« L'European Super-League » et la privation de toutes compétitions officielles. Par Hakim Kebila, Avocat et Kian Miri, Etudiant.

« L’European Super-League » et la privation de toutes compétitions officielles.

Par Hakim Kebila, Avocat et Kian Miri, Etudiant.

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Explorer : # european super league # sanctions uefa # droit européen du sport # compétitions privées

Le 20 avril 2021 restera à jamais gravé dans l’Histoire du sport mondial et plus particulièrement du football, mais également du droit européen.
En effet, douze grands clubs européens avaient annoncée de manière quasi-simultanée la création de « l’European Super League », voulant se substituer à l’actuelle UEFA Champions League.

Article actualisé par ses auteurs en octobre 2021.

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Peu avant, l’UEFA avait publié un communiqué commun annonçant que toute équipe participant à cette ligue fermée serait exclue ainsi que les joueurs.

Depuis, le 9 mai 2021, l’UEFA a annoncé une série de sanctions à venir contre les clubs qui souhaiteraient à l’avenir y participer.

Pour les clubs qui se sont retirés rapidement du projet, à savoir les clubs anglais, deux types de sanctions financières sont applicables. Ce sont des « mesures de réintégration ».

- D’une part, ces clubs devront renoncer à 5% des revenus dont ils pourraient bénéficier en compétition européenne pour une saison.

- D’autre part, ils devront alimenter conjointement un compte de 15 millions d’euros destinés à des « communautés locales » du football européen.

Par ailleurs, ces clubs devront s’engager à verser une amende de 100 millions d’euros s’ils cherchent à disputer un jour une compétition « non autorisée ».

Pour les autres clubs qui ont refusé de renoncer au projet (le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus de Turin), les sanctions restées en suspens par les instances disciplinaires de l’UEFA seront plus lourdes.

Ces trois clubs ont d’ailleurs annoncé qu’ils allaient continuer de développer le projet pour une meilleure lecture au regard du grand public.

Une mise à jour semble donc nécessaire au regard des dernières évolutions juridiques.

1. Le projet « European Super League ».

Douze grands clubs européens ont annoncé après de multiples réunions la création d’une ligue fermée et privée dénommée « l’European Super-League ».

Le fonctionnement de cette ligue fermée (ou semi-fermée) est assez simple. Il y aurait eu vingt clubs, dont quinze fixes. Les cinq autres clubs auraient été choisis chaque année.

Deux groupes de dix clubs seraient alors formés. Les rencontres se seraient déroulées chaque semaine, se chevauchant à l’UEFA Champions League.

L’objectif premier était bien évidemment économique. En créant cette ligue fermée, les clubs fondateurs se répartiraient un « cash price » constitué par les droits TV et les fonds privés.

D’ailleurs, la Banque JP Morgan a également publié un communiqué concomitamment aux douze grands clubs européens en annonçant financer cette ligue à hauteur de 4,5 milliards de dollars. Chaque club aurait encaissé immédiatement 425 millions d’euros uniquement pour accepter d’y participer.

Basée sur une logique économique et non sur l’aléa sportif, ce projet a provoqué une véritable bombe dans le monde à tous les niveaux. Ayant toujours lutter contre cette idée de ligue fermée, à l’instar de la NBA ou de l’Euroleague en basket-ball, l’UEFA a réagi de manière cinglante en publiant ce communiqué :

« Nous envisagerons tous les recours possibles, à tous les niveaux, juridiques comme sportifs, afin d’empêcher cela. Le football repose sur des compétitions ouvertes et sur le mérite sportif ; il ne peut en être autrement ».

L’UEFA et la FIFA ont ainsi prévenu que les joueurs souhaitant participer à l’« European Super League » seraient immédiatement exclus des ligues nationales ainsi que des compétitions internationales (ex : Coupe du Monde de la FIFA).

Mais le peuvent-ils juridiquement ?

2. Que dit le droit européen ?

Le droit européen s’est imposé naturellement au sport à travers plusieurs actes.

En effet, le célèbre arrêt Bosman [1], rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes, avait consacré l’applicabilité du principe de libre circulation des travailleurs dans le secteur sportif.

Depuis, les autorités européennes ont voulu protéger les libertés dans le contexte très spécifique du sport.

A ce titre, toute restrictions apportées à l’une des libertés (circulation, travail…) devaient poursuivre un ou plusieurs objectifs légitimes, et qu’elles sont inhérentes et proportionnées aux objectifs.

Ce principe a été consacré à plusieurs reprises par la Commission aux institutions sportives (Fédérations ou Ligues) en s’appuyant notamment sur les articles 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (sur l’entente et l’abus de position dominante) [2].

L’application de ce principe était conditionnée à ce que les institutions sportives aient « une dimension économique évidente ».

Plus récemment, le Traité de Lisbonne applicable 13 décembre 2007 s’est immiscé dans le monde du sport avec la consécration de l’article 165 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne disposant entre autres que :

« L’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative.

L’action de l’Union vise à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d’entre eux ».

Le droit européen trouve naturellement son terrain d’élection dans le big bang « Super Ligue ».

Un cas similaire avait fait l’objet d’une décision par le Tribunal de l’Union Européenne.

