La question s’est posée de savoir dans quelle mesure l’épidémie avait une répercussion juridique sur la vie des contrats commerciaux et les engagements des parties.
Nous aurons désormais plus de réponses. En effet, les premières décisions concernant l’application de la force majeure dans le contexte de l’épidémie actuelle commencent à voir le jour.
Dans un jugement en date du 16 décembre 2020, le Tribunal de commerce de Nanterre a jugé que la survenance de la pandémie de Covid 19 ne caractérise pas, en l’espèce, une situation de force majeure dans le cadre des rapports contractuels liant deux sociétés de prestation de services informatiques.
Deux sociétés de prestations de services ont conclu en 2018 un contrat de sous-traitance de prestations informatiques réalisées au profit d’un client final, exerçant dans le secteur des opérations bancaires. Le contrat prévoyait la possibilité de résiliation anticipée sous condition pour l’intermédiaire de respecter un préavis de 1 mois dans le cas où l’entreprise principale cessait de donner mission de réaliser toute prestation d’assistance technique sur le site. Il ne comportait en revanche aucune clause spécifique relative à l’application de la force majeure.
Dans ce contexte, le prestataire exécutait quotidiennement les missions qui lui ont été confiées, dans les locaux du client final.
Le 17 mars 2020, soit le lendemain de l’annonce gouvernementale relative aux mesures d’urgence prises en raison de la crise sanitaire due à la Covid 19 (confinement national), l’entreprise principale a annoncé à ses consultants externes sa décision de réduire ses effectifs avec effet immédiat.
Il a ainsi été demandé au prestataire de quitter les locaux sans qu’il lui soit donné de consignes relatives au télétravail.
Le même jour, la société intermédiaire l’a informé de sa décision de suspendre le contrat en cours pour une période indéterminée au motif que le client final aurait lui-même suspendu le contrat la concernant. La suspension serait motivée par « la force majeure » liée à la pandémie de Covid 19 et par l’impossibilité pour le client final d’autoriser le télétravail.
Il s’est rapidement avéré que certains consultants et salariés ont continué à travailler chez le même client final sur site ou en télétravail. Pourtant, aucune solution de reprise n’a été proposée au prestataire. Ce dernier a donc contesté la suspension et a demandé à être réintégré. En réponse, l’intermédiaire a résilié le contrat sans préavis au motif de la force majeure. Il a également manqué d’honorer une facture sur des prestations antérieures.
L’affaire a donc été portée devant le Tribunal de commerce de Nanterre qui devait se prononcer sur la licéité de la suspension du contrat, d’une part, et de sa résiliation ultérieure, d’autre part.
I - La jurisprudence antérieure.
La question posée au juge était relativement inédite. Il existait peu de décisions rendues dans un contexte similaire auparavant. Par ailleurs, l’épidémie actuelle a donné lieu à des mesures gouvernementales sans précédent, telles que le confinement national ou les recommandations en matière de sécurité (exigence d’assurer une distance entre les effectifs au sein des locaux, recommandation de télétravail, etc.).
Rappelons d’abord que, conformément à l’article 1218 du Code civil,
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur (…) ».
Il en résulte que l’ensemble des conditions visées doit être rempli afin qu’une partie puisse s’exonérer de son engagement sur le fondement de la force majeure. Notamment, doit être rempli le critère d’irrésistibilité, c’est-à-dire de l’absence de mesures appropriées permettant d’éviter les effets de l’événement.
Cette même exigence a également été rappelée par le gouvernement dans le contexte de l’épidémie de Covid 19. Il a été indiqué que l’opposabilité de la force majeure entre les cocontractants n’est pas automatique.
S’agissant des jurisprudences, l’application de la force majeure par le juge n’a jamais été aisée. Les tribunaux ont tendance à estimer que la seule présence de l’épidémie n’est pas suffisante pour invoquer le cas de force majeure. Un lien de causalité doit être caractérisé entre l’événement dit de force majeure (l’épidémie) et l’inexécution de la prestation.
