Les faits à l’origine du jugement du tribunal administratif de Rennes du 8 novembre 2024 (n° 210425) sont très classiques.
Un particulier avait acquis en 2007 la parcelle cadastrée section AC n° 296 située route du Lez à Roscanvel.
Au moment de cette vente, un certificat d’urbanisme positif avait été délivré, lequel affirmait qu’une opération de construction d’une maison d’habitation était réalisable sur ce terrain.
Cependant, l’intéressé avait essuyé en 2018 un refus de permis de construire fondé sur l’application de l’article L121-8 du Code de l’urbanisme.
Après avoir tenté, infructueusement, un recours en annulation contre ce refus de permis de construire, les intéressés ont formé une réclamation préalable indemnitaire en 2021 contre la commune.
C’est ce recours indemnitaire qui a été jugé dans le jugement ici commenté.
1. S’agissant de la faute de la commune, il n’est pas nécessaire de passer beaucoup de temps dessus.
La jurisprudence en la matière est bien connue et ne fait plus débat.
En effet, les juges estiment que le certificat d’urbanisme de 2007 était illégal, dès lors qu’il méconnaissait l’article L121-8 du Code de l’urbanisme compte tenu du fait que la parcelle en question est située dans une zone d’urbanisation diffuse inconstructible.
La situation était indéfendable pour la commune.
2. Les juges avaient également à se prononcer sur une question intéressante en matière de prescription quadriennale.
En l’espèce, avant le certificat d’urbanisme de 2018 contesté par les acquéreurs du terrain, un précédent certificat d’urbanisme négatif avait été édicté en 2016.
Toutefois, ce dernier certificat avait été délivré à la demande d’Atlantique Iroise Immobilier, une société représentée par un autre particulier.
En l’espèce, il ne ressortait d’aucun élément que ce certificat d’urbanisme aurait été sollicité pour le compte des particuliers acquéreurs ou qu’ils auraient été informés de son existence.
La solution, si elle peut sembler un peu sévère pour la commune, n’en est pas moins équitable dans la mesure où, s’il est très probable que cette société a informé les particuliers en cause de ce certificat d’urbanisme négatif, seul un élément de preuve permettant indubitablement de démontrer cette connaissance peut être considéré comme suffisante pour déclencher le délai de prescription.
La question se pose alors de savoir si la commune a fait des démarches particulières auprès de cette société, d’ailleurs toujours en exercice, pour qu’elle apporte des précisions à ce titre.
3. Comme c’est très fréquemment le cas en matière de contentieux indemnitaire, la commune défenderesse avait tenté d’atténuer sa responsabilité en soulevant une éventuelle cause exonératoire.
En l’espèce, la commune avait invoqué les difficultés l’application de la loi Littoral.
Cet argument est lapidairement balayé par les juges administratifs rennais.
En effet, il ressort d’une jurisprudence administrative constante, que de telles considérations sont totalement sans influence sur la responsabilité de la commune.
C’est ce qu’à, par exemple, déjà jugé la Cour administrative d’appel de Nantes dans une décision du 24 novembre 2020 commune de Landunvez n° 19NT02608 : « 12. Ces illégalités constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Cléder à l’égard de M. et Mme B..., sans que la commune puisse utilement, pour s’exonérer de sa responsabilité, invoquer les difficultés d’interprétation ou d’application des dispositions du I de l’article L146-4 du Code de l’urbanisme ».
4. Une fois la responsabilité de la commune reconnue, il restait au tribunal à se prononcer sur la question des préjudices indemnisables.
4.1 Dans ce type de contentieux, le poste de préjudice le plus important est très généralement celui résultant de la perte de valorisation du terrain acheté.
Il ressort de la jurisprudence que deux types de préjudices semblent évoqués, sans pour autant qu’il soit certain qu’il ne s’agisse pas de la même chose.
Une grande majorité de jurisprudences qualifie ce préjudice de perte de valeur vénale.
