La lutte contre toutes les formes de harcèlement, moral ou sexuel, est devenu un objectif essentiel de l’entreprise et de la société Française dans son ensemble.
Cette lutte s’appuie sur des droits d’alertes pouvant prendre de nombreuses formes : Procédures internes de « compliance », lanceurs d’alerte, référents harcèlements du CSE, médecin du travail…
La Cour de Cassation, dans un revirement récent du 19 avril 2023 (n° 21-21.053), allège encore le formalisme de l’alerte puisque le salarié n’a plus l’obligation de qualifier les faits de "harcèlement" afin d’être protéger, dès lors que les éléments transmis font apparaitre un lien évident avec une dégradation de ses conditions de travail et de sa santé.
Les situations d’enquêtes vont s’en trouvent multiplier.
La procédure d’enquête devient le problème.
Une alerte harcèlement est une situation grave qui impose à l’employeur d’intervenir. D’abord en vérifiant la réalité des faits signalés, puis en déterminant un plan d’action afin de mettre fin à la situation. Mais en l’absence de précisions légales, l’employeur et le CSE vont souvent improviser une procédure d’enquête inadaptée, basée sur le format d’une « enquête de police ».
Nous l’avons déjà écrit ici même, le format de l’enquête de police ne convient pas toujours à une procédure d’enquête interne ! Mais chaque semaine, je suis pourtant solliciter et alerter afin d’intervenir pour résoudre les problèmes et les tensions qui sont nées à cause de l’enquête !
Le mot « d’enquête » lui-même, doit plutôt être remplacé par « analyse interne », « audit interne », et mieux encore « médiation interne ». Le cadre qui sera donné va influencer immédiatement la manière de faire et la qualité des auditions.
Dans le format « d’enquête de police », les enquêteurs et l’employeur ont souvent du mal à se positionner et à trouver une approche qui reste impartiale, humaine et proportionnée. C’est un métier qui ne s’improvise pas et qu’il est difficile de mettre en œuvre pour celui qui n’est pas policier ou gendarme.
La personne désignée est vite présumée coupable et l’étiquette de « harceleur » est rapidement collée. Je constate parfois, des dizaines d’heures d’auditions de tous et n’importe qui, alors que la personne désignée, « harceleur présumé », n’est presque pas associée ou informée très tardivement. Lorsqu’elle est associée c’est un interrogatoire fleuve et accusatoire.
Autre difficulté de taille, les témoignages et les auditions sont inutilisables en raison d’un formalisme souvent inadapté et de paroles rapportées souvent déformées ou anonymes. Les avantages que pourrait avoir une vraie enquête de police, avec des attestations judiciaires formelles, ne sont même pas obtenues.
La preuve est libre en droit du travail, mais le formalisme proposé par l’article 202 du code de procédure civile, et par l’article 429 du code de procédure pénale peuvent être une source d’inspiration.
La confidentialité excessive donnée à certaines procédures d’enquête ne permet pas une réelle transparence et compréhension des faits et des besoins. Chacun s’accuse mutuellement et se sent accusé à son tour. Les reproches de dénonciation et de « balances » sont lancées et collent parfois à la peau pendant longtemps.
La personne désignée par l’alerte doit se défendre sans savoir ce qui lui est reproché précisément, sans connaitre parfois ses accusateurs et sans avoir la possibilité d’une confrontation ! Se mettre simplement autour d’une table, en présence des enquêteurs bien sûr, afin de pouvoir simplement s’expliquer directement.
Le droit de se défendre et de se mettre autour d’une table.
En médiation, après enquête harcèlement, la phrase que l’on entend le plus c’est : « pourquoi on ne s’est pas simplement mis autour d’une table dès le début ? ». Bien vu !
Soyons à l’écoute de ce bon sens populaire. Les employeurs et leurs juristes n’y pensent pas toujours en amont et souvent pire, s’y sont parfois opposés.
L’enquête de police n’est pas en soi un mauvais format mais ce qui lui manque le plus c’est l’organisation d’une confrontation sécurisée ! Pourtant, rappelons que le droit à confrontation fait partie des droits de la convention européenne des droits de l’hommes (article 6, paragraphe 3) et du code de procédure pénale (article 82-1).
Pour éviter toute discussion ou exprimer son ressenti, il est fréquent que lors d’une alerte on entende parler de « pervers narcissiques » ou de « manipulateurs ». La médicalisation ou la psychologisation ne doivent pas être un réflexe, et c’est trop souvent le cas, sans que cela n’apporte rien d’efficace.
On le sait, le pervers doit être écarté immédiatement, donc l’étiquette de pervers ne pourra avoir pour conséquence que le licenciement, sans aucun autre plan d’action, ni aucune autre réflexion sur les causes profondes de certaines situations complexes… Ce n’est pas la seule manière de faire.
Le conflit rend fou et évidemment les comportements qui s’expriment sont violents et indélicats. Ces allégations ne sont pas suffisantes pour empêcher toute rencontre sécurisée en présence d’un tiers.
Puis en fin d’enquête, qui dans la plupart des cas (80%) ne se traduit pas par la reconnaissance d’une situation de harcèlement, les personnes doivent retravailler ensemble… C’est alors que l’on se pose la question tardive de la médiation… mieux vaut tard que jamais.. c’est pourtant le bon format !
Médiateurs plutôt que « tontons flingueurs ».
Pour abandonner ce rôle de « tonton flingueurs » ayons recours dès le début et par postulat à la médiation et incitons les à adopter une posture, neutre et impartiale. "L’enquêteur médiateur", qu’il soit interne ou externe, écoute et reformule, dialogue et ne juge pas, il peut aussi collecter la réalité des faits des parties et organiser les témoignages. Il va surtout permettre une rencontre avant toute chose.
Prenons exemple de certaines expériences réussies dans le milieu scolaire, où la lutte contre les harcèlements à l’école est portée par des élèves médiateurs formés à l’accueil et à l’écoute. Ils sont facilement accessibles par leurs camarades et peuvent rapidement intervenir pour aider, accompagner et parfois alerter. Ces facilitateurs sont plus efficaces que toutes les menaces disciplinaires.
Même s’il ne faut jamais avoir la main qui tremble sur ces sujets trop graves de harcèlement, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Une sanction incomprise ou injuste, une enquête mal menée, fera bien plus de dégâts que certains comportements inappropriés à l’origine de l’alerte.
Et si vraiment aucune médiation n’est possible, si vraiment des faits trop suspects apparaissent, si vraiment les risques de harcèlement se précisent, alors le médiateur saura alerter et être présent et il sera alors toujours temps de dérouler la procédure disciplinaire.
Que de souffrance constatée trop souvent ! Une réelle obligation de sécurité doit savoir s’appliquer dans l’apaisement et faire la part des choses entre les situations de harcèlement réelle et les situations de conflits plus classiques.
Compliance ou alerte harcèlement, ne perdons pas pieds trop vite face à la complexité des processus juridiques et utilisons une première phase de simplicité avec les outils de la médiation : une rencontre, un dialogue entre les personnes concernées !