L’EUIPO a estimé que, dans certains pays de l’UE, on ne peut pas supposer que le public comprenne le sens de mots anglais particulièrement raffinés, c’est-à-dire appartenant à un niveau supérieur au B1. Dans le cas présent, l’EUIPO a considéré que les mots « bull » et « bell » n’étaient pas compréhensibles pour un consommateur ayant un niveau d’anglais modeste (B1).
A l’appui de cette affirmation, l’EUIPO cite, entre autres, l’« EF EPI 2023 - EF English Proficiency Index » (dont la dernière version date du 8 novembre 2023, EF EPI 2023 - EF English Proficiency Index), qui montre que certains pays de l’UE (comme la France, l’Espagne et l’Italie) ont une connaissance modeste de l’anglais, égale ou inférieure au niveau B1.
A la lumière de cette décision, nous nous demandons quelles peuvent être les implications d’une méconnaissance de la langue anglaise en matière de droit des marques.
1. Comparaison conceptuelle.
Tout d’abord, lors de l’évaluation de la similitude entre deux marques contenant des termes anglais similaires mais non identiques, appartenant à un niveau supérieur au B1, la connaissance de la langue aura un impact sur la comparaison conceptuelle entre les signes. Si les deux termes ne sont pas compréhensibles pour le consommateur, les marques ne seront pas comparables sur le plan conceptuel, selon la jurisprudence communautaire majoritaire. En revanche, si le sens de l’un des deux termes est compréhensible par le public, les marques seront jugées différentes du point de vue conceptuel.
2. Caractère distinctif.
Deuxièmement, la méconnaissance de l’anglais peut influencer le caractère distinctif d’une marque, entraînant une extension de sa protection. En effet, l’utilisation en tant que marque de mots compréhensibles et clairs pour le public, liés aux secteurs des produits ou services identifiés par la marque (par exemple, « Entraînement » pour le secteur de l’entraînement sportif), réduit le caractère distinctif de la marque elle-même, la rendant « faible » et limitant ainsi l’étendue de sa protection aux seules marques identiques ou presque identiques. Si, cependant, ces mots appartiennent au niveau B2 d’une langue étrangère (par exemple, « Endurance » pour le secteur de l’entraînement sportif), on ne peut pas présumer leur compréhension par le consommateur, et par conséquent, la marque conservera un caractère distinctif et une protection normaux.
La connaissance de la langue par le public a donc un impact sur le caractère distinctif des marques et, par conséquent, sur leur validité et sur l’étendue de leur protection, influant sur le risque de confusion avec d’autres marques. Naturellement, ces considérations doivent être atténuées en fonction du secteur recouvert par la marque et, en conséquence, du public auquel elle s’adresse.
En effet, une bonne compréhension de l’anglais devra être présumée, indépendamment de l’État européen concerné, dans les secteurs où l’anglais a pris une telle importance que la connaissance de ses termes, à la fois de base et techniques, ne peut être ignorée. Par exemple, l’EUIPO avait déjà affirmé que, dans les secteurs scientifiques et de l’informatique, les mots anglais sont présumés connus par le public, composé principalement de professionnels qui ne peuvent ignorer leur connaissance [1].
Cependant, si les produits et services des deux marques s’adressent à la fois à un public de professionnels et de « profanes », le caractère distinctif et le risque de confusion devront être évalués uniquement à l’égard du public non professionnel.
3. Scénarios futurs liés à la diffusion de l’anglais.
Toujours à propos de caractère distinctif, une dernière réflexion intéressante est de se demander ce qui pourrait arriver aux marques constituées de mots anglais non basiques et ayant un lien quelconque avec les produits et services concernés, lorsque les gens aquereront une connaissance plus approfondie de l’anglais, même dans les secteurs où aujourd’hui, la compréhension de la langue est modeste.
Dans le meilleur des cas, les marques qui préservent actuellement leur caractère distinctif parce qu’on suppose que leurs termes ne sont pas compris perdront une partie de la distinctivité qui les caractérise, ce qui les rendra « faibles ». Dans le pire des cas, ces marques pourraient être dénouées de leur caractère distinctif en devenant « descriptives », compromettant tous les investissements réalisés par leurs titulaires pour la promotion et la protection de celles-ci.
Pour éviter cette hypothèse, ces marques doivent espérer de réussir à acquérir un caractère distinctif accru par leur utilisation, c’est-à-dire à obtenir une notoriété dans les territoires de l’UE avant que la maîtrise de l’anglais ne se répande de manière uniforme dans tous les États membres. Ce n’est qu’ainsi qu’elles pourront éviter les conséquences préjudiciables d’une mondialisation et internationalisation, de plus en plus présentes, qui s’accompagnent d’une connaissance de plus en plus importante de la langue anglaise.
Un excellent exemple de cela est la célèbre marque de lunettes de soleil « Ray-Ban ». En effet, les deux mots dont la marque est constituée, selon le dictionnaire Cambridge, appartiennent à l’anglais B1 et font référence à la protection contre les rayons du soleil ; par conséquent, normalement, la marque devrait avoir un caractère distinctif réduit et être considérée comme « faible ».
Cependant, Ray-Ban a acquis une telle renommée sur le territoire européen que, lorsque l’on tape ces mots dans le traducteur anglais, ils ne sont pas traduits, mais continuent à identifier/qualifier la marque elle-même !