La guerre des juridictions n’aura pas lieu.

Par Christophe D. Fabre, Avocat.

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Explorer : # dialogue des juges # proportionnalité # extraterritorialité # courtoisie internationale

Au Chant XI de l’Odysée, Homère dépeint une catabase : Ulysse descend aux enfers afin d’accéder à une vérité supérieure. L’épreuve initiatique sert l’élévation de l’esprit, l’acquisition du savoir par la consultation du devin Tirésias et du guerrier Achille. Le retour à l’équilibre, symbolisé par l’arrivée à Ithaque s’ensuivra. Aujourd’hui, la multiplication des systèmes juridiques, la mondialisation des échanges déborde le cadre de l’Etat-nation et sa réponse juridique traditionnelle. Alors que les droits entrent en concurrence, la nécessité d’empêcher une guerre des juridictions se fait éthique de la responsabilité.

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Éviter la guerre des droits au plan interne

Si le droit européen et le droit constitutionnel français permettent de censurer la contradiction des lois nationales aux valeurs fondamentales, comment juguler les risques de contrariété dans la délimitation des droits, accrus par la QPC et une judiciarisation croissante ?

En réalité, le Conseil constitutionnel et la Cour de Strasbourg concordent souvent grâce à un test de proportionnalité proche, sanctionnant le déséquilibre manifeste dans la restriction d’une liberté fondamentale sur l’autel de la réalisation d’un objectif plus légitime (intérêt général, objectif de valeur constitutionnelle, protection d’une autre liberté). Ainsi, les équilibres atteints convergent souvent. Si des divergences de solutions menacent, un « dialogue silencieux des juges », réalisé par l’analyse d’autres droits, substituent l’harmonie des solutions aux risques de dissonances.

En sus, un « dialogue organisé des juges », illustré par trois décisions du Conseil constitutionnel et l’arrêt Arcelor du Conseil d’État de 2007, existe lorsque le juge national regarde si le niveau de protection invoqué par le demandeur est offert par le droit de l’Union auquel cas il s’applique. À défaut, le droit constitutionnel français comblerait le déficit.

Éviter la guerre des droits au plan externe

Le danger naît de la tentation de chaque État d’appliquer son droit hors des ses frontières pour affirmer ses intérêts. Ainsi, le Foreign corrupt Practices Act américain de 1977, permet la sanction de sociétés étrangères (Alstom) pour corruption à l’étranger d’agents publics. De même, BNP Paribas plaida coupable de fourniture de services bancaires à des entités africaines en méconnaissance d’embargos américains. La justification de la compétence américaine, ténue, résidait en la réalisation de transactions en U.S dollars par certaines banques situées sur le sol américain.
Le remède procède de la dissuasion et du respect de la courtoise internationale.

Par l’arrêt Schrems de 2015, la Cour de l’Union européenne censura le safe-harbor, la transmission systématique des données aux États-Unis par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) opérant en Europe au motif d’une protection insuffisante. Cette décision en réaction à l’application extraterritoriale du droit américain manifestait la dissuasion européenne.

L’Alien Tort Statute (ATS), loi fédérale américaine, permet à un étranger victime d’infractions violant le droit international de demander réparation du dommage devant les Cours fédérales. Initialement, l’ATS de 1789 permettait d’indemniser les violations du droit international d’alors. Graduellement, les cours américaines interprétèrent extensivement la loi en indemnisant les victimes d’actes de torture commis à l’étranger. Si l’application universelle d’une loi pénale est controversée, l’ATS permet non la punition mais la réparation de dommages nés à l’étranger, par et contre des étrangers, de crimes violant le droit international. Une telle interprétation devint rapidement un casus belli des relations internationales ; davantage quand des sociétés de droit étranger furent condamnées pour complicité d’un régime violant les droits humains. L’ingérence des cours américaines et leur faible légitimité aux fins de réparer des atrocités commises à l’étranger furent vilipendées.

Heureusement, la Cour suprême en son arrêt Kiobel de 2013 limita drastiquement la sphère d’application du texte : le principe d’inapplication du droit américain pour des faits commis à l’étranger n’était renversé que lorsque la violation du droit international avait eu lieu sur le territoire des États-Unis ou par un citoyen américain ou enfreignait un important intérêt national.

Une mesure souhaitable fut atteinte : la réparation de la violation des droits fondamentaux assurée sans détruire le principe de souveraineté. L’imminence du péril réactive la courtoisie internationale, gage d’une meilleure coopération juridique sans affaiblir les standards de protection.

A l’inverse du mythe grec, au XXIème siècle, les cours suprêmes restaurent l’équilibre par une anabase, la montée symbolique des leurs marches, invitant une délimitation prudente et raisonnée des sphères d’influence du droit de chaque pays.

Christophe D. Fabre
Avocat

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