Action en contrefaçon par le titulaire d’un brevet essentiel à une norme et abus de position dominante.

Par Philippe Bonnet, Avocat.

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La CJUE précise les conditions dans lesquelles l’introduction d’une action en contrefaçon par le titulaire d’un brevet essentiel à une norme peut constituer un abus de position dominante.

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Un brevet est considéré comme essentiel à une norme (BEN) lorsqu’il n’est pas possible, pour des raisons techniques, de fabriquer des produits conformes à une norme établie par un organisme de normalisation sans enfreindre ledit brevet (annexe 6 des règles de procédures de l’ETSI - European Telecommunication Standards Institute).

Pendant le processus d’élaboration d’une norme, chaque membre de l’ETSI doit révéler dans les meilleurs délais ses BEN et s’engager à accorder à tous tiers des licences à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, dites « FRAND » (« fair, reasonable, and non-discriminatory »).

Les BEN sont au cœur d’un litige entre la société Huawei Technologies, titulaire d’un BEN portant sur la norme « Long Term Evolution » (succédant à la norme UMTS) et la société ZTE qui commercialise des produits fonctionnant sur la base de cette norme comprenant plus de 4700 brevets essentiels.

Suite à l’échec des négociations relatives aux conditions d’octroi d’une licence à ZTE, Huawei Technologies a assigné ZTE en contrefaçon devant une juridiction allemande qui a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. La juridiction souhaitait obtenir un éclairage sur les conditions dans lesquelles le titulaire d’un BEN pourrait abuser de sa position dominante en introduisant une action en contrefaçon à l’encontre d’un tiers disposé à négocier une licence.

Dans son arrêt du 16 juillet 2015, la Cour a distingué deux types d’action en contrefaçon :

(i) Les actions en cessation ou en rappel de produits

Selon la Cour, le titulaire d’un BEN qui s’est engagé irrévocablement envers cet organisme à octroyer aux tiers une licence à des conditions FRAND, n’abuse pas de sa position dominante en introduisant une telle action, dès lors que :

-  préalablement à l’introduction de l’action, il a, d’une part, averti le contrefacteur allégué de la contrefaçon qui lui est reprochée en désignant le BEN concerné et en précisant la façon dont celui-ci est contrefait, et, d’autre part, transmis à ce contrefacteur, après que ce dernier a exprimé sa volonté de conclure un contrat de licence aux conditions FRAND, une offre de licence précisant notamment la redevance et ses modalités de calcul ;
ET :
-  le contrefacteur allégué continuant à exploiter le BEN n’a pas donné suite à cette offre avec diligence, « conformément aux usages commerciaux reconnus en la matière et de bonne foi  », ce qui doit être déterminé sur la base d’éléments objectifs et implique notamment l’absence de toute tactique dilatoire.

S’il n’a pas accepté l’offre du titulaire du BEN, le contrefacteur allégué doit lui soumettre, dans un bref délai et par écrit, une contre-offre correspondant aux conditions FRAND. A défaut, le contrefacteur perd la faculté d’invoquer le caractère abusif de l’action en contrefaçon du titulaire du BEN.

Si la contre-offre du contrefacteur allégué n’aboutit à aucun accord sur les détails des conditions FRAND, les parties peuvent alors demander que le montant de la redevance soit déterminé par un tiers indépendant statuant à bref délai.

(ii) Les actions tendant à l’obtention de données comptables et de dommages-intérêts.

Selon la Cour, la prohibition des abus de position dominante n’interdit pas à une entreprise détenant un BEN pour lequel elle a un souscrit un engagement de licence, d’introduire une action judiciaire contre le contrefacteur allégué en vue d’obtenir des données comptables relatives aux actes d’utilisation passés de ce brevet ou des dommages-intérêts au titre de ces actes.

En effet, une telle action « n’a pas de conséquence directe sur l’apparition ou le maintien sur le marché des produits conformes à la norme fabriqués par des concurrents  » et ne peut donc pas constituer une pratique anticoncurrentielle.

Cet arrêt devrait rassurer les titulaires de BEN qui conservent, au même titre que les détenteurs de brevets classiques, la faculté essentielle de défendre leurs droits privatifs dans le cadre d’actions en contrefaçon, lesquelles ne seront susceptibles d’être condamnées sur le fondement du droit de la concurrence que dans des conditions restrictives.

Philippe Bonnet
Avocat
Docteur en droit

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