Les photos pornographiques au bureau sont-elles autorisées par la Cour de Cassation ? Par Frédéric Chhum Avocat

Les photos pornographiques au bureau sont-elles autorisées par la Cour de Cassation ?

Par Frédéric Chhum Avocat

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Explorer : # vie personnelle au travail # licenciement # pornographie

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Par un arrêt du 8 décembre 2009, la Cour de cassation vient clarifier sa jurisprudence en matière de conservation de fichiers à caractère pornographique par un salarié sur son poste de travail.

En effet, M.G avait été engagé le 2 novembre 1994 en qualité de technicien d’études et méthodes/dessinateur CAO par la société Peugeot Citroën automobiles.

Or le 12 juillet 2002, ce dernier a été licencié pour avoir conservé sur son poste informatique des fichiers à caractère pornographique et zoophile.

M.G a donc saisi la juridiction prud’homale le 10 mars 2006 d’une demande de paiement de dommages-intérêts pour une rupture abusive outre un solde de prime de mobilité.

Un appel a été interjeté. La cour d’appel de Rennes a débouté M.G en retenant l’existence d’une faute justifiant son licenciement.

D’après celle-ci, les fichiers contenant la présence de photos à caractère pornographique portaient atteinte à la dignité humaine.

De plus, ces clichés, accessibles par tout utilisateur, établissaient un détournement par le salarié de matériel mis à sa disposition par l’entreprise en violation des notes de service et constituaient un risque de nature à favoriser un commerce illicite en portant atteinte à l’image de marque de l’employeur.

Dès lors, M.G a formé un pourvoi en cassation en vue de contester la décision de la Cour d’Appel de Rennes.

La question posée à la cour de cassation était donc de savoir si la conservation sur un poste informatique de 3 fichiers contenant des photos à caractère pornographique constitue-t-elle un manquement du salarié à ses obligations résultant de son contrat de travail susceptible de justifier son licenciement ?

A cet égard, contrairement à sa jurisprudence antérieure, la Haute juridiction semble plutôt clémente vis-à-vis des salariés en ce qui concerne leur vie personnelle dans le cadre professionnel (2)

Toutefois, cette tolérance est strictement encadrée (1).

1) Les conditions strictes à l’autorisation de conservation de fichiers pornographiques

Durant le temps de travail, le salarié est soumis à l’autorité de son employeur.
L’employeur peut exercer un certain contrôle sur la vie personnelle du salarié au sein de l’entreprise.

L’employeur peut notamment contrôler l’utilisation faite du téléphone, de l’ordinateur ou encore d’internet par le salarié dans l’entreprise.

A titre d’exemple, dans un arrêt du 29 janvier 2008 (n° 06-45.279), la Cour de cassation a admis que l’employeur puisse se fonder sur un relevé téléphonique, faisant apparaître des appels à des messageries de rencontres, pour licencier un employé.

En l’espèce, le salarié employé par la société Canon avait été licencié pour utilisation abusive de son téléphone à des fins personnelles concernant l’accès à des numéros interdits de messagerie privée.

Toutefois, si la vie personnelle du salarié, se trouve limitée dans l’entreprise, il n’en
demeure pas moins que conformément à l’Article L.1121-1 du code du travail, elle subsiste et que l’employeur ne peut y apporter de restrictions qui ne soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.

Ainsi, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’Appel de Rennes du 11 mars 2008 au visa de l’Article L. 1121-1 du code du travail au motif que « la seule conservation sur un poste informatique de 3 fichiers contenant des photos à caractère pornographique sans caractère délicteux ne constitue pas, en l’absence de constatation d’un usage abusif affectant son travail, un manquement du salarié à ses obligations résultant de son contrat de travail susceptible de justifier son licenciement ».
La Cour de cassation a considéré que le licenciement était intervenu sans cause réelle et sérieuse et a renvoyé l’affaire devant la Cour de Caen.

En définitive, la Cour de cassation a strictement posé des limites en ce qui concerne la conservation par un salarié de fichiers contenant des photos à caractère pornographique sur son poste de travail.

En outre, les photos à caractère pornographique ne semblent être autorisées qu’à deux conditions cumulatives :
- lesdites photos ne doivent pas avoir un caractère délicteux (ex : des photos pédophiles) ;
- il ne doit pas y avoir d’usage abusif de ces photos affectant son travail.

Or, en l’espèce, non seulement les photos n’avaient pas de caractère délictueux mais encore, il n’était pas constaté que l’utilisation personnelle de l’ordinateur professionnel nuisait à la bonne qualité de la prestation de travail de M.G.

Aussi, la Cour de cassation a considéré que la Cour d’Appel n’avait pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.1232-1 et L.1331-1 du Code du travail.

En tout état de cause, il résulte de ce qui précède que la Cour de cassation infléchit favorablement sa jurisprudence au profit des salariés. Et cette attitude de la Haute juridiction est pour le moins surprenante.

2) La surprenante clémence de la Cour de cassation

Cet arrêt du 8 décembre 2009 s’inscrit dans un mouvement de rupture avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

En effet, cette dernière considérait auparavant comme fautif un salarié qui avait des fichiers à caractère pornographique dans un ordinateur mis à sa disposition.

A titre d’illustration, l’arrêt du 16 mai 2007 (n° 05-43.455) montre la dureté de la Cour à ce sujet en considérant justifié le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait stocké dans son ordinateur professionnel un nombre important de fichiers à caractère pornographique.

Elle a retenu en outre que « le stockage, la structuration, le nombre conséquent de ces fichiers et le temps dès lors consacré à eux par le salarié attestaient d’un méconnaissance, par lui, de son obligation d’exécuter les fonctions lui incombant en utilisant le matériel dont il était doté pour l’accomplissement de ses tâches ».

Elle a pu en déduire que « ce comportement empêchait son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis et constituaient une faute grave… »

Ainsi, à présent, la Haute juridiction semble changer de cap et autoriser à certaines conditions la possibilité, pour un salarié, de stocker des fichiers contenant des photos à caractère pornographique sur son poste de travail.

Dès lors, il semble que la vie personnelle du salarié dans le cadre professionnel gagne du terrain. Celle-ci est davantage protégée.

Par conséquent, l’employeur devra être prudent s’il envisage de licencier un salarié qui stocke des clichés pornographiques dans des fichiers de son poste de travail.

Frédéric CHHUM, Avocat
chhum chez chhum-avocats.com

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