La prestation compensatoire, règles et difficultés récurrentes.

Par Brigitte Bogucki, Avocate.

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Explorer : # prestation compensatoire # divorce # calcul # patrimoine

La prestation compensatoire est une somme due, en cas de divorce, par celui des époux qui a le revenu et/ou le patrimoine le plus important à l’autre époux.

Elle est prévue par les articles 270 et suivants du Code civil mais de nombreuses difficultés apparaissent de façon récurrente sans pour le moment qu’une solution jurisprudentielle ou législative ne soit venue les résoudre.

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La prestation compensatoire telle que prévue par les textes et la jurisprudence

Définition et calcul

La prestation compensatoire est destinée "à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage créé dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire."

Précisons que la prestation compensatoire peut être due autant à un homme qu’à une femme.

Il n’existe pas de barème, ni de modalités de calcul qui soient prévues par les textes, de sorte que chaque juge applique sa propre martingale.

La loi prévoit simplement, en l’article 271 du Code civil que pour calculer cette prestation compensatoire le juge doit prendre en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l’âge et l’état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

A défaut de mode de calcul prévus, de nombreux auteurs ont tenté une approche objective avec établissement de mode de calculs et trois d’entre eux sont particulièrement connues (méthode de Stéphane David, expert auprès des tribunaux, de Dominique Martin Saint Léon, Magistrat et d’Axel Depondt, Notaire) mais donnent une différence considérable (de l’ordre de un à dix) de sorte qu’il faut les pondérer.

Au final il n’existe aucune méthode de calcul fiable et aucune prévisibilité réelle du montant de la prestation compensatoire.

En outre la Cour de cassation a eut à statuer sur les éléments à prendre en compte et a connu des variations nombreuses.
On peut notamment retenir, en l’état de la jurisprudence actuelle que :

  • ne doit être pris en compte que la durée du mariage (à l’exclusion du concubinage précédent,
  • la durée du mariage s’entend jusqu’au moment ou le divorce est devenu définitif (donc comprend la durée de la procédure de divorce) et non jusqu’à la séparation des époux ou jusqu’à l’ONC
  • les biens propres (ou personnels) des époux doivent être pris en compte, y compris s’ils proviennent de donations ou héritage puisque l’on doit comparer les patrimoines
  • seul la situation présente ou prévisible doit être prise en compte donc les héritages futurs ne peuvent pas être pris en compte
  • les montants versés au titre du devoir de secours durant la procédure de divorce ne peuvent pas être pris en compte
  • tous les revenus doivent être pris en compte, y compris les indemnités qui compensent une incapacité de travail

formes de la prestation compensatoire

La prestation compensatoire est en principe sous forme de capital payé en une fois, à ce titre elle bénéficie d’un régime fiscal favorable, le bénéficiaire ne règle pas d’impôt sur la somme perçue et le débiteur a un avantage fiscal.

La prestation compensatoire peut aussi se faire par abandon d’un bien, d’un droit viager ou d’un usufruit étant précisé que si le bien concerné est un bien propre (personnel) de l’époux débiteur qu’il a reçu par donation ou héritage, il faut son accord (article 274 - 2° du code civil)

La prestation compensatoire peut exceptionnellement prendre la forme d’une rente viagère à condition que l’âge ou les conditions de santé du bénéficiaire ne lui permettent pas de subvenir à ses besoins. La jurisprudence est très ferme sur ce sujet et il faut notamment avoir passé l’âge de la retraite pour pouvoir espérer bénéficier de la rente viagère si aucun problème de santé grave ne vient le permettre avant.

Enfin la prestation compensatoire peut prendre une forme mixte, ce qu’a admis la Cour de cassation.

délai de règlement de la prestation compensatoire

Lorsque le débiteur n’est pas en mesure de verser le capital en une fois, l’article 275 du Code civil prévoit que le juge fixe les modalités de paiement du capital, dans la limite de huit années, sous forme de versements périodiques indexés selon les règles applicables aux pensions alimentaires.
Il convient de préciser qu’à l’amiable ce délai peut être plus long que huit années.

