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Congé menstruel : inclusion ou stigmatisation, la France est-elle prête à l’adopter ?

Par Rebecca Medioni, Avocat.

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Explorer : # congé menstruel # inégalités de genre # discrimination à l'embauche # politique sociale

Grande première en Europe, le Parlement espagnol a adopté, le 16 février 2023, une loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses.

Plusieurs autres pays comme le Japon, la Zambie, ou encore Taiwan ont également adopté ce « congé menstruel », la France peine à suivre cette tendance même si une proposition de loi est actuellement en préparation.

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Le premier pays à avoir mis en place ce congé dit menstruel est le Japon en 1947 en intégrant à son code du travail un article 68 : « Lorsqu’une femme, qui expérimente des cycles menstruels douloureux, souhaite disposer d’un congé, l’employeur doit respecter sa demande ».
En pratique, cette disposition est très peu utilisée puisque seules 0,9% des salariées éligibles y ont recours.

En France, l’entreprise Louis Design, le Parti socialiste, La collective et d’autres ont adopté ce congé en offrant un nombre de jour déterminé par mois ou par an à leurs salariées à ce titre.

Dernièrement, c’est la municipalité de Saint-Ouen qui a expérimenté ce congé menstruel en proposant à ses agentes de poser jusqu’à deux journées de congé, d’aménager leur emploi du temps ou de travailler à leur domicile sans qu’aucune journée de carence ne leur soit décomptée dans l’hypothèse où elles souffriraient de règles douloureuses ou d’endométriose et ce sur justificatif médical.

Plusieurs députés écologistes ont lancé une concertation sur le sujet auprès d’associations féministes, de représentants du monde médical et de celui de l’entreprise afin d’élaborer une proposition de loi pour créer ce congé menstruel indemnisé qui devrait être déposée le 26 mai prochain.

Toutefois, certaines personnalités, certaines entreprises, émettent quelque réticence à ce congé au titre notamment que ce congé supplémentaire pourrait entrainer une désorganisation au sein des TPE ou PME et donc décourager les employeurs à embaucher des femmes.

Le Medef, opposant à ce congé menstruel, a déclaré que cette mesure « renverrait l’image que les femmes ne peuvent pas occuper les mêmes postes que les hommes ».

Certaines associations féministes ont également soulevées la question de potentielles discriminations à l’embauche.

Et pourtant, la Cour de Cassation a rappelé dans un arrêt du 12 juillet 2017, en se fondant sur le Code du Travail mais surtout sur l’article 157 paragraphe 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne :

« qu’un accord collectif peut prévoir au seul bénéfice des salariés de sexe féminin une demi-journée de repos à l’occasion de la journée internationale pour les droits de la femme, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ».

Ce congé menstruel pourrait donc être une manière de combler ces inégalités hommes femmes à condition bien entendu que les chefs d’entreprises soient prêts à l’entendre ainsi ; c’est en tout cas ce que laisse penser notre plus haute juridiction française.

Néanmoins il existe un véritable clivage entre un avancement social certain et une opportunité supplémentaire de stigmatiser la salariée à sa « condition » de femme.

Il apparaît important, voire indispensable, pour les rédacteurs de cette potentielle loi de prévoir des conditions d’application à ce congé menstruels afin d’encadrer cette opportunité et d’éviter des dérives qui pourraient entrainer les employeurs à ne plus recruter des femmes.

L’objectif n’étant donc pas de faire cette de cette loi un symbole mais de trouver un dispositif juste.

En effet, se pose la question de la détermination du caractère douloureux ou supportable des règles.
Toutes les femmes n’étant pas égales face aux douleurs menstruelles comment éviter les abus ? ou alors ce congé menstruel doit-il être imposé aux femmes sans conditions ?
Il semble impératif que toutes ces questions soient étudiées par le Parlement et par le Sénat avant l’adoption de cette loi.

Il semblerait que le projet de loi qui est en préparation insiste sur le caractère facultatif de poser un à deux jours de congés maximum dans un mois mais surtout qu’il n’y aurait nul besoin de justificatif médical.
Ce projet n’étant qu’au stade d’ébauche, lors des différentes relectures cela pourra bien évidemment être amené à changer.

Par ailleurs, pour contrer l’aspect « monétaire » de cette mesure pour les entreprises, le projet prévoit le paiement intégral des jours de congé menstruel par la sécurité sociale.

Voilà encore un élément qui fera largement débat au Parlement et qui opposera très probablement les différents partis.

C’est pourquoi, quand bien même ce congé menstruel semble avoir émergé dans les esprits il est encore un peu tôt pour le tenir pour acquis en France.

A l’image de ce qui se fait à ce jour, il est légitime de se demander s’il ne serait pas préférable de laisser les employeurs libres de mettre en place ce congé menstruel ou non afin d’éviter toute discrimination.

Rebecca Medioni, Avocat au barreau de Paris

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