Les Trentes glorieuses, période de forte croissance et de plein emploi, voit le CDI à temps plein s’imposer comme la forme juridique classique du salariat.
Néanmoins, depuis les années 1980, de nombreuses formes atypiques d’emploi, à l’image du CDD et de l’intérim, se sont développées.
La nature des contrats existants s’est ainsi élargie de sorte que le Manifeste pour l’emploi de novembre 2016 rapporte 38 types de contrats de travail différents.
Cette évolution ressort du rapport de l’INSEE « Une rotation de la main-d’œuvre presque quintuplée en 30 ans » selon lequel en 2014, seuls 45% des jeunes actifs ont un CDI face à 77% en 1980.
Ce constat s’explique par le besoin grandissant des entreprises de profiter d’une certaine souplesse dans leur organisation afin de s’adapter aux évolutions impactant leur environnement.
Or, le contrat à durée indéterminée impose une certaine stabilité qui peut constituer un frein à la flexibilité des entreprises.
C’est pourquoi, dans ce nouveau contexte d’instabilité croissante auquel font face les entreprises, ces dernières sont amenées à revoir leur organisation interne afin de devenir la plus agile possible.
C’est en ce sens que de nombreuses sociétés font le choix d’opter pour l’externalisation de leur production, gestion des ressources humaines ou de tout autre service de l’entreprise initialement géré en interne.
Ainsi, ces entreprises multiplient les recours à des prestataires externes au détriment du salariat.
Se développe alors le phénomène de la "parasubordination" définie par Jacques Barthélémy comme une catégorie « intermédiaire entre celle des salariés et celle des indépendants » qu’il surnomme la « zone grise ».
Le travailleur parasubordonné a alors pour caractéristiques d’être indépendant juridiquement mais dépendant économiquement de son donneur d’ordres.
Ce type de travailleurs n’est donc pas salarié en vertu de la présomption de non salariat, consacrée par la loi Madelin du 11 février 1994 et selon laquelle les professionnels inscrits à un registre professionnel sont présumés ne pas être liés par un contrat de travail pour tous les contrats qu’ils concluent.
Si cette forme de contractualisation offre une grande flexibilité aux entreprises ainsi qu’une réelle indépendance juridique aux travailleurs parasubordonnés, elle peut également avoir pour inconvénient de mener ces derniers à une forte précarité.
En effet, le travailleur parasubordonné ne bénéficie pas d’un revenu minimum qui peut, en cas de faible activité, s’avérer inférieur au SMIC.
Il est donc nécessaire d’encadrer le mécanisme de la parasubordination. En ce sens, nous noterons que certains pays européens ont fait le choix de consacrer un statut spécifique applicable à l’ensemble des travailleurs hybrides concernés.
Ainsi, l’Espagne a opté pour la mise en place du « Statut du travail autonome économiquement dépendant » applicable à l’ensemble des indépendants exerçant
« une activité économique ou professionnelle à but lucratif, de manière habituelle, personnelle, directe et, de manière prépondérante, au profit d’une personne physique ou morale, dénommée cliente, dont ils dépendent économiquement pour percevoir au moins 75% des revenus de leur activité professionnelle ».
Ce statut confère des droits à l’ensemble des travailleurs parasubordonnés qui bénéficient, depuis 2007, d’une protection contre la discrimination et les risques professionnels.
En France, cette catégorie juridique est timidement prise en compte par le droit qui se contente de présomptions légales de salariat (V.R.P., journalistes professionnels, mannequins et artistes du spectacle) et de certaines assimilations légales au statut de salarié.
Le régime français ne présente donc aucun filet de sécurité qui permettrait de régler le sort des différents cas de parasubordination non ou insuffisamment traités par le législateur français.
Or, ce vide juridique oblige le juge à intervenir. Il s’agit de l’exemple désormais typiques des travailleurs de plateforme où le juge requalifie fréquemment les contrats commerciaux en contrats de travail, nuisant alors d’autant à la sécurité juridique.
Les nombreuses condamnations des plateformes en ligne telles que Uber [1], Deliveroo [2], Take it Easy [3] ont alors fait réagir le législateur français qui commence depuis peu à intervenir sur ce sujet.
C’est ainsi que, dans ce contexte très particulier, est intervenue l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation.
Cette ordonnance vient compléter le titre IV du livre III de la septième partie du code du travail introduisant les articles L7343-1 à L7345-6.
Ces dispositions prévoient la mise en place de l’autorité des relations sociales des plateformes d’emploi qui a pour
"mission la régulation des relations sociales entre les plateformes mentionnées à l’article L7342-1 et les travailleurs qui leur sont liés par un contrat commercial notamment en assurant la diffusion d’informations et en favorisant la concertation".
Ainsi, est instauré, par le biais de cet établissement public national à caractère administratif, un véritable dialogue social entre ces travailleurs hybrides et les plateformes elles-mêmes.
Nul ne fait alors de doute que ce dialogue social aboutira à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateforme tout en leur apportant certaines garanties quant à leur rémunération.