La prestation compensatoire est due dès que le divorce est définitif et le règlement ne peut pas être repoussée à la date de liquidation du régime matrimonial. Le non règlement est considéré comme un abandon de famille et est donc à ce titre un délit pénal.

Une "compensation" difficile à comprendre pour les époux

Pour l’époux bénéficiaire

Le mot compensatoire entraîne souvent l’époux bénéficiaire à vouloir une sorte de dédommagement pour telle ou telle difficulté connue au cours de la vie commune ou pour la perte d’une chance de carrière par exemple. Pourtant ce n’est absolument pas l’objet de la prestation compensatoire.

De même le désir de continuer à vivre avec les enfants dans des conditions conformes aux habitudes de la famille est souvent déçue. Il n’est pas question de prévoir un pourcentage du revenu de l’époux débiteur et il est impératif que cet époux puisse continuer à vivre dans de bonnes conditions.

De même, lorsque l’époux débiteur a une nouvelle famille, avec donc de nouvelles charges, l’époux bénéficiaire est souvent choqué de voir que ses droits sont réduits au profit de cette nouvelle famille.

Sans parler de la durée de la vie commune antérieure au mariage, parfois très longue, qui n’est pas prise en compte, ce qui peut aller jusqu’à priver totalement un conjoint de tout droit à prestation compensatoire si le mariage a duré très peu.

Pour l’époux débiteur

Pour l’époux débiteur et "victime" du divorce, c’est un sentiment de double peine qui prévaut. On doit lui expliquer que non seulement il est quitté mais qu’en outre il va devoir, sans tenir compte des fautes commises par son conjoint, lui verser une prestation compensatoire.

En outre si l’époux débiteur a eut la douleur de perdre jeune ses parents et donc d’hériter, il ne comprend pas pourquoi on doit prendre en compte son patrimoine y compris l’héritage alors que son conjoint va de façon évidente pour lui hériter (un jour) de ses parents d’un patrimoine bien plus important dont on ne peut tenir compte.

Lorsque les époux viennent de classes sociales ou économiques différentes, l’époux débiteur est particulièrement choqué de voir que du simple fait du mariage il doit à l’autre de l’amener à son niveau financier.

Lorsque l’époux bénéficiaire fait "durer" la procédure pour percevoir plus longtemps un devoir de secours (ou plus simplement pour embêter son conjoint), la conséquence est l’augmentation de la durée du mariage et donc des droits à prestation compensatoire, ce qui est à juste titre vécu comme une sorte de prime à la procédure particulièrement malsaine.

Des difficultés techniques et pragmatiques récurrentes

une aggravation de la crise entre époux

L’absence de tout élément objectif pour l’établissement du montant de la prestation compensatoire rend très difficile la discussion et ouvre la porte à tous les excès, tant des justiciables que des juges, de sorte que loin d’être pacifiée la procédure en est plus agressive et plus complexe.

une opacité dangereuse du patrimoine des époux

Comment évaluer efficacement une prestation compensatoire en ignorant tout de ce que donnera la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux ?

En effet, pour suivre les éléments de l’article 271 du Code civil, il faut évaluer le patrimoine de chacun des époux or lors de la fixation de la prestation compensatoire le régime matrimonial n’est pas encore liquidé et il faudra parfois des années pour qu’il le soit ensuite.
Se contenter de considérer un bien à sa valeur déclarée par les époux sans tenir compte de l’éventuelle fiscalité sur la plus-value est irréaliste.

De même que ne pas savoir si l’un des époux va demander à titre de récompense ou de créance entre époux une somme à l’autre, ce qui peut purement et simplement vider le patrimoine de l’un au bénéfice de l’autre.

Sans compter le calcul de l’indemnité d’occupation, sorte d’épée de Damoclès dont le débiteur ignore même le montant.

