Quel fondement pour la plainte de Laurent Wauquiez ?

Par Alexandre Blondieau, Avocat.

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Explorer : # vie privée # enregistrement clandestin # droit pénal

Suite à la diffusion dans la presse de propos libres tenus lors d’un cours dispensé à des étudiants, Laurent Wauqiez a annoncé sa volonté de porter plainte... Mais sur quel fondement peut-il agir ?

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Suite à la diffusion publique de ses propos tenus devant des étudiants de l’EM Lyon, Laurent Wauquiez a d’annoncé un dépôt de plainte. Mais sur quel fondement juridique le Président des Républicains peut-il agir ?

Qui dit « plainte », dit droit pénal. Et il se trouve que l’article 226-1 du Code pénal punit justement d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.

Mais en l’espèce, point d’atteinte à la vie privée a priori. Les enregistrements de Monsieur Wauquiez ne révèlent pas d’éléments relevant de la sphère intime, ce que l’on peut comprendre lorsque l’on dispense un cours à des étudiants…

Cependant, la disposition suivante du Code pénal, l’article 226-2 prévoit qu’est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1.

Cet article n’exige donc plus une atteinte à la vie privée d’autrui, mais seulement que l’on ait conservé ou porté à la connaissance du public un enregistrement obtenu à l’aide d’un des actes prévus par l’article 226-1.

La cour d’appel de Paris a d’ailleurs indiqué que cette disposition ne faisait pas de distinction quant à la nature de l’enregistrement porté à la connaissance du public et qu’il n’y avait donc pas lieu de distinguer, dans une conversation, les paroles qui concernent la vie intime et les autres. La cour précisait encore que le texte était applicable dès lors que les paroles avaient été tenues dans un lieu privée et enregistrées sans le consentement de l’intéressé (Cour d’appel de Paris, 4 juillet 1990, Gaz Pal 1991. 2. 446).

En l’espèce, il y a bien une captation de paroles sans le consentement de leur auteur, Monsieur Wauquiez ayant demandé expressément aux étudiants de ne pas l’enregistrer.

Etait-on dans un lieu privé ? Il s’agissait d’une salle de cours, a priori réservée exclusivement aux étudiants de l’EM Lyon, et encore à certains étudiants sélectionnés sur lettre de motivation.

La jurisprudence nous apprend que le lieu privé doit être conçu comme un endroit qui n’est ouvert à personne sauf autorisation de celui qui l’occupe d’une manière permanente ou temporaire (Cour d’appel d’Aix en Provence, 9 janvier 2006, JCP 2007, IV. 1499).

On sait également que doit être au contraire, qualifié de public le lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque (Tribunal de Grande Instance de Paris, 23 octobre 1986, Gaz Pal, 1987. 1. 21).

Une salle de cours d’une grande école de commerce, composée d’étudiants triés sur le volet pourrait donc bien être qualifiée de lieu privé au sens de la jurisprudence.

Les conditions du délit pourraient donc être réunies et les responsables poursuivis après enquête mais le préjudice subi par l’intéressé sera difficilement réparé…

Alexandre BLONDIEAU
Avocat à la Cour
www.blondieau-avocats.com

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Discussion en cours :

  • par Benoît Van de Moortel , Le 22 février 2018 à 18:25

    La Cour de cassation a eu l’occasion, depuis la jurisprudence que vous citez, de se prononcer sur l’interprétation et l’application des articles 226-1 et 226-2 du code pénal, notamment à propos des enregistrements réalisés clandestinement au domicile de Mme Bettencourt et diffusés dans la presse.

    En particulier, par arrêt du 5 février 2014 (n° 13-21929), la 1ère chambre civile de la haute juridiction rejetait une demande de renvoi de QPC pour le motif suivant :

    « Et attendu, d’autre part, que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le droit de toute personne au respect de sa vie privée, inscrit à l’article 9 du code civil, puis déduit de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 par maintes décisions du Conseil constitutionnel, recouvre notamment l’usage précis que chacun fait des éléments de sa fortune, sauf son consentement établi à une divulgation, tandis que les articles 226-1 et 226-2 du code pénal, dispositions de droit commun et non de droit de la presse, loin de présenter une portée générale et absolue, laissant déjà hors de leur domaine les interceptions de conversations opérées à de strictes conditions légales par les autorités publiques en charge de la lutte contre le crime, régissent seulement la captation et la diffusion, par des particuliers et à l’insu de leur auteur, de propos relatifs à sa vie privée, et excluent de leur champ d’application toutes paroles étrangères à cet objet, fussent-elles tenues à titre privé et dans un lieu privé, à moins que leur interception clandestine, par leur conception, leur objet et leur durée, aient nécessairement conduit celui qui l’a mise en place à pénétrer délibérément dans la vie privée de la personne concernée … »

    La Cour de cassation opère bien la distinction et réintroduit la condition relative à la vie privée dans l’application de l’article 226-2 concernant l’utilisation qui est faite de l’enregistrement litigieux.

    Ainsi, même en considérant une salle de cours comme un lieu privé, on voit mal comment les propos tenus aux étudiants par le plaignant, sous prétexte d’enseignement mais relevant davantage de la propagande politicienne et de l’injure à l’encontre de diverses autres personnalités politiques françaises ou étrangères, pourraient se rattacher à sa vie privée.

    On voit mal également en quoi le procédé d’enregistrement utilisé lors de ce « cours » aurait nécessairement conduit son ou ses auteurs à pénétrer délibérément dans la vie privée de l’intéressé.

    On est quand même très loin des conversations au domicile de Mme Bettencourt, entre elle et son entourage, à propos de sa fortune et de ses états d’âme, enregistrées à son insu par son majordome.

    Benoît Van de Moortel
    Juriste

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