Focus en matière d’expulsion et de concours de la force publique.

Par Mathilde Le Guen, Avocat.

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Explorer : # expulsion # force publique # propriétaire

Terminée depuis le 31 mars dernier, la trêve hivernale des expulsions locatives a mis à l’abri, pendant quelques mois, plusieurs milliers de locataires menacés d’éviction pour impayés.

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Toutefois, en dehors de cette « trêve », ont été mises en places des procédures d’urgence permettant au propriétaire de faire constater la résiliation du bail et, ainsi, d’obtenir du juge l’expulsion du locataire qui ne paie pas son loyer. Ces mêmes outils sont également mis à la disposition du propriétaire en cas d’occupation sans droit ni titre.

Pour autant, même avec un jugement exécutoire, le recours à la force publique s’impose parfois.

A ce titre, il convient de souligner que si ce concours est obligatoire pour assurer l’exécution de la décision d’expulsion, toutefois, il reste soumis à des conditions strictes.

Aux termes des articles L. 412-1, et L. 412-5 du Code des procédures civiles d’exécution :

" Si l’expulsion porte sur un local affecté à l’habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai."

Ainsi, dans le cas où l’expulsion porte sur un local affecté à l’habitation principale de la personne expulsée, celle-ci ne peut avoir lieu, sauf exception, qu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du commandement d’avoir à libérer les locaux.

En outre, il ressort des nouvelles dispositions de l’article L. 412-5 issu de la loi dite « ALUR » du 24 mars 2014 (n°2014-366) que, dès le commandement d’avoir à libérer les locaux, l’huissier de justice chargé de l’exécution de la mesure d’expulsion doit saisir le représentant de l’Etat dans le département. Partant, « à défaut de saisine du représentant de l’Etat dans le département par l’huissier, le délai avant l’expiration duquel l’expulsion ne peut avoir lieu est suspendu.  »

S’agissant de la date de la demande de concours de la force publique, il est acquis qu’en droit « le concours de la force publique ne peut être légalement accordé avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la réception par le préfet du commandement d’avoir à quitter les lieux antérieurement signifié à l’occupant ».

La jurisprudence a d’ailleurs précisé à de nombreuses reprises que « le concours de la force publique ne peut être légalement accordé avant l’expiration du délai de deux mois qui suit la notification au préfet du commandement d’avoir à quitter les lieux antérieurement signifié à l’occupant ».

Ainsi, « le préfet saisi d’une demande de concours moins de deux mois avant l’expiration de ce délai, qu’il doit mettre à profit pour tenter de trouver une solution de relogement de l’occupant, est légalement fondé à la rejeter en raison de son caractère prématuré ; qu’il appartient alors à l’huissier de renouveler sa demande à l’expiration du délai de deux mois suivant la notification du commandement ; que le préfet dispose alors d’un délai de deux mois pour se prononcer sur la demande et qu’en l’absence de réponse à l’expiration de ce délai, celle-ci est réputée avoir été rejetée ; que le refus même légalement opposé d’accorder le concours de la force publique engage la responsabilité de l’Etat » [1].

Pour autant, par un arrêt récent en date du 18 décembre 2013 (n°363126), le Conseil d’Etat a précisé qu’une demande de concours de la force publique effectuée même prématurément est valable et donc susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat en cas de refus implicite non motivé.

En l’occurrence, à la suite de l’ordonnance prononçant l’expulsion d’occupants sans titre d’un appartement appartenant une société, cette dernière avait notifié au Préfet du Val-de-Marne le commandement de quitter les lieux signifié aux occupants.

Le Préfet avait alors accusé réception de cette notification le 16 juin 2008 mais n’avait pas répondu à la demande de réquisition de la force publique le 12 août de la même année.

Selon le Conseil d’Etat, s’il est constant que « le préfet saisi d’une demande de concours avant l’expiration de ce délai, qu’il doit mettre à profit pour tenter de trouver une solution de relogement de l’occupant, est légalement fondé à la rejeter, par une décision qui ne saurait engager la responsabilité de l’Etat, en raison de son caractère prématuré  », pour autant, « lorsque, à la date d’expiration du délai, la demande n’a pas été rejetée pour ce motif par une décision expresse notifiée à l’huissier, le préfet doit être regardé comme valablement saisi à cette date ; qu’il dispose alors d’un délai de deux mois pour se prononcer sur la demande ; que son refus exprès, ou le refus implicite né à l’expiration de ce délai, est de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;  »

S’agissant plus précisément des motifs pouvant être opposés par la Préfecture à l’occasion de son refus de recourir à la force publique, le Conseil d’Etat vient également de préciser, par un arrêt du 25 juillet 2013 (n°347456), que l’obligation d’apporter le concours de la force publique vaut à l’égard de la personne visée par cette décision mais aussi de tous les occupants de son chef.

Par conséquent, n’est pas légale une décision du Préfet qui se borne à refuser le concours de la force publique aux motifs tirés de ce que le jugement d’expulsion ne visait qu’une seule personne et pas les occupants de son chef.

Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat a d’ailleurs estimé que l’Etat devait être condamné à verser au propriétaire une indemnité « au titre de sa responsabilité résultant du refus que le Préfet de police a opposé à sa demande de concours de la force publique ».

Cette affaire avait été renvoyée pour être jugée devant le Tribunal administratif de Paris.

Au vu de ces dernières décisions, on constate donc que le la jurisprudence administrative tend à faciliter les actions des propriétaires qui sont souvent contraints d’engager la responsabilité de l’Etat face aux refus de concours de la force publique.

Mathilde Le Guen -
Avocate Associée
Barreau de Rennes
Cabinet Via Avocats

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[1Conseil d’Etat, 18 février 2010, n° 316987, « Société d’habitations à loyer modéré de Guyane »

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