Rappelons que la législation française était l’une des rares en Europe, avec la Grèce, à interdire la rémunération des comptes à vue [1]. Aussi, lorsque la CaixaBank France, société française filiale d’une société espagnole, a commencé de mettre sur le marché français des comptes à vue rémunérés, la Commission bancaire le lui a interdit [2]. La banque a alors exercé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat qui a sursis à statuer et introduit à son tour une demande de décision préjudicielle devant la Cour de Justice des Communautés Européennes.
La question principale portait sur le point de savoir si l’interdiction faite en France de rémunérer les comptes à vue constituait une entrave à la liberté d’établissement dont pouvaient se prévaloir les établissements issus d’autres Etats membres de la Communauté Européenne [3]. La liberté pouvait en effet être considérée comme entravée, dans la mesure où, face à des établissements de crédit bien implantés dans un Etat (la France), les établissements étrangers disposent, avec la possibilité de rémunérer les comptes à vue, d’un outil efficace dans le jeu de la concurrence. L’interdiction de ce dernier serait ainsi un frein à leur liberté d’établissement. Ce à quoi l’on répondait, côté français, que les banques étrangères disposent toujours, pour lutter de cette manière contre les banques françaises, de l’arme des comptes à termes qui peuvent, eux, être rémunérés. Mais à cet argument Caixa Bank répliquait que les comptes à termes ne comprennent pas les services bancaires importants que sont le chèque et la carte bancaire.
En outre, une question subsidiaire tenait au point de savoir, dans l’hypothèse où serait retenue l’entrave à la liberté, si celle-ci ne pouvait pas se justifier, comme il se doit, par d’impérieuses raisons d’intérêt général, pour autant qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivit, et sans aller au-delà du nécessaire. La France argumentait bien sûr en ce sens, défendant l’interdiction de rémunérer les comptes à vue, d’une part au nom de la protection des consommateurs, dans la mesure où la rémunération suppose un coût dont la compensation porte atteinte à la gratuité des services bancaire (le chèque), et d’autre part au nom de l’encouragement de l’épargne à moyen et long terme, la non rémunération des comptes à vue étant une incitation à user des comptes à terme [4].
Sur la question de principe, la CJCE se range aux arguments de la Caixa Bank. L’interdit de rémunérer les comptes à vue constitue bien une entrave à la liberté d’établissement. Et elle repousse également les justifications apportées à cette entrave. Elle repousse d’abord l’idée d’une atteinte à la gratuité en reliant rémunération du compte et service payant, le service pouvant demeurer gratuit pour les comptes non rémunérés. Quant à l’idée que l’interdiction de la rémunération encouragerait l’épargne, elle considère que la mesure va au-delà du nécessaire.
En conséquence de cette décision le Conseil d’Etat a annulé la décision de la Commission bancaire [5], ce qui signifie que la rémunération des comptes à vue est désormais permise en France. Illustration, s’il en fallait, de l’importance croissante et majeure du droit bancaire européen sur le droit bancaire français.