Sur le fondement de l’article L442-5 II du Code de commerce [1], la rupture brutale d’une relation commerciale établie peut engager la responsabilité civile délictuelle de l’auteur [2].
La nature délictuelle de la responsabilité encourue justifie l’application du principe de la réparation intégrale : rien que le préjudice, mais tout le préjudice.
Il ressort de la jurisprudence que le montant du préjudice s’établit au regard de la durée de préavis qui aurait dû être respecté par l’auteur de la rupture (1.) et des gains manqués la marge brute (2.).
1. L’évaluation de la durée du préavis.
Afin d’atténuer les possibles effets néfastes d’une rupture de relations commerciales établies, la responsabilité de l’auteur de la rupture est recherchée si elle n’a pas donné lieu à la formalisation d’un préavis écrit et si ce préavis n’était pas d’une durée suffisante.
En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt de principe, que
« le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d’un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis » [3].
Le cas d’espèce appelait avec évidence une telle solution car le partenaire commercial avait cessé ses approvisionnements auprès de son cocontractant du jour au lendemain, sans lui adresser ni lettre de rupture, ni préavis écrit.
Il résulte néanmoins de cette jurisprudence que deux conditions sont exigées. D’une part, l’absence d’un préavis écrit est sanctionnée. La rupture sera réputée brutale si le partenaire ne prend pas la peine d’annoncer par écrit la fin prochaine des relations.
D’autre part, quand bien même un préavis écrit aurait été respecté, ce dernier doit être d’une durée suffisante.
Pour évaluer la durée du préavis, les juges tiennent notamment compte de l’ancienneté des relations, du volume d’affaires réalisé, de la notoriété du client, du secteur concerné, du caractère saisonnier du produit, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire et de la durée minimale des préavis déterminée en référence aux usages du commerce.
La jurisprudence s’est également prononcée sur le respect de cette condition dans un contexte de relations conflictuelles et a jugé que la prévisibilité de la rupture en raison de la dégradation des relations entre les parties ne prive pas, sauf faute grave ou force majeure, l’auteur de la rupture du respect du préavis [4].
Néanmoins, depuis l’ordonnance portant réforme du Code de commerce du 04 avril 2019 [5], la loi ne permet plus de sanctionner sur le fondement de la rupture brutale une partie ayant respecté un préavis de 18 mois, quelles que soient la durée ou l’intensité de la relation à laquelle elle met fin.
2. Le calcul des gains manqués.
Si les pertes éprouvées par la victime représentent le poste de préjudices le plus facile à appréhender et évaluer, il est en pratique les moins systématique. La doctrine le range d’ailleurs dans la catégorie des préjudices « complémentaires ».
De ce chef, la jurisprudence envisage trois types de préjudices : les pertes liées aux frais de licenciement, la part non amortie des investissements qui avaient été engagés en considération d’une certaine pérennité contractuelle et l’atteinte à l’image et à la réputation.
A l’inverse, les demandes d’indemnisation relatives aux gains manqués sont les plus importantes et les plus systématiques. Mais elles sont les plus difficiles à évaluer.
La jurisprudence estime que préjudice causé par une rupture brutale de relations commerciales établies « correspond au gain que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant le temps de préavis qui aurait dû lui être accordé ».
Plus précisément, la Cour de cassation précise que seul doit être indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, « évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n’a pas été exécutée » [6].
En retenant la notion de marge brute, la Cour de cassation restreint le préjudice à la différence entre le chiffre d’affaires et les charges variables nécessaires pour réaliser ce chiffre d’affaires. Les coûts fixes quant à eux demeurent à la charge de la victime quand bien même la rupture n’aurait pas été brutale.
Concernant le chiffre d’affaires de référence, la plupart des décisions appliquent le taux de marge retenu au chiffre d’affaires moyen réalisé sur les trois dernières années d’exploitation de l’opérateur évincé.
Cette tendance majoritaire amène toutefois à s’interroger sur le choix du chiffre d’affaires comme instrument de mesure. En effet, le chiffre d’affaires n’est pas toujours l’indicateur le plus pertinent : chaque métier et chaque cœur d’activité ont leurs particularités et leurs indicateurs propres.
Il est intéressant de souligner que l’indemnisation de la victime en cas de brusque rupture ne relève pas uniquement de la logique du calcul, loin s’en faut. L’appréciation du comportement du partenaire évincé est également, et heureusement, susceptible d’influence la détermination du montant de son indemnisation.
Ils invitent en définitive les acteurs économiques à la prudence et à une gestion raisonnable de leur entreprise.