Fonds de commerce et occupation du domaine public : une révolution.

Par Aymeric Trivero, Avocat.

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Explorer : # fonds de commerce # domaine public # occupation temporaire # clientèle propre

L’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public a toujours posé difficulté. Cela procède principalement de la contradiction entre la « patrimonialité » du fonds de commerce et les principes, notamment la précarité, régissant la gestion du domaine public.
*Révolution : mouvement d’un objet autour d’un point central, d’un axe, le ramenant périodiquement au même point.

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Cette question de l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public connait depuis quelques années un regain d’intérêt du fait de l’adoption de l’article L2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, créé par l’article 72 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui prévoit qu’« un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ».

L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 11 mars 2022 [1] est l’occasion d’aborder ce sujet.

La compréhension de ce débat suppose d’analyser les notions en présence.

Le fonds de commerce peut être défini comme un ensemble d’éléments corporels et incorporels affectés à l’exploitation d’une activité commerciale ou industrielle. Il n’existe pas de définition légale du fonds de commerce, cependant les articles L141-5 et L142-2 du Code de commerce énumèrent certains des éléments qui peuvent le constituer. Il est admis que le fonds de commerce comprend ainsi des éléments corporels tels que le mobilier, le matériel et l’outillage servant à l’exploitation du fonds, ainsi que les agencements et installations, et des éléments incorporels, à : la clientèle et l’achalandage, le droit au bail, l’enseigne et le nom commercial, les marques, les brevets, les licences et autorisations administratives lorsqu’elles sont cessibles. Le fonds de commerce peut être cédé ou transmis à titre gratuit.

De son côté le domaine public est marqué par ses caractéristiques : il est imprescriptible et inaliénable [2].

Cette incompatibilité entre domaine publique et fonds de commerce n’est en réalité qu’apparente.

En effet, cette contradiction repose sur une mauvaise appréciation de la notion de fonds de commerce, notamment par les juridictions de l’ordre administratif [3]. Le fonds de commerce est traditionnellement associé au statut des baux commerciaux. Or, La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que le statut des baux commerciaux ne pouvait être accordé à un occupant du domaine public en raison du principe d’inaliénabilité du domaine public. Les articles L2122-2 et L2122-3 du CG3P dispose de même que « L’occupation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire » ; « L’autorisation mentionnée à l’article L2122-1 présente un caractère précaire et révocable ».

Ces règles ne sont pas remises en cause par l’adoption de l’article 72 de la loi du 18 juin 2014 et, malgré la qualification de fonds de commerce, les autorisations demeurent précaires.

Suivant cette logique, en l’état de l’impossibilité de conclure un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux sur le domaine public, les juridictions administratives considéraient qu’aucun fonds de commerce pouvait être constitué.

Cette vision est erronée car le fonds de commerce n’est pas consubstantiel du bail commercial. D’ailleurs, il existe de nombreux fonds de commerce sans baux commerciaux (par exemple : une entreprise qui exploite un site internet de vente en ligne ou une entreprise de livraison qui ne dispose pas d’un local etc).

Il est donc pour le moins étonnant de refuser l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public et il est encore plus étonnant d’adopter une loi affirmant qu’il est possible de constituer un fonds de commerce sur le domaine public, et ce, surtout en y ajoutant la condition de disposer d’une clientèle propre, exigence qui constitue une redondance avec la notion de fonds de commerce.

Si l’apport théorique de la notion n’emporte pas conviction peut-on imaginer que cette disposition améliore la situation du bénéficiaire de l’autorisation d’occupation du domaine public titulaire d’un fonds de commerce

Quels sont les avantages pour le bénéficiaire de l’occupation du domaine public de se prévaloir de cette nouvelle disposition.

Il parait évident que la précarité de l’occupation du domaine public, qu’existe ou nom un fonds de commerce, interdit toute droit de renouvellement. De même en cas de rupture anticipé de la convention d’occupation du domaine public le calcul du préjudice ne sera pas impacté par la notion de fonds de commerce puisque ce fonds de commerce par définition limité dans le temps ne sera jamais valorisé de la même manière qu’un fonds de commerce bénéficiant d’un bail commercial soumis au statut.

Reste la question de la cessibilité du fonds de commerce et donc de la cessibilité de l’autorisation d’occupation du domaine public. Sur ce point, la « consécration » du fonds de commerce sur le domaine public devra s’articuler avec l’article L2122-1-1 du CG3P qui organise une mise en concurrence pour toute occupation du domaine public : « sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».

Le ministre de l’économie et des finances a répondu à cette question à Monsieur Olivier Falorni, député de Charente-Maritime :

« les nouvelles obligations de publicité et de sélection préalables à la délivrance d’un titre d’occupation prévues par l’article L2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques n’ont pas matière à s’appliquer, dès lors que la présentation d’un successeur ne donne pas lieu, lorsqu’elle est acceptée par l’autorité gestionnaire, à la délivrance d’un nouveau titre d’occupation, puisque le successeur est subrogé dans les droits et obligations du cédant. En outre, l’exercice du droit de présentation d’un tiers successeur ne saurait être regardé comme correspondant ».

En résumé, la qualification de fonds de commerce ne facilite pas non plus la cessibilité de l’autorisation d’occupation du domaine public, accessoire au fonds, qui reste conditionné par l’accord de la personne publique.

En réalité c’est bien une révolution qui est intervenue mais dans son acception astronomique. Le droit public n’a aucune prise sur le droit civil et commercial en la matière, sa sphère d’intervention reste la gestion du domaine public. Le seul lien qui existe entre les règles applicables au domaine public et la notion de fonds de commerce est l’incidence sur sa valorisation.

En effet, les méthodes de valorisation seront nécessairement adaptées à cette circonstance particulière mais, là encore ce point n’est pas spécifique à l’occupation du domaine public, il se pose de la même manière pour un fonds de commerce exploité au titre d’un bail commercial non soumis au statut (dérogatoire ou bail emphytéotique).

Aymeric Trivero
Avocat
Barreau de Draguignan
Droit de l’Entreprise et du Patrimoine
www.juricia-avocats.com

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Notes de l'article:

[1CE 3e et 8e ch 11 mars 2022 n°453440.

[2L3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

[3CE, 31 juillet 2009, Société Jonathan Loisirs, n° 316534.

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