Loi Waserman : Incidence sur l’enquête interne en harcèlement moral et sexuel au travail.

Par Nathalie Leroy, Avocate-Enquêtrice.

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Explorer : # harcèlement au travail # lanceur d'alerte # loi waserman # enquête interne

En matière de harcèlement moral ou sexuel au travail, il existe plusieurs possibilités d’enquête prévues par le Code du travail, qui peuvent être initiées par le salarié, un représentant du personnel, le médecin du travail, le CSE, l’inspection du travail et l’employeur [1]. La question se pose de savoir si la personne dénonçant des faits de harcèlement moral est un lanceur d’alerte.

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La Loi Waserman complète cet arsenal, mais manque de clarté sur certains aspects et pourrait finalement s’avérer d’une application bien plus complexe qu’il n’y parait, tant pour la victime ou l’auteur présumés, que pour l’enquêteur.

La Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, créant le statut légal de lanceur d’alerte prévoit une procédure de traitement en cas de « révélation ou de signalement, de manière désintéressée et de bonne foi, d’ un crime ou un délit, d’ une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou d’une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

La question se pose de savoir si le plaignant de harcèlement au travail bénéficie du statut de lanceur d’alerte.

Pour mémoire, le lanceur d’alerte est la personne qui « lance » une alerte en répondant aux conditions posées par la Loi [2].

Jusqu’à présent, les personnes qui subissaient ou qui refusaient de subir des faits de harcèlement au travail, qu’ils soient d’ordre moral ou sexuel, ne semblaient pas s’inscrire dans ce cadre législatif, pour plusieurs raisons :
- La victime présumée n’agit pas de manière désintéressée, puisqu’elle pourrait engager une procédure contre son employeur (or le lanceur d’alerte agit de manière désintéressée) ;
- Les faits dénoncés touchent personnellement la victime, alors que la protection des lanceurs d’alerte est accordée au regard de l’intérêt général qui est visé par l’alerte (voir les travaux parlementaires à ce sujet).

Ainsi, l’enquête sur des faits de harcèlement (dés lors qu’ils étaient dénoncés par la personne s’estimant victime) pouvait être réalisée sans les contraintes imposées par la Loi sur les lanceurs d’alerte.

A notre connaissance, la jurisprudence ne s’est pas prononcée pour l’instant sur la question de l’application du statut de lanceur d’alerte dans ce contexte. On notera toutefois un arrêt la Cour d’appel de Versailles [3] jugeant que l’absence de harcèlement moral empêche la personne ayant dénoncé les faits, de bénéficier de la qualité de lanceur d’alerte. Est-ce à dire que si les faits avaient été avérés, le juge aurait constaté la qualité de lanceur d’alerte ?

La Loi Waserman du 22 mars 2022 [4], vient compléter la Loi Sapin [5] et élargir le bénéfice du statut de lanceur d’alerte, n’imposant, pas exemple d’agir de façon désintéressée. Nous pouvions donc nous attendre à une extension du champ de la définition du lanceur d’alerte, à la personne « victime » de harcèlement au travail. Mais la situation n’est pas simple.

Certes, la Loi supprime la notion de désintéressement, pour y substituer celle de contrepartie financière directe. Ainsi, sera reconnue comme lanceur d’alerte « la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ». Et on notera que le lanceur d’alerte n’a plus à avoir une connaissance directe des faits, mais il doit agir de bonne foi. On verra également que la menace ou le préjudice pour l’intérêt général n’a plus à être « grave ».

Ainsi, la Loi Waserman élargit le champ de la définition du lanceur d’alerte sur 4 points :
- Contrepartie financière indirecte à la place du désintéressement,
- Menace ou préjudice pour l’intérêt général (la notion de gravité disparait),
- Connaissance directe des faits plus indispensable,
- Violation du Droit international ou de l’Union européenne, sans nécessité de ratification de ces droits par la France.

Cependant, la Loi ne règle pas à la question de savoir si le statut de lanceur d’alerte doit être nécessairement reconnu à la personne dénonçant des faits de harcèlement moral ou sexuel au travail.

En effet, le législateur a prévu à l’article 7 de la Loi Waserman, que les dispositions des articles 10-1 et 12 à 13-1 de la Loi Sapin 2 s’appliquent aux personnes qui ont dénoncé des faits de harcèlement au travail ou qui ont témoigné de tels faits.

De la même manière, le législateur prévoit l’application de ces dispositions protectrices aux personnes ayant témoigné ou relatés des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime… [6].

Mais alors, si le législateur considérait les plaignants de harcèlement comme des lanceurs d’alerte, pourquoi préciserait-il que telle ou telle mesures leur est applicable dans la Loi, puisqu’elles qu’elles le sont toutes d’office pour le lanceur d’alerte ?