Ainsi, dans un arrêt du 8 janvier 2014, la Cour d’appel de Besançon a refusé l’exonération pour cas de force majeure lorsque le virus Ebola n’avait pas rendu l’exécution de l’obligation contractuelle impossible. En l’espèce, une société a résilié un contrat avec son partenaire commercial en essayant de se retrancher derrière le cas de force majeure. Le juge a rejeté l’argument de la force majeure et a condamné la société à payer à son cocontractant des indemnités de résiliation en relevant que cette résiliation ne respectait pas les termes du contrat unissant les parties.
De même, la Cour d’appel de Paris a refusé le 17 mars 2016 la qualification de la force majeure dans un litige relatif aux cotisations Urssaf qu’une société a manqué d’honorer à cause des difficultés liées à la crise sanitaire Ebola. Il a été jugé qu’aucun lien de causalité n’était établi entre le virus et la baisse annoncée de l’activité de la société. Cette dernière était donc redevable des cotisations au règlement duquel elle tentait d’échapper.
Conformément à ces jurisprudences, un cocontractant souhaitant mettre un terme à son contrat doit non seulement prouver qu’il n’a pas pu anticiper les difficultés auxquelles il s’est trouvé confronté, mais aussi qu’il n’a pas été possible pour lui de trouver des solutions pour y remédier.
II - La solution donnée par le juge.
En l’espèce, le juge est allé dans le même sens que les jurisprudences précitées.
Après avoir rappelé les dispositions de l’article 1218 du Code civil, le tribunal a d’abord confirmé qu’en l’espèce
« il n’est pas contestable que la pandémie de Covid-19 constitue un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ».
Concernant le troisième critère édicté par l’article 1218 du Code civil, le tribunal a relevé que la suspension du contrat litigieux procédait d’une « décision de gestion » prise par le client final dans le cadre d’un « contrat tiers » passé entre ce dernier et la SSII.
Le tribunal a observé que la défenderesse était taisante sur les discussions qu’elle a pu avoir avec son cocontractant, l’entreprise finale, quant aux mesures appropriées susceptibles d’être prises pour pallier les effets de la pandémie. Elle n’a en effet versé aucune pièce émanant de l’opérateur bancaire, justifiant des décisions de gestion effectivement prises.
Par ailleurs, il a été souligné qu’au vu des faits, les effets de la pandémie ont pu être évités par l’entreprise principale. Cela résultait de la poursuite même de son activité, tout au moins partielle. Cette poursuite aurait donc pu être appliquée dans le cadre des relations contractuelles liant l’intermédiaire et le prestataire.
La survenance de la pandémie de Covid 19 ne caractérisait donc pas une situation de force majeure dans le cadre des rapports contractuels liant les parties.
Ainsi, la force majeure ne pouvait pas être invoquée pour écarter la clause de résiliation contractuelle ou justifier la suspension du contrat. Les mesures prises par la défenderesse pour suspendre le contrat, puis pour le résilier, étaient constitutives d’une faute contractuelle.
Le juge a condamné la SSII à payer au prestataire la rémunération correspondant à la période de préavis stipulée au contrat, en conséquence de la résiliation fautive du contrat.
S’agissant de la période de suspension, il a également été estimé qu’elle ne pouvait pas être légitimement motivée par la force majeure. Aucune indemnité n’a toutefois été prononcée sur ce fondement. Le Tribunal a relevé que conformément au contrat, les factures étaient établies « sur la base d’un compte rendu d’activité mensuel » du sous-traitant et que le contrat ne prévoyait pas de minimum quant au nombre de jours prestés. Le juge a par conséquent estimé qu’il n’y avait pas lieu à rémunérer le prestataire pour les jours de la suspension du contrat dans la mesure où celui-ci ne travaillait pas pendant cette période.
III- La portée de la décision.
La décision mérite d’être approuvée pour avoir clairement refusé l’application automatique des dispositions relatives à la force majeure pour les contrats affectés par la survenance de l’épidémie.
