L’auteur doit-il justifier de l’originalité de son œuvre pour obtenir une ordonnance l’autorisant à faire procéder à une saisie-contrefaçon ? Si tel est le cas, il devra être indiqué, au stade de la requête, non seulement une description de l’œuvre revendiquée mais également ses caractéristiques originales. La question s’est donc posée à la Cour de cassation [1], et il convient d’étudier sa réponse (1) et de voir quelles conséquences pratiques en tirer (2).
1/ La requête ne nécessite aucune justification quant à l’originalité de l’œuvre.
Une saisie-contrefaçon peut être demandée par tout auteur sur le fondement de l’article L332-1 du Code de la propriété intellectuelle. Aucune condition ne semble être expressément exigée.
Pourtant, la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 14 janvier 2020 a annulé un procès-verbal de constat au motif que l’originalité des œuvres revendiquées - des photographies - n’aurait pas été justifiée au stade de la requête.
La 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans un jugement du 6 avril 2022 [2] a censuré l’arrêt en statuant de la façon suivante :
« 20. L’auteur, ses ayants droit ou ses ayants cause ont qualité pour agir en contrefaçon et solliciter à cet effet l’autorisation, par ordonnance rendue sur requête, de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon, sans avoir à justifier, au préalable, de l’originalité de l’œuvre sur laquelle ils déclarent être investis des droits d’auteur.
21. Pour annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon, l’arrêt retient encore que les œuvres photographiques ne révèlent pas la personnalité de [L] [E] et d’[I] [B], et qu’elles sont dès lors dépourvues d’originalité.
22. En statuant, ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La position de la Cour de cassation est claire : il n’est pas nécessaire au stade de la requête en saisie-contrefaçon de justifier de l’originalité de l’œuvre.
La raison à cela réside dans le fait que l’appréciation de l’originalité est une question de fond qui peut être débattue par les parties, si le défendeur la conteste. Le juge des requête n’a donc pas à apprécier si l’œuvre répond ou pas à la condition d’originalité.
Cela étant, il doit être précisé deux choses.
En premier lieu, l’article L332-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que celui qui peut solliciter une saisie-contrefaçon est « tout auteur d’une œuvre protégée ». Or, pour être « protégée », il faudrait que l’œuvre ait été jugée comme originale. Cela voudrait dire qu’un juge aurait déjà statué sur celle-ci. La conséquence serait-il alors un droit à deux vitesses ?
L’auteur d’une œuvre déjà jugée originale pourrait agir, tandis que l’auteur d’une œuvre sur laquelle aucune juridiction n’aurait encore statué ne pourrait pas agir…
Le Président, statuant sur requête, devrait-il dès lors apprécier cette originalité ? En l’absence d’une réelle possibilité d’avoir un vrai débat sur cette question, la subjectivité du juge aurait une place particulièrement prépondérante.
Nous le voyons, la rédaction de cet article est mal venue, et il semble que la Cour de cassation n’en tienne pas totalement compte.
En deuxième lieu, en pratique il n’est pas rare que certains juges exigent la justification d’une originalité au stade de la requête. Cela a donc pu les conduire à rejeter des requêtes, sans pour autant qu’ils aient eu à justifier de leurs décisions. Il s’avère en effet difficile de connaitre le nombre de requêtes rejetées pour cette raison.
Il est toutefois possible de citer, outre l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes précité, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 juin 2018 [3]) qui n’a pas hésité à être explicite sur cette question :
« la requête (…) ne fait état que des œuvres de l’esprit sur lesquelles elles sont titulaires de droits d’auteur, et les pièces versées au soutien de cette requête n’explicitent pas davantage les éléments constitutifs d’une œuvre de l’esprit - dont la caractérisation de l’originalité - ou en quoi ces créations seraient empreintes de la personnalité de leur auteur.
Dès lors, le droit d’auteur au vu duquel la requête était présentée n’est pas déterminé, les contours de l’œuvre protégée n’étaient pas définis, la titularité de ce droit d’auteur n’était pas plus établi (…).
Faute de tout élément tendant à établir l’originalité des œuvres et donc l’existence des droits d’auteur des sociétés Rocket Trademarks et GSM lors de la présentation de la requête, l’ordonnance ne pouvait autoriser la saisie contrefaçon sur ce fondement ».
Dès lors, même si la décision prise par la Cour de cassation pourrait être, au premier abord, considérée comme « logique », elle n’est finalement pas aussi évidente que cela, comme le démontre cet arrêt de la Cour d’appel.
2/ Quelles conséquences en tirer ?
La Cour de cassation a pris position ; mais quelles sont les conséquences pratiques de cette décision ?
En se fondant sur cet arrêt, il serait possible de ne pas procéder à la caractérisation de l’originalité. Il suffirait que l’œuvre soit bien déterminée dans la requête et aucun rejet sur ce fondement ne pourrait normalement aboutir.
Toutefois, le juge qui doit prendre une décision intrusive - puisqu’il s’agit d’autoriser la venue d’un huissier chez un tiers - éprouve la nécessité d’être convaincu qu’il n’autorise pas une saisie injustifiée.
Il parait plus pertinent, à tout le moins, de décrire précisément l’œuvre. Une phrase précisant les caractéristiques de l’œuvre qui en constitueraient l’originalité n’est peut-être pas indispensable, sous réserve de rappeler l’arrêt de la Cour de cassation.
Cela étant, il n’est pas interdit de caractériser cette originalité. Ce travail, effectué au stade de la requête, sera utile pour l’assignation qui suivra.
Permettrait-il au saisi de mieux se défendre ? Cela nous parait peu probable. Il sera rappelé que l’assignation doit être délivrée dans un délai de vingt jours ouvrables ou de trente-et-un jours civils si ce délai est plus long, de sorte que le saisi sera rapidement informé, en tout état de cause, des éléments caractérisant l’originalité de l’œuvre, si ces derniers n’ont pas été mentionnés dans la requête.
En conclusion, même si caractériser l’originalité d’une œuvre n’est pas exigé par la Cour de cassation, une description parait à tout le moins nécessaire. Quant à justifier de l’originalité, chacun s’en fera une idée, mais l’essentiel est d’obtenir l’ordonnance souhaitée. S’il faut en passer par une caractérisation de l’originalité, pourquoi pas ; autant ne pas prendre de risque…