3. La décision « International Skating Union c/ Commission ».

Le Ministère Suisse de la Justice (Karin Keller-Sutter) aurait informé la FIFA et l’UEFA de l’impossibilité de sanctionner les 3 clubs ayant refusés de renoncer au projet (Real Madrid, FC Barcelone, Juventus).

De plus, la commissaire chargée de la politique de concurrence (Margrethe Vestager) s’est prononcée sur les sanctions ordonnées par les fédérations sportives internationales à l’encontre des athlètes.

Selon la commissaire, ces instances « jouent un rôle important dans la carrière des athlètes - elles protègent leur santé et leur sécurité, ainsi que l’intégrité des compétitions ». En revanche, les sanctions infligées par les fédérations internationales « servent aussi à préserver leurs propres intérêts commerciaux » et « empêchent d’autres organisateurs de compétitions » (exemple sur le patinage sur glace).

Le fondement de ces déclarations n’est nul autre que la décision International Skating Union c/Commission.

Dans cette affaire, l’Union Internationale de Patinage (UIP) est l’unique fédération sportive internationale habilitée par le CIO à encadrer et gérer le patinage artistique et le patinage de vitesse. A ce titre, elle dispose de la compétence exclusive pour organiser des compétitions de patinage artistique mais surtout en édicter les règles.

Par conséquent, l’IUP a compétence pour autoriser ou interdire l’organisation de compétitions par des organismes privées.

L’IUP réglemente également la participation des athlètes aux compétitions qui ne sont pas organisées par elle et peut sanctionner les patineurs qui participent à des compétitions non‐autorisées.

En raison de cette contrainte juridique exercée par l’IUP, un organe privé a dû renoncer à son évènement.

En 2015, Mark Tuitert et Niels Kerstholt (deux patineurs de vitesse) ont alors saisi la Commission européenne en contestant le règlement de l’UIP leur interdisant de participer à des épreuves organisées par des tiers.

Le règlement de l’IUP prévoyait en effet comme sanction l’expulsion à vie…

Par une décision du 8 décembre 2017, la Commission Européenne a considéré que les règles d’éligibilité posées par l’UIP étaient incompatibles avec les règles de concurrence de l’Union.

L’IUP a alors disposé d’un délai de 90 jours pour mettre en conformité ses règlements vis-à-vis du droit européen au niveau de la concurrence.

Par une décision en date du 16 décembre 2020, le Tribunal de l’Union Européenne a jugé que la situation de monopole en termes d’autorisation ou de refus d’organisation de compétition par des tiers constituait un conflit d’intérêts.

Ainsi, Le Tribunal rappelle que la protection de l’intégrité du sport constitue « un objectif légitime » selon l’article 165 TFUE. L’établissement de règles encadrant strictement les paris sportifs rentrait dans le cadre « de l’objectif légitime ».

Toutefois, « les restrictions découlant du système d’autorisation préalable ne sauraient être justifiées par les objectifs en question ».

4. Et maintenant ?

Le Tribunal de commerce n°17 de Madrid indique avoir « ordonné » à la Fifa et l’UEFA « de s’abstenir d’adopter toute mesure ou action […] qui empêche ou pose des difficultés, de forme directe ou indirecte, à la préparation de la Super Ligue de football » et qui empêche la participation des joueurs à cette compétition.

Ici, le Tribunal de commerce de Madrid soutient que l’UEFA doit se mettre en conformité avec les lois concurrentielles (Article 101 et 102 du TFUE).

De plus, cette décision soutient que le Droit de l’Union européenne permettrait la création de compétitions privées.

Si la Cour de justice confirme cette décision, l’UEFA ne devrait prendre des mesures disciplinaires ou des sanctions à l’encontre des clubs promoteurs et des joueurs impliqués dans la création de cette compétition privée.

Episode à suivre… les promoteurs de la Super Ligue affirment avoir déjà lancé « une procédure devant les juridictions compétentes, pour assurer l’instauration et le fonctionnement sans accroc de la compétition » [3].

Autre problématique : La possible réédition du projet de l’European super ligue pourrait-elle toujours porter atteinte au « modèle sportif européen » ?

Selon l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le modèle sportif européen « est un modèle démocratique servant à garantir que le sport reste ouvert à tous ».

En outre, l’assemblée parlementaire souligne que ce modèle est fondé sur les principes de « solidarité financière et d’ouverture des compétitions (promotion et relégation, opportunités pour tous) ».

Ce modèle se distingue du modèle nord américain, dit celui des championnats fermés (donc sans promotion ni régulation).

Si l’UEFA se fonde la nécessité de préserver l’intégrité du modèle sportif européen pour infliger des sanctions,

« elle serait inévitablement suspectée de vouloir maintenir un contrôle monopolistique sur la ligue des champions et de s’opposer à l’émergence d’une nouvelle forme de compétition, dans le but de défendre son propre intérêt commercial ».

Hakim Kebila - Avocat au Barreau de Paris et Kian Miri - Etudiant au Master II Droit du sport (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

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Notes de l'article:

[1CJCE 15 déc. 1995, ASBL, RCL et UEFA c/Jean-Marc Bosman, aff. C-415/93.

[2CJCE, 18 juill. 2006, Meca-Medina, aff. C-519/04.

[3Tribunal de commerce 17 à Madrid, « Réponse à la plainte déposée par l’European Super League S.L », Site officiel du tribunal, 1er juillet 2021.

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