Il convient de faire la différence entre les situations où la force majeure impacte la vie des contrats de telle manière qu’elle rend impossible leur poursuite et celles où leur exécution est simplement plus compliquée.
Pour que le contrat puisse être affecté par la force majeure sur le plan juridique, il faut nécessairement que l’ensemble des conditions soient cumulativement réunies.
Parmi elles, la plus délicate, celle de l’impossibilité absolue de poursuivre l’exécution de tout ou partie du contrat. Autrement dit, le cocontractant désirant se fonder sur la force majeure doit démontrer qu’il ne dispose d’aucun moyen pour exécuter la prestation, notamment qu’il n’est pas en mesure d’adapter les conditions de travail, de prévoir une source d’approvisionnement alternative, etc.
Ainsi, même si la survenance de l’événement rend l’exécution du contrat plus difficile en pratique, cela ne suffit pas pour remettre en question ses obligations contractuelles.
En l’espèce, exerçant dans le secteur bancaire, le client final devait respecter les protocoles de sécurité relatifs aux flux bancaires gérés. Pour cette raison, il n’avait pas pour habitude d’autoriser le télétravail. Par conséquent, le jour du confinement, il s’est trouvé dans une difficulté liée à l’insuffisance des infrastructures permettant le travail à distance pour l’ensemble de ses collaborateurs. Cette difficulté était certaine, mais pas insurmontable. La poursuite du travail restait possible. Elle nécessitait simplement la mise en place des mesures adaptées. Ainsi, si la force majeure liée à l’apparition de la pandémie et aux mesures gouvernementales prises en conséquence avait une influence pratique sur l’organisation de cette entreprise, elle n’avait aucun impact juridique.
La décision est également instructive en ce qui concerne le transfert de la responsabilité dans les contrats de sous-traitance. Au cas particulier, la SSII tentait de faire subir au prestataire les décisions relevant de l’entreprise principale. Le juge a toutefois précisé que le contrat signé entre le client final et la SSII était « tiers » à la relation entre la SSII et le prestataire. En effet, chaque relation contractuelle était ici indépendante. L’intermédiaire ne pouvait pas s’exonérer de sa responsabilité envers son cocontractant sur le fondement des mesures prises dans le cadre d’une convention à laquelle ce dernier était extérieur.
En revanche, le refus d’indemniser le prestataire pour la période de la suspension illégitime du contrat est à notre avis contestable. Certes, le prestataire n’a exécuté aucun travail pendant cette période. Cela résultait cependant d’une décision opérationnelle prise par son client et de l’absence de l’organisation de travail adaptée. Toujours lié par le contrat, le prestataire restait disponible et était donc prêt à intervenir en cas de reprise. Cette situation faisait aussi que le demandeur ne pouvait pas pendant la période de suspension s’engager auprès d’un autre cocontractant dans la mesure où sa mission était effectuée quotidiennement et à temps plein. Ainsi, il aurait dû à notre sens être également indemnisé pour le préjudice lié à son manque à gagner pendant la suspension du contrat.
Quoi qu’il en soit, le présent jugement met en garde les cocontractants opérant dans le contexte difficile de la pandémie. Bien que la crise sanitaire que nous vivons affecte fortement de nombreuses relations commerciales, l’invoquer dans le but de remettre en question ses obligations contractuelles doit l’être avec la plus grande prudence.
Discussion en cours :
Bonjour . Suis étudiante en droit privé au Cameroun .
La question secondaire si je ne me trompe pas était celle de savoir si la COVID 19 est une situation de force majeure dans le cadre des rapports contractuels.
Je suis d’avis avec la décision d’une part mais pourquoi ne pas soulever le cas de force majeure dans ce contexte ? En effet nous savons qu’en droit parler de force majeure c’est réunir trois critères : l’imprévisible, irrésistible et extérieure.
En fait ma question est de savoir où était il question de classer la covid19 dans le cadre contractuel vu son ampleur ? Si le considérer comme force majeure est un alibi pour le prestataire de ne pas s’exécuter ?