Depuis l’arrêt BootShop, il est admis que l’inexécution contractuelle peut être invoquée par un tiers au contrat pour obtenir réparation du dommage qu’il a subi du fait de cette inexécution, sans qu’il soit nécessaire de prouver une faute délictuelle distincte [1].
Néanmoins, cet arrêt avait été sévèrement critiqué en doctrine essentiellement au motif qu’il laissait place à un système dénué de logique, où se « côtoient opposabilité du contrat par le tiers et inopposabilité du contrat au tiers » et où la responsabilité délictuelle du contractant est engagée sur le fondement de son inexécution contractuelle, ce qui plaçait le tiers dans une situation préférable à celle du créancier dans le contrat.
La Cour de cassation semblait y prôner « l’identité » des fautes contractuelle et délictuelle.
Dans sa thèse soutenue le 14 septembre 2016 sous la direction du professeur Yves Lequette, Marie Leneveur-Azémar développait l’idée suivante : « si, selon la jurisprudence, une faute contractuelle est suffisante pour constituer une faute délictuelle, il peut être considéré que la faute délictuelle présente une gravité comparable à la faute contractuelle. Les deux fautes portent autant atteinte à la société. Or, il est possible d’aménager conventionnellement les conséquences d’une inexécution contractuelle. La validité de principe de ces clauses n’a pas été mise en doute pour un risque d’atteinte à l’ordre public ou à la paix sociale. Dès lors, les conséquences de la faute délictuelle devraient pouvoir être aménagées de la même manière ».
C’est en ce sens que l’article 1234 al. 2 du projet de la réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017, duquel semble s’inspirer le présent arrêt, proposait de permette au :
« (…) tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite ».
Ainsi, en vue de mettre en place un système plus cohérent et respectueux des intérêts des différentes parties, le projet de réforme proposait de retenir la responsabilité contractuelle en tant que fondement de toute action qui pourrait être intentée par un tiers.
Ce choix apparaissait comme équilibré en ce qu’il rendrait opposable au tiers les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants, le plaçant dans le cadre de la relation contractuelle, tout en le désengageant de toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers (ce dernier n’ayant pas la qualité de partie dans le contrat).
C’est dans ces inspirations que semble s’inscrire le présent arrêt de la Cour de cassation.
En effet, la haute Cour, après avoir rappelé le principe selon lequel le tiers à un contrat pouvait invoquer un manquement contractuel dès lors qu’il lui cause un dommage sans avoir à démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement, précise que :
« (…) pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s’est engagé en considération de l’économie générale du contrat et ne peut pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage, peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les co-contractants ».
Cet éclaircissement assuré, apporté par la Cour était attendu et doit être salué.
En plus d’adoucir l’amertume laissée par l’arrêt BootShop chez certains, cet arrêt renforce la sécurité de la partie contractante qui voyait le tiers se positionner dans une situation préférable à la sienne, déjouant ses prévisions dans le contrat.