L'interdiction administrative de stade au regard des libertés publiques. Par Justin Maridonneau, Avocat et Louis Portheret, Elève-Avocat.

L’interdiction administrative de stade au regard des libertés publiques.

Par Justin Maridonneau, Avocat et Louis Portheret, Elève-Avocat.

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Explorer : # interdiction administrative de stade # libertés publiques # hooliganisme # sanctions administratives

Dans un contexte de hausse des violences dans les stades, l’interdiction administrative de stade pourrait être l’instrument privilégié afin d’endiguer ce phénomène. Toutefois, la pratique administrative actuelle interroge quant à l’impératif de respect des libertés publiques.

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Chants homophobes, propos à caractère raciste, violences entre supporters et envers les joueurs, l’actualité footballistique brûlante se trouve une nouvelle fois davantage en tribune que sur le terrain. Au regard de la lumière médiatique jetée sur ces événements et à l’approche des Jeux Olympiques organisés à Paris cette année, il est probable que les pouvoirs publics soient tentés d’apporter une réponse particulièrement répressive à ce phénomène.

A cet égard et afin de lutter contre le hooliganisme et les violences dans les stades, le législateur avait prévu, au sein de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, un nouveau pouvoir de police administrative spéciale permettant à l’administration d’écarter les individus les plus violents : l’interdiction administrative de stade (IAS).

Outre le lien artificiel avec la lutte contre le terrorisme, ce mécanisme contribue à l’effritement des libertés publiques, à la fois par l’octroi à l’administration de pouvoirs de police toujours plus étendus, mais aussi par le dévoiement de ces pouvoirs par les préfectures elles-mêmes.

Car si l’IAS avait pour finalité la possibilité pour les pouvoirs publics de prendre une mesure transitoire en attendant une décision de justice et une éventuelle condamnation pénale, la pratique actuelle relève de manière évidente d’une sanction administrative définitive, mais dépourvue des garanties du procès équitable, le préfet se substituant au juge dans une énième confusion des rôles et des fonctions.

Sur le champ d’application de l’IAS (interdiction administrative de stade).

L’IAS constitue donc une mesure de police administrative spéciale entrant dans le champ de compétence préfectoral. Celle-ci est prononcée soit par le Préfet de police à Paris et Marseille soit par le Préfet de département, dans le reste de la France.

Témoin des largesses accordées à l’administration par le législateur, l’IAS a vu sa durée maximale croitre de façon considérable, passant de trois à douze mois et même vingt-quatre mois en cas de récidive.

Prise par la voie d’un arrêté motivé, l’interdiction doit nécessairement comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. L’exposé des motifs doit être suffisamment précis pour permettre une discussion utile et une compréhension totale pour l’intéressé, sous peine d’annulation par le juge administratif.

Enfin, comme chaque décision individuelle de police administrative, l’IAS doit respecter une forme de contradictoire préalable. Loin des garanties du procès équitable, le préfet est simplement tenu d’informer l’individu concerné qu’une mesure d’interdiction de stade est susceptible d’intervenir à son encontre sur le fondement de l’article L332-16 du Code du sport et qu’il est possible de lui faire parvenir des observations écrites. En outre, le refus d’une demande d’entretien par le Prefet constitue un manquement à l’obligation de contradictoire justifiant alors l’annulation par le juge administratif d’un arrêté d’IAS [1].

Sur les faits justifiant une interdiction administrative de stade.

Le texte initial prévu par la loi de 2006 offrait la possibilité pour le Préfet de prononcer une IAS en raison d’un « comportement d’ensemble ». Ce motif dont les contours étaient déjà extrêmement étendus, permettant ainsi une très large marge d’appréciation aux préfets, prévoyait cependant en contrepartie une durée relativement courte et limitée de la mesure. Elle permettait l’éloignement des enceintes sportives des supporters les plus violents ayant commis une infraction durant trois mois en attendant une décision de justice et une sanction pénale.

Toutefois, au fil des modifications législatives, le champ des motifs a été élargi et la durée de l’interdiction a été allongée. Désormais, l’article prévoit que peut être prononcée une IAS à l’encontre toute personne constituant une menace pour l’ordre public « par son comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives, par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations », ou du fait de son appartenance à une association de fait ayant été dissoute.

L’imprécision de ce texte quant aux motifs permettant de justifier une IAS, malgré les apports législatifs successifs, ouvre la brèche à une pratique dévoyée et arbitraire par l’administration.

Ainsi, force est de constater que l’IAS sert davantage à sanctionner l’usage ou la détention de fumigènes que les comportements violents. Un rapport d’information de l’Assemblée nationale de mai 2020 mentionne que des arrêtés d’IAS ont également été pris en raison de chants contestataires, le port d’une écharpe d’un groupe de supporters dissout ou encore le vol d’un sandwich dans une station-service. Exemples idoines de l’arbitraire de la pratique préfectorale. Par ailleurs, le rapport en vient même à recommander une légalisation de la pyrotechnie dans les stades afin d’ouvrir une « ère partenariale » avec les supporters plutôt que de les soumettre à des sanctions disproportionnées.

