Ordonnances de l’article R222-1 du CJA : le Conseil d’Etat rappelle aux juges du fond leur obligation de tri sélectif.

Par Jocelyn Lonjou, Avocat.

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Explorer : # ordonnances de tri # rejet de requête # intérêt à agir # régularisation

Dans une décision en date du 30 mars 2023 mentionnée aux tables (n° 453389), le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions de l’article R222-1 du Code de justice administrative n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance d’une requête pour irrecevabilité manifeste lorsque la juridiction s’est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, alors même qu’elle aurait fixé une date de clôture d’instruction, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non-recevoir.

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Dans cette affaire, un requérant avait sollicité du Tribunal Administratif de Marseille l’annulation d’un permis d’aménager.

Au cours de l’instruction, la juridiction avait communiqué au requérant un mémoire en défense qui opposait à sa requête une fin de non-recevoir tirée de son absence d’intérêt à agir contre ce permis et en lui indiquant un délai dans lequel il lui serait loisible de répondre.

Constatant que le requérant n’avait pas répliqué (ou pas suffisamment) à cette fin de non-recevoir après la clôture de l’instruction, le président de la chambre concernée du tribunal avait donc rejeté sa requête via une ordonnance du 7 avril 2022 (et donc sans audience) en raison de son caractère manifestement irrecevable.

En effet, lorsqu’une requête est manifestement irrecevable, les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d’appel peuvent la rejeter directement par une simple ordonnance en application du 4° de l’article R222-1 du Code de justice administrative qui dispose :

« Les présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance :
(...)
4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées à l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens
 ».

Ces ordonnances dites "de tri" constituent des armes redoutables, notamment pour les requérants qui saisissent la juridiction administrative sans avocat.

En l’espèce, le président de chambre pouvait-il procéder ainsi ?

Dans son arrêt du 30 mars 2023 [1] le Conseil d’Etat a répondu par la négative en rappelant les trois uniques hypothèses dans lesquelles les requêtes manifestement irrecevables peuvent être rejetées par une ordonnance de tri :

  • Les requêtes dont l’irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte,
  • Les requêtes qui ne peuvent être régularisées que jusqu’à l’expiration du délai de recours, si ce délai est expiré,
  • Les requêtes qui ont donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l’informant des conséquences qu’emporte un défaut de régularisation comme l’exige l’article R612-1 du Code de justice administrative, est expiré.

Au cas présent, la Haute Juridiction indique dans sa décision que les dispositions de l’article R222-1 4° du Code de justice administrative

« n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la juridiction s’est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d’une irrecevabilité susceptible d’être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, alors même qu’elle aurait fixé une date de clôture d’instruction. En pareil cas, la requête ne peut être rejetée pour cette irrecevabilité que par une décision prise après audience publique ».

Dit autrement, le Conseil d’Etat a retenu que la simple communication du mémoire adverse assorti d’un délai indicatif pour répondre ne pouvait tenir lieu d’une demande de régularisation.

Pour cela, il aurait été nécessaire qu’une invitation à régulariser ait été faite dans les formes prévues à l’article R612-1 du Code de justice administrative [2].

Par suite, l’ordonnance querellée du 7 avril 2022 a été annulée pour erreur de droit.

Il appartenait ainsi au tribunal de rejeter la requête pour défaut d’intérêt pour agir au terme de l’instruction et après la tenue d’une audience.

Cette solution n’est pas nouvelle, le Conseil d’Etat ayant déjà posé comme règle en 2015 [3] en réaction à des cours administratives d’appel qui avaient jugé l’inverse [4], que la seule communication d’un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir assortie d’un délai indicatif pour répliquer ne valait pas invitation à régulariser au sens de l’article R612-1 du Code de justice administrative susceptible de justifier un rejet par voie d’ordonnance.

Dans ses conclusions sur cet arrêt du 14 octobre 2015, le rapporteur public Nicolas Polge avait souhaité éviter que « le requérant se trouve pris dans ce qu’il peut regarder comme un piège, assorti d’une préméditation modérément compatible avec la loyauté du procès ».

Jocelyn Lonjou
Avocat Droit Public
Barreau de Toulouse

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Notes de l'article:

[1CE, 30 mars 2023, n° 453389, mentionné aux tables.

[2La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l’expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours.

[3CE, 14 octobre 2015, n° 374850, mentionné aux tables ; v. également CE, 31 décembre 2018, n° 413123, inédit au recueil Lebon.

[4V. par ex CAA Douai, 1er juillet 2010, n° 09DA01349.

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