Enfin, quid de l’évolution des actions et autres placements financiers, ou du fait que la fiscalité de l’un des époux est obéré par le fait qu’il perçoit des fonds pour la communauté ou l’indivision.

un risque de condamnation pénale

La prestation compensatoire étant due la plupart du temps en capital et au jour ou le divorce est définitif, de nombreux époux pensent qu’elle pourra être payée au moment de la vente des biens communs (/indivis) or tel n’est pas le cas en réalité. On est donc dans une situation parfaitement léonine où l’époux bénéficiaire peut faire obstruction au partage tout en ayant la possibilité de porter plainte pour non paiement de la prestation compensatoire...

une somme inappropriée quand le régime matrimonial n’est pas liquidé

Le juge considère lorsqu’il fixe la prestation compensatoire, que le régime matrimonial sera liquidé "dans la foulée." Malheureusement ce n’est souvent pas le cas et une procédure contentieuse en la matière peut prendre des années.

Dans ces conditions, les époux peuvent se trouver dans des situations personnelles très difficiles qui n’ont absolument pas été envisagées par le tribunal.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif
Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 19 novembre 2018 à 21:17
    par Chevallier Bernard , Le 25 mars 2016 à 08:34

    Ayant divorcé en 1984, je dois payer une prestation compensatoire mensuelle jusqu’au décès de mon ex épouse, malgré des demandes de revision ou de suppression, aucunes modifications n’ont ete acceptees. Vous n’en parlez pas, est-ce que les modifications sont possibles, á ma connaissance non.

    • par Assas , Le 12 avril 2016 à 17:25

      Marie pendant 5 ans et divorce depuis 43 ans il me faut payer mensuellement et à vie cette "prestation"
      La loi de 2004 à mis fin à cette injustice

      mais rien n est fait pour la rendre rétroactive.
      C est le triomphe des profiteurs(ses) qui refont leurs vies mais pas leurs mentalités
      y peut on vraiment rien ?
      une action collective auprès des instances européennes ?

    • par COTTIN Jean François , Le 27 novembre 2016 à 16:42

      Bonjour,
      Comme ce Monsieur je verse une prestation compensatoire à mon épouse depuis notre divorce en date du 25/06/1993.
      J’arrive au terme de ma vie professionnelle,départ à la retraite le 1er Mai 2017,mon ex-épouse s’est remariée avec une personne rémunérée,moi même me suis remarié en Avril 1994,
      je verse toujours une prestation compensatoire de 1 268.83 Euros mensuels puis-je raisonnablement espérer une révision de cette prestation voir une annulation de celle-ci ?
      Je vous remercie de votre réponse ;
      Cordialement JF COTTIN

    • par KESSEDJIAN , Le 25 février 2018 à 11:52

      Je suis dans le même cas, en plus, lors du divorce, j’ai continué à régler les mensualités de la maison que nous avions acheté à l’époque en laissant non seulement l’usufruit de cette maison mais également la nue propriété à mon ex.

      Il y a t’il une chance qu’un jour nous ne soyons pas condamner à payer à vie ??? Même des prisonniers voient leur peine réduire !!

    • par Jean luc Moreau , Le 19 novembre 2018 à 21:17

      La prestation compensatoire peut elle être diminuée ?

  • par Kathryn Hembert , Le 3 juillet 2018 à 14:10

    Bjr mon ami viens de recevoir le jugement de divorce et doit régler à son ex femme 12000 eu de pension .2000 eu de dommage et intérêt et 230 eu par mois de pension Alimentaire en sachant que leur maison à été .be due la somme partagée et que madame à une maison achetée en son nom mais le temps de leur mariage..pour quoi une telle injustice.cette personne n a jamais voulu travailler.mon ami n a plus d argent il compte faire appel malgré tout est ce la solution et que va t il se passer si il ne peut pas payer..Merci beaucoup .