Sur la double sanction.

Ce dévoiement de l’IAS est d’autant plus regrettable que l’arrêté entraine quasiment inéluctablement une double sanction pour l’individu concerné.

En premier lieu, conformément à son objet, l’arrêté interdit l’accès au stade, à ses abords et éventuellement à d’autres manifestations sportives. La violation de cette interdiction est lourde de conséquences puisqu’elle est susceptible de conduire à 3 750 euros d’amende et un an de prison.

Ensuite, l’IAS peut être assortie d’une obligation de pointage imposant de se rendre au commissariat ou à la gendarmerie au moment des manifestations sportives objet de l’interdiction.

Tandis que le texte prévoit que « cette obligation doit être proportionnée au regard du comportement de la personne », ledit rapport d’information de l’Assemblée nationale indique que dans la quasi-totalité des cas les IAS sont assorties de l’obligation de pointage.

S’ajoutant à l’IAS, cette obligation de pointage entraine irrémédiablement des préjudices sur la vie familiale, sociale et professionnelle de la personne concernée. Selon le calendrier du club supporté par l’individu sujet de l’IAS, ce dernier peut être obligé de pointer jusqu’à 50 fois durant une année, le plus souvent le week-end et le soir.

Sur la possible contestation d’une IAS.

A l’instar de toutes les décisions individuelles de police administrative, l’arrêté d’IAS demeure contestable par différentes voies.

Tout d’abord, dès réception d’une lettre de la préfecture l’informant qu’est envisagée une IAS, l’intéressé doit produire des observations écrites dans les plus brefs délais et éventuellement solliciter un rendez-vous.

Une fois que l’arrêté d’IAS a été pris, il est possible de solliciter son retrait par la voie soit d’un recours gracieux adressé au préfet qui a pris la décision soit d’un recours hiérarchique adressé au Ministre de l’Intérieur. Le retrait correspond à la disparition juridique d’un acte pour le passé comme pour l’avenir [2]. Ainsi, le retrait d’une IAS conduirait donc purement et simplement à une remise en état de la situation dans laquelle l’intéressé se trouvait avant l’édiction de cette décision.

Ensuite, l’IAS peut également être directement contestée par un recours en excès de pouvoir devant le tribunal administratif compétent dans un délai de deux mois à partir de sa notification [3].

Dans la mesure où les délais de jugement sont souvent d’environ une année et que le recours en excès de pouvoir n’est pas suspensif [4], il est nécessaire d’accompagner ledit recours d’une action en référé. A cet égard, le juge administratif admet la recevabilité du référé suspension et du référé liberté.

Le référé suspension [5] permet au juge des référés d’ordonner la suspension d’une décision lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. L’urgence, quant à elle, sera remplie lorsque la décision contestée entraine un préjudice suffisamment grave et immédiat. L’existence d’un doute sérieux consiste simplement à démontrer qu’il y a de sérieuses raisons de penser que la décision est illégale. Ainsi, eu égard à son office, le juge des référés ne doit pas s’attarder dans une appréciation approfondie de la légalité de la décision et devra statuer dans un délai compris entre quelques jours et un mois.

Le référé liberté [6] nécessite d’établir une extrême urgence - par opposition au référé suspension - et de démontrer que l’administration doit avoir porté une atteinte à la fois grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge du référé liberté doit se prononcer dans un délai de 48 heures et dispose de la faculté de prendre des mesures provisoires mais produisant des effets rapides afin de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

Enfin, si les délais de contestations sont expirés, il demeure possible de solliciter une abrogation de l’arrêté. A la différence du retrait, l’abrogation correspond seulement à la disparition pour l’avenir de la décision.

La contestation de ces arrêtés par les différentes voies évoquées ci-dessus est d’autant plus intéressante que, selon les chiffres du rapport d’information de l’Assemblée nationale, 3/4 des arrêtés d’IAS sont annulés par les tribunaux. Chiffre aussi impressionnant que sans surprise tant l’application des IAS demeure aléatoire et arbitraire.

Bien que la lutte contre les violences au sein des stades et leur pacification demeure évidement une juste cause, celle-ci ne doit aucunement conduire à prendre des mesures qui ne répondent pas à l’impératif consubstantiel de proportionnalité à la restriction des libertés publiques.

Justin Maridonneau, Avocat au Barreau de Paris
et Louis Portheret, Elève-Avocat EFB Paris

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Notes de l'article:

[1TA Bastia, 17 nov. 2016, n° 1500216.

[2L240-1 CJA.

[3Article R421-1 Code de justice administrative.

[4CE, Ass., 2 juillet 1982, n°25288 25323.

[5L521-1 CJA.

[6L521-2 CJA.

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