C’est la solution adopté dans le jugement ici commenté, qui reprendre un considérant précédemment utilisé indiquant que : « les requérantes ont droit à une indemnité égale à la différence entre le prix versé pour l’acquisition du terrain litigieux supposé constructible et la valeur vénale du même terrain, appréciée à la date à laquelle il a été établi que ce terrain était inconstructible ».
Ce considérant reprendre alors celui d’une décision inédite du Conseil d’Etat du 25 mars 2019 : « 3. En second lieu, en réparation du préjudice résultant de la faute commise par une commune qui a délivré illégalement un certificat d’urbanisme positif erroné quant au caractère constructible d’un terrain, le propriétaire du terrain en cause a en principe droit à une indemnité égale à la différence entre le prix qu’il a versé pour l’acquisition du terrain litigieux, y compris les frais annexes utilement exposés, et la valeur vénale du même terrain, appréciée à la date à laquelle il a été établi que ce terrain est inconstructible » [2].
D’autres jurisprudences évoquent quant à elles un préjudice de coût excessive d’acquisition.
C’est le cas lorsqu’est en cause la responsabilité pour faute de la collectivité en cause, non pas uniquement en raison de l’édiction d’une décision illégale (très généralement un certificat d’urbanisme opérationnel), mais en raison d’un manque d’informations.
En effet, une collectivité, doit en principe dans le cadre de certificats d’urbanisme ou de notes de renseignements d’urbanisme, informer de l’application de la loi Littoral et du fait qu’elle peut remettre en cause la constructibilité d’un terrain.
Dans ce cadre le préjudice a pu être reconnu comme étant constitué par la différence entre le prix d’acquisition du terrain et le prix auquel la victime l’aurait payé, si elle avait eu connaissance à cette date, de l’inconstructibilité de la parcelle : « 5. D’autre part, la note de renseignements précitée ne contenait aucune réserve tenant à l’application des dispositions de la loi du 3 janvier 1986, dite "loi littoral", et notamment de l’application éventuelle des dispositions du I de l’article L146-4 du Code de l’urbanisme, lesquelles restreignent les possibilités de réalisation de tout projet de construction sur la parcelle. Dans ces conditions, la commune n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal a estimé que cette omission était de nature à constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Moëlan-sur-Mer, qui ne saurait utilement invoquer les difficultés d’interprétation de la "loi littoral" pour s’exonérer de sa responsabilité. (…). 7. Si la délivrance par le maire d’une commune d’une note de renseignements d’urbanisme incomplète quant à la situation d’une parcelle est susceptible de constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, cette responsabilité ne peut entraîner la réparation du préjudice allégué que si ce dernier est en lien direct avec cette faute. 8. En premier lieu, il est constant que M. C...a acquis en octobre 2007 le terrain situé au lieu-dit "Kerdoualen", à Moëlan-sur-Mer, au prix de 457 348 euros, alors qu’il résulte de l’instruction, en particulier de l’attestation d’un professionnel de l’immobilier datée du 28 décembre 2016, qu’à cette époque, le terrain aurait été mis en vente aux alentours de 280 000 euros si l’inconstructibilité de la parcelle CR n° 442 avait été connue. Si la commune conteste cette évaluation, elle n’apporte aucun élément précis de nature à faire douter de sa pertinence et ne donne aucune indication sur la valeur qui devrait être retenue. Dès lors les premiers juges n’ont pas fait une évaluation excessive de la perte de valeur vénale en accordant à ce titre une somme de 177 348 euros » [3].
Au regard de ces éléments, il apparaît préférable d’invoquer un préjudice de coût d’acquisition excessif. Une bonne stratégie pourrait également être de faire un principal et un subsidiaire.
S’agissant de l’évaluation du terrain en tant que parcelle inconstructible, les requérants avaient fait établir une estimation à 5 000 euros.
En défense, la mairie invoquait que le terrain pouvait servir pour le stationnement de caravanes et camping-car.
Le Tribunal retient alors une estimation de 10 euros le mètre carré en relevant la proximité avec le littoral, soit au final un terrain valorisé à plus de 15 000 euros.
