Les femmes étrangères victimes de violences conjugales, les premières victimes de l'arbitraire de l'administration, par Marc Lecacheux, Avocat

Les femmes étrangères victimes de violences conjugales, les premières victimes de l’arbitraire de l’administration, par Marc Lecacheux, Avocat

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Explorer : # violences conjugales # femmes étrangères # titre de séjour # discrimination administrative

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Conformément à l’article L 313-12 du Code de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), un conjoint de français, peut bénéficier d’un renouvellement de son titre de séjour, à la condition que la communauté de vie n’ait pas cessé entre les époux au moment de ce renouvellement.
Le fait que le conjoint étranger subisse des violences conjugales, n’est pas une circonstance lui permettant d’obtenir un renouvellement de plein droit :

« La carte délivrée au titre de l’article L. 313-11 donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l’article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n’ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences conjugales qu’il a subies de la part de son conjoint, l’autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l’étranger et peut en accorder le renouvellement. En cas de violence commise après l’arrivée en France du conjoint étranger mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" (CE 6éme et 7éme sous-section 24 mai 2006 n°275087).

En effet, à l’instar des Français, les couples mixtes ou binationaux, ne sont malheureusement pas à l’abri des violences commises au sein du couple, plus communément appelée violences conjugales, phénomène très médiatisé ces dernières années, à l’origine de l’adoption d’une loi AD hoc en 2006 (Loi 2006-399 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs).

Ce types de violences pénalisent doublement les femmes étrangères mariées à des conjoints français ;
Ainsi, en dehors du traumatisme physique et psychologique de ces violences, les femmes étrangères, pourtant titulaire d’un titre de séjour souvent précaires (Carte de séjour temporaire renouvelable chaque année) doivent faire à l’indifférence voire au mépris de l’administration pour ces situations, comme nous le montre l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 24 mai 2006.

En l’espèce, il s’agissait d’une ressortissante marocaine, mariée à un conjoint français, ayant fait l’objet, en 2004 d’un arrêté de reconduite à la frontière, par le Préfet des hautes Savoie, au motif d’une rupture de la communauté de vie au sein du couple, suite à des violences conjugales.

Dès lors, ne remplissant plus les conditions légales pour le renouvellement de son titre de séjour, celle-ci s’est vue refusée le droit de se maintenir sur le territoire Français.

Cette position ayant été confirmé par la haute juridiction administrative, au motif que :
« que si l’intéressée soutient que la communauté de vie a été rompue à son initiative en raison de violences qu’elle a subies de la part de son mari, cette circonstance n’est pas, compte tenu des termes de l’article 12 bis précité, de nature à la faire bénéficier de plein droit du renouvellement de son titre de séjour ; que, par la suite, le moyen tiré de ce que le préfet de la Savoie ne pouvait légalement lui refuser la délivrance d’un titre de séjour sans méconnaître les dispositions précitées doit être écarté ;…. ».

Ainsi, il est frappant de constater que le conseil d’Etat, maintient le principe de l’appréciation discrétionnaire de l’administration quant à l’examen de la situation de la requérante, en dépit du fait qu’il s’agit d’une situation bien souvent dramatique pour ces femmes.

En un mot, le préfet n’a pas de compétence liée en ce qui concerne l’évaluation de la demande de renouvellement d’un titre de séjour pour un conjoint de français, victime de violences conjugales comme l’a précisé le Conseil d’état dans une décision antérieure :

«  Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date à laquelle le préfet de l’Orne a pris l’arrêté décidant sa reconduite à la frontière, Mme X... ne remplissait pas la condition de communauté de vie entre époux lui ouvrant droit au renouvellement de sa carte de séjour en qualité de conjoint de ressortissant français ; que si l’intéressée soutient que la communauté de vie a été rompue à son initiative en raison des violences qu’elle a subies de la part de son mari, cette circonstance n’est pas, compte tenu des termes de l’article 12 bis précité, de nature à la faire bénéficier de plein droit du renouvellement de son titre de séjour ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de l’Orne ne pouvait légalement prendre à son encontre l’arrêté attaqué sans méconnaître les dispositions précitées doit être écarté  ».

Pour autant, le juge administratif garde sa capacité de censure concernant les décisions administratives comportant une erreur manifeste d’appréciation quant aux conséquences d’un refus sur la situation familiale de l’intéressée et notamment au regard de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH).

Ainsi, dans le cas d’espèce, c’est la brièveté du séjour en France (15 mois) ainsi que le maintient de liens familiaux au Maroc de la requérante, qui ont emportés la conviction des juges de la haute assemblée :
« qu’en l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment de ce que l’intéressée, en France depuis moins de 15 mois à la date du refus opposé par le préfet, était en instance de divorce, que le préfet aurait inexactement apprécié la situation de l’intéressée en opposant un tel refus ;
Considérant que si Mme A fait valoir qu’elle vit avec sa mère et son frère, tous deux de nationalité française, et que plusieurs membres de sa famille résident régulièrement en France, il ressort des pièces du dossier qu’elle n’est pas dépourvue d’attaches familiales au Maroc, où vit notamment son père ; que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de la durée du séjour en France de l’intéressée, et eu égard aux effets d’une mesure de reconduite à la frontière, l’arrêté en date du 3 novembre 2004 n’a pas porté au droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que le préfet n’a ainsi ni méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni commis d’erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l’intéressée ».

Cette position laisse donc un mince espoir contentieux, pour ces femmes qui malgré leur situation précaire, peuvent seulement exciper l’ancienneté et la solidité de leurs attaches familiales et sociales en France pour contrecarrer ce type de décision administrative.

De surcroît, il convient de souligner que dans le cas où la régularité du séjour du conjoint étranger provient uniquement de son union avec un français, lorsque le conjoint étranger cesse toute vie de couple ou communauté de vie, dans les quatre ou cinq années qui suivent le mariage, il ou elle ne sera plus en mesure de formuler une demande d’acquisition de la nationalité française, conformément à l’article 21-2 du code civil modifié par la Loi n°2009-526 du 12 mai 2009.

Dans ces conditions, la législation ne lui offrira qu’une maigre porte de sortie pour obtenir un titre de séjour, c’est à dire la démonstration qu’elle est mère ou père d’un enfant français (Article L313-11 alinéa 6°).

Ou bien, le conjoint étranger peut se prévaloir de l’alinéa 2 de l’article L313-12 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA) et obtenir de plein droit la délivrance d’une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale », dans ce cas précis il semble que l’administration ait compétence liée :
« En cas de violence commise après l’arrivée en France du conjoint étranger mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale ».

Pour conclure, il s’agit d’un nouvel exemple d’une législation dérogatoire au droit commun (le CESEDA), frappant les étrangers et les étrangères, pourtant en situation régulières et à qui ont déni le droit de se maintenir sur le territoire français sou prétexte qu’ils ne peuvent maintenir leur vie de couple.

On peut donc légitiment considérer, qu’il s’agit d’un traitement discriminatoire et injuste par rapport aux couples nationaux, dont on sait que la durée moyenne de vie maritale ne dépasse pas deux ans.

Maître Marc Lecacheux
Avocat au Barreau de Paris
marclecacheux.avocat chez yahoo.fr

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