L’incendie de Notre-Dame a marqué la France entière et provoqué un impressionnant élan de solidarité, auquel souhaitent se joindre de nombreuses collectivités territoriales. Cependant, la portée sentimentale de cette catastrophe ne doit pas faire oublier la règle pivot en matière d’interventionnisme public local : l’intérêt public local.
Il est en effet acquis en jurisprudence que les collectivités territoriales ne peuvent pas intervenir de manière totalement libre, puisqu’elles doivent poursuivre un intérêt public local (CE, 31 mai 2006, n°275531, Ordre des avocats au barreau de Paris).
Ce principe trouve à s’appliquer pour le financement d’une rénovation, comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans un arrêt de principe de 1997 (CE, 16 juillet 1997, n°170069, Département de l’Oise). Pour rappel, dans cette affaire, le département de l’Oise avait voté une participation au financement de la rénovation du village de Colombey-les-Deux-Églises, lieu d’enterrement du Général de Gaule, situé dans le département de Haute-Marne, et non de l’Oise.
Le Conseil d’Etat suit l’avis des juridictions précédentes et estime que le Département de l’Oise n’est pas autorisé à financer un tel projet. Pour ce faire, il retient que la participation départementale ne saurait être justifiée en l’absence d’un « lien particulier » entre le village et le département à même de faire naître un intérêt public local, et ce malgré l’intérêt national du lieu.
A la lecture de cet arrêt, il semble donc compliqué de justifier de la légalité du financement de la rénovation de Notre-Dame par une collectivité territoriale autre que celles concernées. Si – bien sûr – il n’y a aucune difficulté à ce que la Ville de Paris ou la région Ile-de-France financent les travaux, il convient de distinguer entre les autres collectivités dont le périmètre n’intègre pas Notre-Dame.
A la lumière de la jurisprudence administrative, on en déduit que seules celles dont l’histoire est liée à la cathédrale ou dont la présence de Notre-Dame est une plus-value pourraient participer au financement. Par exemple, les villes de la couronne parisienne bénéficient sans doute de l’attractivité touristique de la Capitale qui résulte notamment du chef d’œuvre qu’est Notre-Dame. En revanche, on comprend moins comment une ville du Grand Ouest ou du Sud de la France pourrait être intéressée.
Cette position pourrait sembler surprenante depuis la loi du 29 juillet 2004 qui a institué les articles L. 1115-1 et suivants dans le CGCT, autorisant les collectivités territoriales à conclure des conventions de coopération avec des administrations locales étrangères, dans un but humanitaire ou d’aide au développement, sans avoir à justifier d’un intérêt public local. Et pour cause, puisque c’est sur la base de ces articles que le Conseil d’Etat a validé la participation de la Région Rhône-Alpes et de la ville de Saint-Etienne à la réfection de la basilique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba en Algérie (CE, 17 février 2016, n°368342, Région Rhône-Alpes, Publié au recueil).
Une collectivité peut donc participer à la restauration d’un édifice étranger au nom de la protection du « patrimoine culturel du bassin méditerranéen » à travers le mécanisme des conventions de coopération, tout en ayant interdiction de financer la restauration d’un bien du patrimoine culturel national ne se trouvant pas sur son territoire.
Voulant fermer la porte à toute interprétation extensive de cet arrêt, le Conseil d’Etat réaffirme d’ailleurs sa position de principe consacrée en 1997 dans son avis du 23 avril 2019 relatif au projet de loi de conservation et de rénovation de Notre-Dame. Il y rappelle que la loi du 29 juillet 2004 n’a pas d’équivalent en ce qui concerne une coopération intra-nationale, de sorte que « le financement par une collectivité territoriale de la restauration d’un site ou d’un monument ne se trouvant pas sur son territoire, dès lors qu’il ne répond pas à un intérêt public local, est illégal » (avis CE, 23 avril 2019, n°397683).
Comme le relève le Conseil d’Etat, les collectivités territoriales pour lesquels l’intérêt public local à financer la reconstruction de Notre-Dame n’apparaît pas évident devront attendre l’intervention d’une disposition législative autorisant le financement d’un projet malgré l’absence d’un intérêt public local, comme c’est le cas de l’article 4 du projet de loi en cours de discussion qui autorise les collectivités territoriales à participer à la souscription nationale, article qui n’est pas remis en cause par le Conseil d’Etat.
En l’état actuel du droit positif, les collectivités ne peuvent donc pas participer au financement des travaux de Notre-Dame, sauf à justifier d’un intérêt public local. En l’absence d’un tel intérêt, il faudra attendre l’adoption et l’entrée en vigueur de la loi de restauration de Notre-Dame de Paris, aujourd’hui en cours d’examen par le Sénat et faisant l’objet d’une procédure accélérée.