Les faits.
En 2011, une commune a lancé une procédure de passation d’un marché de travaux portant sur la transformation d’une grange en bibliothèque, lequel était notamment composé d’un lot « démolition - gros œuvre ».
La réception de l’ouvrage a été prononcée sous réserve de l’achèvement de certaines prestations, dont celles relatives à la finition de l’enduit traditionnel extérieur.
L’entreprise titulaire du lot a adressé son projet de décompte final à la commune.
Toutefois, en retour, la commune lui a notifié un décompte général déduisant une somme pour des travaux correspondant aux réserves non levées par l’entreprise.
Malgré l’organisation d’une procédure de règlement amiable, l’entreprise a été amenée à contester ce décompte au contentieux devant le Tribunal Administratif de Nantes, lequel a fait droit à sa demande.
La commune a interjeté appel mais son appel a été rejeté par la Cour Administrative d’Appel de Nantes [2] qui a estimé que le refus de la commune de lever une partie des réserves ne l’autorisait pas à opérer d’office, dans le décompte général, une réfaction sur le montant total du marché à hauteur du prix des travaux qu’elle estimait nécessaires pour réparer les malfaçons.
La Commune s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.
Le raisonnement du Conseil d’Etat.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat commence par rappeler que lorsque le maître d’ouvrage assortit la réception de réserves, l’entrepreneur est tenu remédier aux imperfections ou malfaçons dans un délai déterminé, et si les travaux ne sont pas réalisés au terme de ce délai, le maître d’ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques de l’entrepreneur [3], y compris postérieurement à l’établissement du décompte général.
La haute juridiction reproduit ensuite les termes d’une jurisprudence désormais bien établie en vertu de laquelle « l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties » [4] et que « toutes les conséquences financières de l’exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu’elles ne correspondent pas aux prévisions initiales » [5].
En conséquence, lorsque des réserves ont été émises lors de la réception et n’ont pas été levées par l’entreprise titulaire, il appartient au maître d’ouvrage d’inscrire ces réserves dans le décompte du marché.
A défaut, la sanction est sévère pour le maître d’ouvrage puisque le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation auprès du titulaire des sommes correspondant à ces réserves [6].
Cette jurisprudence a été par la suite assouplie par le Conseil d’Etat qui a pu préciser que les réserves mentionnées dans ce décompte n’ont pas à être nécessairement chiffrées [7].
Après avoir rappelé cet édifice jurisprudentiel [8], le Conseil d’Etat procède de manière pédagogique à une distinction selon que les réserves émises ont fait ou non l’objet d’un chiffrage par le maître d’ouvrage.
Deux situations doivent ainsi être distinguées :
Lorsque les réserves sont mentionnées dans le décompte sans être chiffrées, celui-ci ne devient définitif que sur les éléments n’ayant pas fait l’objet de réserves ;
Lorsque le maître d’ouvrage chiffre le montant de ces réserves dans le décompte et que ce montant n’a fait l’objet d’aucune réclamation de la part du titulaire, le décompte devient définitif dans sa totalité.
Dans la première hypothèse, les réserves non chiffrées ne subissent pas le caractère définitif du décompte de sorte que les droits du maître d’ouvrage à l’encontre du titulaire sont alors conservés.
Dans la deuxième hypothèse, les réserves chiffrées et n’ayant pas fait l’objet d’une contestation de la part du titulaire acquièrent un caractère définitif.
En ce qui concerne cette deuxième hypothèse, le Conseil d’Etat ajoute que dans ce cas,
« les sommes correspondant à ces réserves peuvent être déduites du solde du marché au titre des sommes dues au titulaire au cas où celui-ci n’aurait pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves ».
Assurément, cette jurisprudence répond à un impératif de protection des intérêts du maître d’ouvrage à condition toutefois que ce dernier ait respecté un certain formalisme en assortissant le décompte général « d’une mention indiquant expressément l’objet des réserves, du litige ou de la réclamation » [9].
La solution dégagée en l’espèce.
En l’espèce, la commune face à des réserves non levées par l’entreprise pouvait donc en application de cette décision du Conseil d’Etat décider d’exécuter des travaux et en imputer le coût à l’entreprise sur son décompte [10].
Dans son arrêt, la Cour Administrative d’Appel avait jugé que la commune ne pouvait régulièrement imputer le coût des travaux nécessaires à l’entrepreneur faute d’avoir conclu un marché de substitution.
Ce raisonnement est censuré par le Conseil d’Etat qui considère que la Cour Administrative d’Appel a commis une erreur de droit
« en jugeant que malgré l’inscription dans le décompte général et définitif d’une somme correspondant aux travaux ayant fait l’objet de réserves non levées, la commune maître d’ouvrage ne pouvait se prévaloir d’une créance correspondant à cette somme à l’encontre du titulaire au motif que ces travaux n’avaient pas été réalisés ».
Le Conseil d’Etat a ainsi suivi les conclusions de son rapporteur public [11] qui soutenait qu’une solution inverse n’était pas souhaitable, à la fois pour des raisons juridiques (le CCAG n’impose pas la réalisation effective des travaux) et pour des raisons pratiques (les délais d’élaboration des comptes sont particulièrement brefs et il est légitime pour un maître d’ouvrage d’acter simplement le principe de travaux de reprise, éventuellement au besoin d’une réserve non chiffrée).