  • lorsque la Prestation compenstoire a été jugée versement en CAPITAL mais que pour "arranger" le débiteur elle est étalée sur six ans par exemple, la personne qui reçoit n’a pas droit à des "parts" comme pour une pension alimentaire, mais doit déclarer les sommes perçues annuellement aux impôts et paie des impôts sur ces sommes. En fait, vu la revalorisation de ces sommes pratiquement "nulles", c’est payer des impôts sur UN PRET pratiquement sans intérêt fait au débiteur !! cela entraine par la suite, le REVENU FISCAL DE REFERENCE des impôts plus important donc : conséquence sur Taxe d’Habitation, conséquence sur les aides pour Mutuelle, ou EDF ou autres...c’est INJUSTE. la Prestation compensatoire jugée en CAPITAL (mais échelonnée pour favoriser le débiteur) ne DEVRAIT PAS ETRE IMPOSABLE pour celui ou celle qui la reçoive.....comment faire changer les choses ? je ne sais ? merci

    • par monchicourt , Le 7 novembre 2017 à 09:55

      à l’opposé le débiteur devra , lui , payer des impôts sur des sommes versées à son ex-épouse alors qu’il ne bénéficie pas de cet argent....est-ce normal aussi ? Je ne le crois pas ! Dans ce genre de situation pénible chacun doit comprendre qu’on ne peut pas avoir le beurre , l’argent du beurre et la beurrière !

  • Mon ex-époux devait me verser une prestation compensatoire de 20.000€. La modalité de son versement était par 8 annuités de 2.500€ chacune. Au bout de 5 ans, Monsieur a décidé de son propre chef de lisser les 2.500€ sur 12 mois et l’annuité est ainsi devenue une mensualité. Je n’étais pas d’accord, car je préférais recevoir une annuité en fin d’année, l’occasion de pouvoir acheter des choses plus importantes que je ne pouvais pas faire autrement. Lors d’une inspection de la CAF, le versement mensuel d’un montant de 208€ a été constaté. Ce montant a été considéré comme un revenu régulier, or je l’avais déclaré comme il aurait dû être versé, soit comme une annuité.
    Pour le fisc, le versement de 2.500€ en une seule fois ou en 12 x 208€ ne change rien. Pour la CAF, cela change tout. N’ayant pas beaucoup de moyens, je déclarais mes revenus tous les trois mois par Déclaration trimestrielle à la CAF, qui ajustait mes droits en fonction des revenus. Ainsi, au lieu de tenir compte de l’annuité pour un trimestre (et supprimer tous les droits pour le trimestre suivant), la CAF les 208€ versés mensuellement a suffit pour supprimer tous mes droits sur plus de 2 ans. Après négociation, car pas de fraude constaté, la CAF a accepté de réduire le trop-perçu à 3.500€.

    Mon ex-époux aurait respecté les modalités de versement, j’aurais pu bénéficier des mes droits (APL, Prime d’activité) 9 mois sur 12 et non me trouver avec une dette importante. Résultat net de ce non respect du jugement ? Plus d’une annuité de perdue de fait.

    Est-il trop tard pour faire quelque chose ? Les faits remontent à 2013-15.

  • bonjour dois je donner une prestation compensatoire parceque jai toucher un heritage de maman en 2014 et jetais déjà plus avec elle depuis plus 2 ans .j ai meme etais me mettre sous curatelle car elle ma mis dans des probleme vu quand 2014 je tombe en retraite et me suis trouver a decouvert car jai payer impot des 2 cotes et que j etais déjà parti elle a fait d eclation que j etai tjr labas les.prelevement on etais .fait et j ai etais . a decouvert elle ma fait perdre de l argent car en 73 j avais des ..assurance a l agpm et elle a cacher les lettres de relance et puis tout tes perdu et depuis tres longtemps y avais plus rien mais vu que j etais mutter en ardeche vu que j etais douanier et que c est moi qui payer tout j allai pas dormir a l hotel en plus dans un type 5 et poiur sa quelle profite et des que j ai pu.partir pour boulot je suis parti j espere qu on m aider merci d avance

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