Cet avis constitue donc l’acte II de la démarche de la Haute juridiction d’explication des règles instaurées par le décret JADE (décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du Code de justice administrative), entré en vigueur au 1er janvier 2017.
Il est de jurisprudence constante que la juridiction administrative ne peut être saisie que par un recours formé contre une décision de l’administration.
Le juge administratif n’est donc pas compétent pour faire droit à des demandes d’injonction, formulées à titre principal, sans annuler préalablement un acte administratif (CE, 10 mars 1995, Guy-Michel X., req. n° 116359).
Le juge administratif ne peut enjoindre à l’administration de prendre une décision qu’elle est, elle-même, en mesure de prendre.
L’irrecevabilité des conclusions à fin d’injonction, à titre principal, constitue d’ailleurs un moyen d’ordre public qu’il appartient au juge de soulever d’office (CE, 17 avril 1963, Faderne : publié au Rec. Lebon).
Celui-ci peut seulement procéder à des injonctions lorsqu’elles sont rendues nécessaires par le jugement ou l’arrêt, qui implique que la personne morale de droit public ou l’organisme de droit privé, chargé de la gestion d’un service public, prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé ou réexamine la situation du requérant (Articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative).
Notons que l’article 40 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice permet maintenant à la juridiction de prescrire d’office une mesure d’injonction, sans qu’il ne soit plus nécessaire qu’elle soit saisie de conclusions en ce sens.
En matière de contentieux indemnitaire, le requérant doit donc adresser une demande indemnitaire préalable, sollicitant le versement d’une somme d’argent en compensation d’un préjudice lié à un comportement fautif de l’administration.
Cette demande aboutit à faire naître une décision de l’administration permettant de lier le contentieux devant la juridiction administrative.
L’absence de cette démarche préalable entraine l’irrecevabilité de la requête, sans qu’il n’y ait une obligation, pour le juge, d’inviter le requérant à régulariser sa requête (CE, 8 janvier 1997, Société des grands magasins de l’Ouest, nos 171807, 171808 et 171809 : mentionné dans les Tables du Rec. Lebon).
Pour autant, cette demande préalable n’a pas à être chiffrée. Le requérant peut seulement demander à l’administration de réparer d’un préjudice et ne chiffrer ses prétentions que devant le juge administratif (CE 30 juillet 2003, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, no 244618 : mentionné dans les Tables du Rec. Lebon).
Le requérant doit également veiller à être en mesure de prouver, par tous moyens, la date du dépôt de sa demande à l’administration (Article R. 421-2 alinéa 2 du code de justice administrative).
I. La situation juridique antérieure au 1er janvier 2017.
Avant l’entrée en vigueur du décret JADE, le juge administratif considérait que la règle de la demande indemnitaire préalable pouvait être régularisée en cours d’instance.
Le requérant, qui avait introduit, devant le juge administratif, un contentieux indemnitaire à une date où il n’avait présenté aucune demande indemnitaire devant l’administration, pouvait régulariser ses conclusions s’il formait, postérieurement à l’introduction de son recours, une demande auprès de l’administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci faisait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue (CE, 11 avril 2008, Établissement Français du Sang, req. n° 281374 : publié au Rec. Lebon).
Pour le dire autrement, le requérant pouvait régulariser sa requête si sa demande indemnitaire préalable intervenait, au moins, deux mois avant, permettant à l’administration de se prononcer sur cette demande avant la date du jugement, y compris au moyen d’une décision implicite de rejet.
L’administration pouvait également lier le contentieux en répondant aux conclusions indemnitaires au fond, sans soulever d’abord leur irrecevabilité (CE, 21 novembre 1975, Société La grande brasserie moderne, req. no 90171 : publié au Rec. Lebon).
Cependant, elle ne liait pas le contentieux lorsqu’elle concluait, à titre principal, à l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires pour défaut de décision préalable avant de conclure, à titre subsidiaire, au rejet au fond de ces conclusions indemnitaires (CE, 21 février 1997, Quille, req. n° 86678 : publié au Rec. Lebon ; CE, 4 décembre 2013, req. n° 354386 : mentionné dans les tables du Rec. Lebon).
Tout comme d’autres dispositions modifiées du code de justice administrative, le décret JADE, par son article 10, est venu bouleverser cet équilibre.
II. La situation juridique postérieure au 1er janvier 2017.
Le décret JADE a modifié la rédaction de l’article R. 421-1 du code de justice administratif en y intégrant le paragraphe suivant : « Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle. »
Il résultait donc de la lecture de cette disposition, pourtant assez intelligible à la différence d’autres dispositions créées par le même décret, que la recevabilité de la requête indemnitaire était conditionnée à l’intervention préalable de la décision de l’administration, rejetant la demande indemnitaire préalable.
Dorénavant, le requérant devait adresser sa demande indemnitaire et attendre que la décision de l’administration intervienne avant de saisir le juge administratif.
Or, l’avis commenté vient interpréter différemment l’article R. 421-1 du code de justice administrative.
Dans un premier temps, le Conseil d’État réaffirme le principe de la liaison du contentieux et de l’irrecevabilité d’une requête tendant au versement d’une somme d’argent en l’absence de toute décision de l’administration, même si, dans son mémoire en défense, l’administration n’a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n’étaient pas fondées.
Il semble donc que la jurisprudence antérieure soit assouplie puisque la requête pourra être déclarée irrecevable si l’administration conteste, au fond, le bienfondé des conclusions indemnitaires sans conclure d’abord à leur irrecevabilité.
Si la liaison du contentieux est une obligation qui est maintenue, elle ne résulte donc plus automatiquement de l’argumentation, opposée par l’administration, sur le bienfondé des demandes.
Cette nouvelle règle s’émancipe donc tant de la lettre de l’article R. 421-1 du code de justice administrative que de la jurisprudence antérieure.
Dans un second temps, le Conseil d’État explicite le second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative. Pour lui, la condition de recevabilité de la requête, tenant à l’existence d’une décision préalable de l’administration, n’a pas à être appréciée à la date de son introduction.
Se référant implicitement à l’esprit de la jurisprudence Établissement Français du Sang, la Haute juridiction indique que la recevabilité de la requête doit être analysée à la date à laquelle le juge statue.
L’intervention d’une décision de l’administration en cours d’instance, expresse ou implicite, suffit à régulariser la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision.
Par ce nouvel avis portant sur le décret JADE, s’émancipant de la rédaction de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, le Conseil d’État confirme donc que la liaison du contentieux reste possible en cours d’instance.
Discussion en cours :
Au final, je n’ai pas compris ce qui avait changé pour le recours indemnitaire ...