La mauvaise application de la Loi Littoral peut coûter très cher aux communes littorales.
La décision du tribunal administratif de Rennes du 4 avril 2023 en est un parfait exemple.
En l’espèce, la requérante avait acquis en 2012 une parcelle voisine de son habitation située boulevard de l’Océan, à Locmaria-Plouzané.
Le terrain avait alors été vendu 315 000 euros.
Un certificat d’urbanisme opérationnel positif, annexé à l’acte de vente, avait déclaré réalisable la construction d’une maison individuelle sur cette parcelle.
En 2015 et en 2016, le maire de la commune avait délivré des permis de construire pour l’édification d’un abri de jardin et d’un garage sur ce terrain.
En 2019, la requérante a déposé un nouveau permis de construire pour l’édification d’une maison individuelle de près de 150 m², permis qui lui a été accordé.
Cependant, le préfet du Finistère a déposé un recours gracieux contre l’arrêté délivrant ce permis de construire.
Le maire l’a alors retiré en raison de la méconnaissance des dispositions de la loi Littoral et notamment de l’article L121-16 du Code de l’urbanisme lequel prévoit que :
« en dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres ».
La requérante a alors demandé au tribunal de condamner la commune à lui verser la somme de 320 253,67 euros de dommages et intérêts suite à la mauvaise application de la loi Littoral qui lui a porté préjudice.
Le tribunal relève des fautes de la commune dans l’application de la loi Littoral de nature à engager sa responsabilité (I) et indemnise donc plusieurs préjudices subis par l’intéressée (II).
I - Sur la responsabilité de la commune.
Selon la jurisprudence administrative :
« toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain » [1].
Le tribunal relève des fautes commises par la commune de nature à engager sa responsabilité.
Les juges relèvent tout d’abord que le secteur dans lequel s’inscrit le terrain est situé dans la bande des 100 mètres et doit être qualifié de non urbanisé au sens de l’article L121-16 précité.
Ainsi toute construction y est interdite.
Le tribunal estime alors que la commune a commis une faute en classant les parcelles en cause comme constructibles dans son PLU ainsi qu’en délivrant un certificat d’urbanisme positif et un permis de construire tout deux reproduisant le classement illégal du PLU.
Les juges admettent très fréquemment, dans ce genre de configuration, que les communes littorales commettent des fautes engageant leurs responsabilités [2].
Après avoir reconnu les fautes de la commune de nature à engager sa responsabilité, le tribunal a ensuite statué sur les préjudices indemnisables subis par les requérants.
II - Sur les préjudices indemnisables.
Les préjudices invoqués sont indemnisables s’ils ont un lien direct et certain avec les fautes commises par la commune.
De manière tout à fait classique dans ce type de contentieux, les juges reconnaissent que le préjudice lié à la perte de valeur du terrain entre le prix d’acquisition et sa valeur réelle est en lien direct avec les fautes de la commune.
Le terrain en cause, d’une superficie de 1 160m², jouxte la propriété de la requérante et a fait l’objet d’une urbanisation partielle par cette dernière dès lors qu’elle y a construit un abri de jardin et un garage d’une surface de 98m².
Il ne peut donc pas être regardé comme un terrain non constructible classique assimilable à des terres agricoles.
La commune a fourni une étude découpant la valeur du terrain litigieux en 3 : d’une part, le terrain construit d’une valeur de 32 000 euros, d’autre part la construction du garage à 59 000 euros et enfin, le terrain d’agrément de 1 053 m² d’une valeur de 10 000 euros.
La valeur totale du terrain était donc, selon la commune, de 101 000 euros.
Si la requérante contestait l’évaluation réalisée par la commune, elle n’a pas apporté assez d’éléments prouvant un prix plus faible :
« Si Mme C conteste cette évaluation, elle n’apporte pas d’éléments suffisamment précis et comparables permettant de la remettre en cause, s’agissant d’un bien situé face au littoral, présentant une grande surface et supportant une construction récente ».
Selon une jurisprudence constante des juridictions administratives, le requérant doit apporter les éléments suffisants pour appuyer l’existence mais également le montant des préjudices qu’il subit [3].
L’étude de la commune a donc été retenue par le juge.
Néanmoins, et de manière surprenante, le juge a actualisé cette évaluation compte-tenu de la hausse des prix de l’immobilier et de l’inflation depuis 2020. Cela amène à une majoration du prix du terrain d’agrément 15 euros par mètre carré au lieu de 10 euros soit une valeur finale de 15 795 euros.
S’il est vrai que l’immobilier a connu une hausse sur la période récente, aucun élément ne permet d’indiquer que celle-ci s’est également réalisée sur les terrains non-constructibles.
Par ailleurs, l’inflation ne saurait sérieusement s’appliquer à un terrain non-constructible.
De tels biens sont très difficiles, voire impossible, à vendre et leur valeur est, dans la réalité, bien inférieure au prix de 15 euros par mètre carré retenu par le tribunal.
La jurisprudence reconnaît d’ailleurs très fréquemment des valorisations bien inférieures [4].
Au final, le terrain est estimé à 106 795 euros.
En conséquence, les juges rennais ont seulement condamné la commune au paiement de la différence de valeur, soit à une somme totale de 208 205 euros.
Même si l’indemnisation est inférieure à celle demandée, elle reste tout de même conséquente.
Ce jugement est aussi intéressant dans la mesure où il juge que même lorsqu’une personne a acheté une parcelle contiguë à celle sur laquelle se trouve son habitation et même si elle a fait des aménagements dessus, elle a tout de même droit à une indemnisation.