Par exemple, on ne peut que s’interroger sur la non application de l’article 14-1 de la Loi Sapin, qui prévoit des mesures de soutien psychologique, alors que le lanceur d’alerte en bénéficie.

Peut-être le législateur considère t’il que la personne, dénonçant des faits de harcèlement ou en témoignant, bénéficie d’une protection plus avantageuse accordée par les dispositifs existant dans le Code du travail et qu’il convient alors d’appliquer un autre système de protection, plus avantageux pour elle ?

«  Lorsque sont réunies les conditions d’application d’un dispositif spécifique de signalement de violations et de protection de l’auteur du signalement prévu par la loi ou le règlement ou par un acte de l’Union européenne mentionné dans la partie II de l’annexe à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, le présent chapitre ne s’applique pas.

Sous réserve de l’article L861-3 du Code de la sécurité intérieure, lorsqu’une ou plusieurs des mesures prévues aux articles 10-1,12 et 12-1 de la présente loi sont plus favorables à l’auteur du signalement que celles prévues par un dispositif spécifique mentionné au premier alinéa du présent III, ces mesures s’appliquent. Sous la même réserve, à défaut de mesure équivalente prévue par un tel dispositif spécifique, les articles 13 et 13-1 sont applicables » [7].

Mais là aussi, le doute est permis.

Doit-on considérer que les alertes prévues par le Code du travail constituent des dispositifs spécifiques de signalement et de protection de l’auteur ?

Qu’en est-il par exemple de la personne qui exerce son droit d’alerte et de retrait (L4131-1) ? Doit-on considérer qu’elle doit bénéficier de la protection qui lui est classiquement dévolue (L4131-3) ainsi que des dispositions des articles 10-1, 12, 12-1 et éventuellement 13 et 13-1 de la Loi Sapin, mais sans la considérer comme lanceur d’alerte ?

Ou encore lorsque l’alerte est lancée par l’intermédiaire du représentant du personnel (L4131-2), cela ôte t’il à la victime présumée la possibilité d’être considérée comme lanceur d’alerte ?

Et comment considérer le salarié qui n’utilise pas la procédure d’alerte et de retrait alors qu’il pense être victime de harcèlement sexuel, mais se sert du dispositif d’alerte interne. Sera t’il considéré comme lanceur d’alerte ou pas ?

Il est difficile de comprendre la logique du législateur. Le harcèlement moral ou sexuel étant un délit, on pourrait s’attendre à ce que la « victime présumée » soit considérée potentiellement comme un lanceur d’alerte lorsqu’il elle respecte les conditions de l’article 6-I de la Loi Sapin. Mais l’incertitude est bien là.

Savoir si les procédures d’alerte déjà existantes en droit du travail correspondent à un dispositif spécifique de signalement de violations et de protection de l’auteur du signalement, susceptible d’être mis en œuvre est donc déterminant, tant pour la personne dénonçant des faits, la personne visée, les tiers, témoins… que pour l’employeur, le référent ou l’enquêteur.

De là découleront notamment deux conséquences ayant trait à la confidentialité et au RGPD.

La confidentialité.

La règle en matière de confidentialité diffère, lorsque l’on se place dans un cas classique, tel que nous le connaissons jusqu’alors dans les cas de dénonciation de harcèlement au travail par la victime présumée ou lorsqu’on entre dans le dispositif du lanceur d’alerte.

L’article 9 de la Loi Sapin prévoit :

« I. - Les procédures mises en œuvre pour recueillir et traiter les signalements, dans les conditions mentionnées à l’article 8, garantissent une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers mentionné dans le signalement et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement.
Les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement de celui-ci. Ils peuvent toutefois être communiqués à l’autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci. Le lanceur d’alerte en est alors informé, à moins que cette information ne risque de compromettre la procédure judiciaire. Des explications écrites sont jointes à cette information.
Les éléments de nature à identifier la personne mise en cause par un signalement ne peuvent être divulgués, sauf à l’autorité judiciaire, qu’une fois établi le caractère fondé de l’alerte.
II. - Le fait de divulguer les éléments confidentiels définis au I est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende
 ».

Il est donc possible de dévoiler l’identité du lanceur d’alerte s’il y consent, mais la Loi ne prévoit aucune levée possible de l’anonymat pour la personne mise en cause, les tiers et les informations recueillies. Comment, dans ces conditions, pouvoir mener convenablement une enquête comprenant notamment des entretiens, si l’on ne peut interroger valablement les personnes sur des agissements supposés de harcèlement moral ou sexuel au travail des personnes concernées, en dévoilant les faits ?

