaire pour cela que soit constitué un « groupe » au sens juridique du terme puisque la Cour de Cassation a reconnu la possibilité de permutation parmi différentes sociétés ayant un papier à entête identique, les mêmes coordonné »s et leur siège social au même endroit (Soc. 25 mars 2009 : JCP S 2009.1295) ou au sein de 7 sociétés indépendantes situées dans la même région et regroupées sous un même sigle, utilisant des outils de communication communs (Soc. 24 juin 2009 : RJS 2009.696 n°784).
Obligation de moyens
Malgré ces règles très strictes et au combien d’écueils, l’obligation de reclassement reste classée dans la catégorie des obligations de moyens dont on sait, en droit français, qu’elle se distingue de celle dites « de résultat » : elle exige que l’employeur y applique ses soins et ses capacités, sans avoir forcément à parvenir à un résultat déterminé … Par conséquent, l’étendue et la profondeur des recherches sont en principe appréciées par les juges en fonction de la taille de l’entreprise, aussi bien en termes d’effectifs que de chiffre d’affaires. Coté salarié, entre en compte le niveau de formation ou de compétence : ainsi a été déclaré abusif le licenciement prononcé pour inaptitude d’un salarié titulaire d’un BTS de productique auquel l’employeur n’avait pas proposé (pas plus qu’il ne l’avait fait auprès du médecin du travail) un poste disponible d’électromécanicien en guise de reclassement (Soc. 9 juin 2010, n°08-44922).
On rappelle à cette occasion que les employeurs ont l’obligation de former les salariés à l’évolution de leurs emplois. Néanmoins, cette obligation ne saurait aller jusqu’à créer un poste exprès pour reclasser le salarié, et encore moins à procéder au licenciement du titulaire du poste qui serait le seul susceptible d’être occupé par l’inapte (Soc. 9 juillet 2008, n°07-40319).
Le(s) poste(s) susceptible(s) d’être proposé(s) doivent être disponible(s) pendant la procédure ou à court terme. Ainsi, la Cour de Cassation a sanctionné un employeur qui avait licencié un salarié chauffeur-livreur à la suite de son inaptitude, alors qu’il avait la possibilité d’aménager un autre poste, au conditionnement, correspondant aux conditions de travail préconisées par le médecin et qu’il a d’ailleurs procédé à des recrutements peu après ledit licenciement (Soc. 13 novembre 1991, n°88-45 586).
En revanche, est bien fondé le licenciement d’un technico-commercial déclaré inapte à la conduite automobile et à tout travail manuel, avec cependant la possibilité d’une affectation à poste de bureau à caractère sédentaire, dans une entreprise de 15 personnes où tous les postes administratifs étaient déjà pourvus (Soc. 6 février 2008, n°0845219) ; ou encore celui d’un salarié déclaré inapte à son ancien poste de maçon mais apte à un poste sédentaire de type gardiennage ou magasinier, dans une entreprise ne disposant d’aucun poste conforme aux préconisations du médecin du travail, le seul poste de magasinier ayant été précédemment supprimé tandis que le poste de gardien était pourvu à l’époque du licenciement (Soc. 12 juillet 2006, n°05-43813).
Attention à la preuve
Au-delà de la reprise du versement du salaire en cas de dépassement du délai d’un mois évoqué ci-dessus, ce sont des dommages-intérêts qui peuvent sanctionner l’employeur indélicat. En effet, le manquement à l’obligation de recherche de reclassement rend le licenciement abusif. Si le motif (impossibilité de reclassement suite à inaptitude) est objectif, ne reposant sur aucun grief contre le salarié, il n’en demeure pas moins qu’il incombe à l’employeur d’apporter la preuve du respect de son obligation de reclassement. Il arrive fréquemment que des chefs d’entreprise se pensent couverts par l’avis du Médecin du travail, dont le caractère tranché (« inaptitude à tout poste », par exemple) et scientifique, rassure. En réalité (juridique), il n’en n’est rien : la Cour de cassation a depuis longtemps balayé un tel argument (Cass. soc. 13 février 1991, n°87-42.118 ; 8 octobre 1991, n°90-41.550). Il appartient à l’employeur de justifier de l’impossibilité où il se trouve de donner suite aux propositions du médecin du travail (Soc. 10 mai 1995 n°91-43.748).
Ces exemples illustrent les données juridiques plus théoriques exposées plus haut ; ils démontrent également que la tâche, si elle est difficile, n’est pas insurmontable. Encore faut-il que l’employeur fasse preuve de rigueur et d’application dans le processus procédural, où le dialogue avec le médecin du travail revêt une importance cruciale.
Il s’avère au final que l’obligation de recherche de reclassement se situe entre le « moyen » et le « résultat » : on parle souvent « d’obligation de moyen renforcée ».
Discussions en cours :
Bonjour Maitre,
Je viens d’être licencié pour inaptitude définitive au poste de "mécanicien".
Avant le licenciement m’à été proposé un poste de "chargé de clientèle", avec un salaire de 1000 euros bruts inferieur à celui d’avant. Rien à voir avec mes compétences et avec un salaire au smic. Naturellement j’ai refusé ce type de reclassement.
En ayant les compétences pour recouvrir des mansions administratives (comme préconisé par le médecin du travail) et 10 ans d’expérience dans la technique de ce secteur, et en sachant que un chef mécanicien à été licencié dans la même société en suite à mise à pied il y a peu de temps, est mon licenciement susceptible d’être à la limite de la légalité ? De plus la CPAM se refuse de reconnaitre mon accident dans la normative des risques professionnels, après une visite de 3 minutes chrono du médecin conseil, même après ma demande de recours amiable, et un et j’ai été donc licencié sans les indemnité spéciales d’inaptitude. Merci pour vôtre considération.