Tout praticien du droit des marques, qu’il soit un professionnel de ce domaine tel un conseil en propriété industrielle, ou un usager, tel un déposant ou propriétaire, sait ou tout au moins devrait savoir une chose : il est important d’avoir une politique en matière de marques. Mais l’inverse est-il vrai ?
Faut-il des marques en politique ?
Loin de nous l’idée ni même la prétention de répondre à une telle question, qui relève sans doute plutôt du domaine des sciences politiques que du droit de la propriété intellectuelle. En revanche, il est de notre capacité d’établir un constat et peut-être de tenter une analyse. Les politiques (hommes ou femmes, groupements ou particuliers) déposent de plus en plus de marques, et certains plus que d’autres (*).
Ce qui est selon nous intéressant dans ce phénomène n’est pas le fait que des marques soient déposées par des politiques. Les grands partis français ont ainsi de tout temps déposé et fait enregistrer leurs dénominations et symboles ou logos à titre de marque, parfois même le nom de leurs publications.
L’originalité de la tendance actuelle vient des marques-slogans, des marques-concepts. Désormais, les partis politiques, sans doute orientés et guidés par leurs chargés de communication, souhaitent se faire entendre et remarquer par l’usage de phrases choc, de slogans marquants et autres formules destinées à galvaniser les foules et susciter le ralliement. Et dès qu’un slogan plaît ou sonne bien, il faut immédiatement le déposer à titre de marque pour éviter de se le faire voler. On conçoit ainsi aisément la théorie sous-jacente : protéger ses idées.
Sans doute, mais la marque est-elle l’outil approprié ? Certes, nous savons que la marque peut être exploitée sans qu’il y ait obligatoirement vente de produits ou commercialisation de services. Il faut toutefois à tout le moins qu’elle serve à son titulaire à s’attacher une clientèle ou à identifier une activité particulière sur un marché déterminé. Il faut également bien sûr qu’elle soit exploitée de façon réelle et sérieuse.
Les partis politiques ont-ils conscience de ces implications lorsqu’ils déposent des marques telles que Gauche citoyenne ou Front populaire (pour le Parti communiste français - PCF) Laboratoire des idées (semi-figurative) ou Innovateur du quotidien (pour le Parti socialiste - PS), Epicentres ou Avenir centriste (pour le Nouveau centre), Grand centre (pour le Mouvement démocrate - MODEM), Les débats de l’union, Le mouvement en mouvements ou Ensemble pour la majorité présidentielle (pour l’Union pour un Mouvement Populaire - UMP), Changeons d’Europe pour protéger les Français (pour le Mouvement pour la France - MPF), La France des différences ou Le mouvement de la ruralité (pour Chasse Pêche Nature Traditions) ?
Ce n’est pas certain. Et cela l’est encore moins si l’on tient compte de certains dépôts de marque effectués en rafale et dont on perçoit parfois mal l’utilité pratique au regard du droit des marques. Ainsi, le Laboratoire des idées du PS est décliné en Lab des idées, Labo des idées ou encore Lab. Encore, les Gauche citoyenne et Front populaire du PCF ont donné naissance à Front populaire du 21ième siècle, Gauche populaire et Front populaire de gauche.
Notons qu’assez paradoxalement, même le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) est détenteur d’une marque (Tout est à nous !), ce qui laisse entendre qu’il a visiblement conscience d’évoluer dans un contexte de marché fortement concurrentiel où la détention d’un monopole peut s’avérer utile.
Et les partis politiques ne sont plus les seuls à déposer des marques et tenter ainsi de s’approprier des formules et concepts plus ou moins dans l’air du temps. Les hommes et femmes politiques s’y sont mis également, sans doute pour marquer d’autant leur rupture avec une politique de parti ne correspondant pas toujours avec leur image ou pour promouvoir leurs propres idées en toute indépendance.
A ce compte, il semble que parmi les personnalités politiques, Ségolène Royal ait pris une longueur d’avance certaine sur ses collègues et concurrents. Elle est partant une illustration parfaite de notre propos. Une recherche fait en effet apparaître pas moins de 18 marques françaises déposées et/ou enregistrées au nom de Madame Royal : Désirs d’avenir, Fête de la Fraternité, L’Espoir à gauche, Forum de la Fraternité, Universités populaires, Université populaire participative, Université populaire de la fraternité, Université populaire, Universités populaires participatives, Espoir à gauche, Ordre juste, Une énergie d’avance, Poitou-Charentes la croissance verte, Ma région, ma fierté, Poitou-Charentes une énergie d’avance, Pour nous, c’est elle, L’énergie d’avance, Des énergies d’avance.
Sans entrer dans la polémique suscitée par certains de ces dépôts, il est parfois difficile de saisir les nuances entre ces expressions.
Toujours est-il qu’il n’y a pas de comparaison en nombre avec Les Ecolos de Daniel Cohn-Bendit, La gauche d’après ? de Jean-Luc Mélenchon, le Rénover, maintenant d’Arnaud Montebourg, La France humaine de François Bayrou, Le nouveau centre d’Hervé Morin, les Parti progressiste, Cercle progressiste, Les progressistes et Mouvement progressiste d’Eric Besson, l’Union des patriotes de Jean-Marie Le Pen, le Marine 2012 de Marine Le Pen, ni avec les Patria, Union des patriotes, Alliance patriotique et Alliance des patriotes de Bruno Mégret.
Ces marques qui identifient des mouvements politiques et ambitionnent de couvrir le spectre de leurs activités sont-elles correctement déposées et effectivement exploitées ? Remplissent-elles leurs fonctions de marques ? Nous pouvons évidemment douter que la plupart d’entre elles servent sans doute jamais réellement à identifier les produits et services qu’elles visent, et ce dans la vie des affaires. Et dans certains cas, leur multitude est certainement contreproductive.
Mais nous ne trancherons pas ces questions dans le cadre de cet article. Tout au plus suggérerons-nous aux titulaires de ces marques de prendre attache avec leurs conseils pour définir une politique de protection adaptée à leurs besoins, et éviter certains dépôts doublons. Nous nous contenterons de constater que ce phénomène de dépôts de marque de défense va croissant, assurément révélateur d’un signe des temps, qui ne correspond pas forcément à l’esprit qu’on peut se faire de la politique. N’y a-t-il pas en effet contradiction à vouloir se réserver des droits monopolistiques sur un concept formalisé en slogan lorsque l’enjeu même d’un mouvement politique est censé être le partage des idées ?
Enfin, si nos recherches nous ont permis de constater qu’apparemment les politiques n’étaient pas encore au stade de protéger leur propre nom à titre de marque, nous vous livrons deux exemples témoignant d’une certaine façon de la "poésie" du droit des marques : Bernadette Chirac et Sarkozy, la bière du président, deux marques récemment enregistrées au nom de particuliers distincts, la première pour identifier des orchidées, la seconde notamment pour désigner des bières.
De l’intérêt parfois de mettre en place une surveillance parmi les marques...
Manuel ROCHE
Conseil en propriété industrielle
Cabinet WAGRET
(*) Les informations concernant les marques citées dans cet article sont exclusivement tirées de la base de données de consultation des marques de l’Institut National de la Propriété Industrielle (http://bases-marques.inpi.fr/).
Il n’y a bien entendu aucune intention d’exhaustivité de la part de l’auteur eu égard aux marques détectées.