La Loi est taisante.

Seul le Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 article 5 II 2 invoque une « procédure pour garantir la stricte confidentialité de l’auteur du signalement, des faits objets du signalement et des personnes visées, y compris en cas de communication à des tiers dès lors que celle-ci est nécessaire pour les seuls besoins de la vérification ou du traitement du signalement ».

Ainsi, l’on pourrait considérer que pendant l’enquête, les personnes amenées à traiter la dénonciation peuvent révéler les faits aux personnes entendues, dés lors qu’elles sont en mesure de garantir la stricte confidentialité de l’auteur, des personnes visées, des faits, objets du signalement. Mais quid de la hiérarchie des normes entre la Loi très stricte et le Décret plus « permissif » ?

Si l’on outrepasse cette question, comment garantir la stricte confidentialité ?

Même si l’enquêteur rappelle aux personnes qui seront entendues, les dispositions de l’article 9 II de la Loi Sapin, il est dans l’impossibilité de garantir de façon certaine qu’il n’y aura pas de « fuite » dès lors qu’il aura fait état de la problématique à la personne qu’il interrogera.

Ainsi, l’enquêteur supporte un risque très lourd, dans le cadre de la Loi Sapin, alors qu’il cherche à faire la vérité sur les faits révélés.

Le RGPD.

En fonction du cadre dans lequel l’enquête s’inscrit, les dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la Loi informatique et libertés, ainsi que les règles applicables à l’enquête vont différer.

En effet, si l’on se trouve sous l’empire de la Loi Sapin, l’objet de l’enquête résultera d’une disposition légale. Dans ce cas, le traitement des données personnelles est autorisé par la Loi. Ceci implique qu’une personne concernée ou entendue ou impliquée ne pourra pas s’opposer au traitement de ses données personnelles.

En revanche, si le traitement des données est opéré au titre des intérêts légitimes (cas de l’enquête menée hors Loi Sapin), la personne concernée pourra s’opposer, pour un motif légitime, au traitement de ses données personnelles.

Il est donc déterminant de savoir sur quel pied danser.

Conclusion.

La Loi Waserman constitue une belle avancée pour le lanceur d’alerte, en ce qu’elle améliore sa protection et celle de son entourage, simplifie les canaux du signalement, renforce les mesures de protection, élargit la liste des discriminations qui peuvent l’affecter et incite l’employeur à une vigilance accrue sur des mesures affectant les « horaires de travail » ou encore l’« évaluation de la performance ».

Mais il n’est pas certain que la personne qui dénonce des faits de harcèlement au travail puisse être considérée comme lanceur d’alerte, bien que cela semblerait pourtant tout à fait pertinent.

Nous émettons l’hypothèse que la Loi ait voulu protéger la personne dénonçant des faits de harcèlement moral ou sexuel au travail, mais ne répondant pas au statut de lanceur d’alerte (parce que la procédure de dénonciation n’a pas été respectée ou parce qu’il n’y a pas de harcèlement…) en l’écartant par exemple des représailles et la faisant bénéficier de certaines des dispositions de la Loi.

Nous nous interrogeons toujours sur la détermination du statut de lanceur d’alerte ou non de la personne souhaitant dénoncer ces faits, lorsqu’elle pourrait utiliser un canal d’alerte prévu par le Code du travail et qu’elle choisit de les dénoncer soit par la voie de l’alerte interne (type lanceur d’alerte) soit simplement en écrivant à son employeur pour dénoncer les faits de harcèlement au travail.

Il pourrait sembler que la personne dénonçant les faits de harcèlement au travail ne sera pas considérée comme lanceur d’alerte, compte tenu de l’existence de dispositifs d’alerte (qui ne sont d’ailleurs pas spécifique au harcèlement) dans le Code du travail. Mais est-ce bien l’esprit de la Loi ?

La Loi Waserman sera en application au 1er septembre 2022. Mais d’ici là, espérons que le décret à paraître lèvera le voile sur les questions qui se posent pour traiter les enquêtes en matière de harcèlement moral au travail, comme de harcèlement sexuel au travail et connaître le régime de protection des alerteurs, témoins, facilitateurs...

Nathalie Leroy Avocate enquêtrice en harcèlement moral et sexuel au travail
www.her.eu.com et www.25ruegounod.fr

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Notes de l'article:

[1Cassation sociale 29 juin 2011 n°09-70.902 : « en présence d’allégations de faits de harcèlement moral, l’employeur doit mener une enquête interne ».

[2Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016.

[320 janvier 2022, n° 20/00562 (11è chambre).

[4Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022.

[5Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016.

[6Article L1132-3-3 du Code du travail.

[7Article 6 III Loi Sapin 2 modifiée.

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