En regardant du côté des nombreuses propositions de lois déposées ces derniers temps, je suis tombé sur un texte visant à encadrer l’organisation de rassemblements sur la voie publique au moyen d’un réseau de communications électroniques.
Autrement dit, les auteurs veulent tout simplement encadrer légalement la tenue des "apéros géants" organisés par l’intermédiaire de certains réseaux sociaux ou de toute manifestation y ressemblant étrangement.
Face aux "rassemblements sur la voie publique d’un nouveau genre" qui "rencontrent un succès populaire justifié par leur caractère convivial et festif", ces députés déplorent le problème de l’irresponsabilité "découlant principalement de la facilité de leur mode d’organisation, par la voie d’un simple appel au rassemblement sur Internet, qui conduit fréquemment leurs « organisateurs » à omettre de se conformer aux obligations inhérentes à la préparation de toute manifestation : déclaration en Préfecture, organisation d’un service d’ordre et d’un dispositif sanitaire."
C’est pourquoi les auteurs du texte veulent simplement soumettre ces rassemblements aux obligations légales notamment pour des questions de sécurité publique.
Ainsi l’article premier de la proposition de loi vient compléter l’article 1e du décret du 23 octobre 1935 (celui-ci prévoit l’obligation d’une déclaration préalable pour toute manifestation sur la voie publique) en y ajoutant :
"Toute personne qui appelle à un rassemblement sur la voie publique, notamment par l’intermédiaire d’un réseau de communications électroniques, à une date et à un lieu précis est considérée comme étant l’organisateur de cette manifestation et est tenue de procéder à sa déclaration dans les conditions fixées par la loi."
La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs, et est signée par trois d’entre eux, faisant élection de domicile dans le département ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté.
Ceci pouvant entraîner, en cas de risque de troubles graves à l’ordre public, la prise de mesures visant notamment à interdire le port et le transport de certains objets dans une zone géographique déterminée et pour une durée limitée ; le tout devant être proportionné aux circonstances de l’espèce.
La manifestation peut aussi être purement et simplement interdite.
L’objectif est donc atteint : il y a désormais un organisateur qui devra effectuer la déclaration préalable et sera considéré comme responsable.
La disposition tend à s’appliquer à l’ensemble des rassemblements organisées sur la voie publique ; l’utilisation des réseaux sociaux n’étant qu’une illustration visant juste à marquer la mode du moment. Bref, elle ne change pas vraiment le texte en vigueur qui impose déjà une déclaration préalable pour toute manifestation ayant lieu sur la voie publique.
Oui, mais encore faut il que l’on puisse identifier cette personne qui appelle à un rassemblement sur la voie publique à une date et à un lieu précis.
Que se passe-t-il si quelqu’un, gardant l’anonymat, décide de réunir un maximum de monde, en distribuant des tracts par exemple, et qu’une majorité de gens répondent à son appel ? Qui sera organisateur et donc responsable ?
Bref, le problème de l’identification du ou des organisateur(s) n’est donc pas forcément résolu.
Rappelons alors que le fait d’organiser une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable est puni par l’article 431-9 du code pénal de six mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende.
La même peine est encourue si la manifestation a lieu alors qu’elle était interdite ou que la déclaration inexacte ou incomplète était de nature à tromper sur l’objet ou les conditions du rassemblement.
Mais, comme nul n’est pénalement responsable que de son propre fait, encore faudra-t-il pouvoir imputer les faits à quelqu’un...
Vu que la proposition de loi ne fait pour l’instant qu’ajouter du texte au texte sans réel changement, les auteurs ont décidé de prévoir une aggravation de la sanction prévue à l’article 431-9 du code pénal de manière assez original :
"Dès lors que l’instigateur d’une manifestation sur la voie publique a été invité à se présenter auprès des services compétents pour en prévoir les modalités d’organisation et qu’il n’y a pas répondu, son silence constitue une circonstance aggravante punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende et entraîne l’interdiction automatique de ladite manifestation."
La peine est doublée et la manifestation automatiquement interdite dès lors que, invité à se présenter auprès des services compétents, l’instigateur de la manifestation ne répond pas.
Au final, ce texte, qui veut encadrer l’organisation des fameux apéros géants, ne change pas grand chose si ce n’est l’ajout d’une petite dose de répression supplémentaire...
Notons aussi qu’une autre proposition de loi sur le même sujet (visant à réglementer les rassemblements festifs organisés par le biais d’Internet ) a été déposée par un autre député.
Le texte vise à modifier l’article 23-1 de la loi du 21 janvier 1995 qui concerne l’organisation des "rave-parties". La disposition modifiée disposerait ainsi que "les rassemblements exclusivement festifs à caractère musical ou organisés par le biais d’internet" doivent faire l’objet d’une déclaration à la préfecture, qui "mentionne les mesures envisagées pour garantir la sécurité, la salubrité, l’hygiène et la tranquillité publiques".
Le préfet aurait alors la possibilité d’imposer certaines mesures, ou pourrait même "interdire le rassemblement projeté si celui-ci est de nature à troubler gravement l’ordre public ou si, en dépit d’une mise en demeure préalable adressée à l’organisateur, les mesures prises par celui-ci pour assurer le bon déroulement du rassemblement sont insuffisantes".
Le défaut de déclaration serait puni d’une amende de 1500 euros à l’encontre de l’organisation. Cependant l’auteur de la proposition note dans l’exposé des motifs que "le problème principal (des apéros géants) tient en l’absence d’organisation clairement définie", et qu’il "peut même arriver qu’il n’y ait pas d’organisateur identifié". Dans ce cas, le député propose que le préfet considère que l’absence d’organisateur clairement identifié est un motif valable d’interdiction du rassemblement, ce qui est déjà parfois le cas en pratique.
Thomas CAUSSAINT