Il est toujours très délicat de voir un juge se livrer ainsi à des estimations un peu « arbitraire ».
En effet, sur quoi repose concrètement cette valorisation à 10 euros le mètre carré.
Il existe pourtant de nombreuses méthodes pour estimer un terrain inconstructible, comme par exemple, le recours au barème des terres agricoles [4] ou encore une analyse des ventes de terrains inconstructibles aux alentours (méthode par comparaison notamment utilisée par le service du Domaine de l’Etat). A ce titre par exemple, un terrain de 4.811 m² avait été vendu en 2023 à 4 000 euros, soit environ 1 euro le mètre carré.
Une bonne solution pourrait également être, un croisement entre plusieurs méthodes pour arriver à un prix proche de celui du marché, voire encore une saisine du Domaine qui intervient fréquemment pour ce type de problématique.
Mais une estimation « au doigt mouillé » n’est jamais très satisfaisante, sachant que le juge peut parfaitement ordonner une mesure d’instruction en la matière [5].
4.2 En plus de ce préjudice, les requérants ont obtenu le remboursement des taxes foncières payées.
Le raison du tribunal est à ce titre intéressant.
La jurisprudence, en principe, est un peu réfractaire à indemniser ce préjudice, dont le lien de causalité n’est pas évident [6].
En l’espèce, les juges administratifs rennais, ont jugé qu’il « résulte de l’instruction que M. et Mme E n’auraient pas acquis le terrain s’ils avaient eu connaissance de son inconstructibilité. Le préjudice résultant du paiement de la taxe foncière pour ce terrain présente ainsi un caractère direct et certain avec la faute commise par la commune ».
4.3 De manière un peu surprenante, plusieurs autres préjudices indemnisables ne sont pas évoqués dans cette affaire.
En premier lieu, les requérants auraient parfaitement pu demander l’indemnisation des « frais de notaire » payés en trop.
En effet, lors de leur acquisition, le montant de ces frais aurait été bien plus faible, en tenant compte de la valeur réelle de ce terrain en réalité inconstructibilité.
En second lieu, il n’est pas précisé de quelle manière l’argent pour l’achat de ce terrain a été obtenu.
Si l’acquisition avait eu lieu dans le cadre d’un prêt immobilier, l’intégralité des frais financiers liés à ce prêt (intérêts, assurance, frais de garantie, frais de dossier…) aurait en principe pu faire l’objet d’une indemnisation [7].
En l’absence de prêt bancaire, la préjudice d’immobilisation du capital et lui aussi indemnisable en ayant recours, le cas échéant, à l’application des intérêts au taux légal. Ce préjudice, surtout en cette période de taux d’intérêt important, présente un grand intérêt lorsqu’une durée importante s’est écoulée entre l’achat du terrain, et la découverte de son inconstructibilité. Ainsi par exemple, et pour rester avec les juges administratifs rennais, ces derniers ont récemment jugé que : « la réparation du préjudice financier susceptible de résulter de l’immobilisation d’un capital est, en principe, indemnisable dès lors que ce préjudice n’a pas été couvert par une plus-value réalisée à l’occasion de la cession ultérieure de ce capital. La réparation de ce préjudice consiste pour la personne publique fautive à verser une somme correspondant aux intérêts au taux légal, pour la période ainsi définie, sur les fonds effectivement engagés. Les requérants demandent la somme de 11 417,63 euros correspondant aux intérêts sur la somme versée qui ont couru entre la date d’acquisition du terrain et la date d’approbation de la modification simplifiée du schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient. Cependant, il résulte de l’instruction que le terrain ne pouvait être construit qu’à partir du 27 février 2001.
Ainsi, les requérants ont accepté l’immobilisation de leur capital jusqu’à cette date et ils n’ont droit qu’aux intérêts qui ont couru après le 27 février 2001. Par suite, il sera fait une juste appréciation de leur préjudice financier en leur octroyant la somme de 7 882,92 euros » [8].