Quelles opportunités et quelles promesses de la legaltech pour le cyberespace OHADA ?

Raymond Yao
Chief Digital Officer chez JusTIC Legaltech
yraymondconstant chez gmail.com
https://www.linkedin.com/in/raymond-yao-7a541914a

Il est indéniable que les droits africains doivent faire le pari de la transformation numérique pour rattraper les fossés le séparant des autres systèmes. Avec l’application de la legaltech dans l’espace OHADA, deux questions seront abordées dans ce troisième article sur la série éponyme. La legaltech est-elle vraiment une innovation de rupture en Afrique ? Sera-t-elle l’objet de la démocratisation du droit et de la justice en Afrique ?

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Ce article n’aura pas la prétention de faire une étude exhaustive sur l’ubérisation et encore moins son impact juridique, tant il semble-t-il difficile de pratiquer cet exercice.
On n’apprendra à personne qu’Uber propose une application logicielle de réservation spécialisée dans le secteur du transport de personnes, secteur sur lequel Uber est loin d’opérer seule. En outre, l’application Uber a fait l’objet d’une déclinaison récente en Afrique de l’Ouest avec une variante de services juridiques disruptifs, ce qui tend à confirmer la nature originale et transversale de ce modèle économique : faciliter la mise en relation entre prestataires de services et utilisateurs finaux.

Peut-on dire vraiment que le droit peut-être « ubérisé » ? Pas vraiment, car l’ubérisation suppose l’usage des services de l’économie collaborative pour une mise en contact quasi-instantanée. Le terme à employer est celui de disruption ou « d’ubérisation des méthodes du droit ». En effet, nous sommes en présence de legaltechs qui occupent le marché du droit pour combler des insuffisances. La Legaltech n’est pas là pour pratiquer le droit (en finalité), mais pour apporter des outils permettant d’améliorer la pratique du droit (un moyen) [1]. Partant de ce constat, il faut s’interroger sur les enjeux de l’ubérisation des méthodes du droit par la legaltech. Une réflexion sur les opportunités et les promesses qu’offrent les innovations de la legaltech dans l’espace OHADA doit être mise en avant. Le marché du droit en ligne porté par les acteurs de la legaltech offre beaucoup de potentialités dans le cyberespace OHADA , et si une bonne application en est faite, elle pourra être le vecteur du renouveau de l’Etat de droit en Afrique.

Les opportunités d’un marché du droit en ligne en expansion

La legaltech apparait comme une innovation de rupture dans le monde du droit au point même d’en révolutionner le modèle économique tradtionnel.

La Legaltech ou la disruption face à l’offre de services juridiques inadaptée aux attentes des sociétés africaines

Le faible intérêt qu’ont les justiciables africains vis-à-vis de la sauvegarde et le respect de leurs droits dénote le fait que les services juridiques traditionnels ne satisfont pas totalement les attentes des consommateurs. Ces derniers les jugent onéreux, opaques et chronophages. En raisonnant sur l’exemple d’Uber et de la situation des taxis, il est bien clair que son succès par rapports aux taxis traditionnels vient du fait que ses services sont bien plus satisfaisants. Prenons aussi le cas des services financiers numériques tels qu’Orange, MTN et Moov, qui dominent largement les banques conventionnelles par ce qu’elles ont su répondre aux besoins financiers des populations à faible revenus et à faible taux de bancarisation, selon le Rapport annuel sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au titre de l’année 2021 [2].

Les Legaltechs qui souhaitent « disrupter » le paysage juridique africain tirent aussi des leçons sur l’insatisfaction du justiciable. Avec l’usage de ses services, il vous est garanti que votre société sera déclarée en moins de 48h, il vous est garanti que votre plainte sera enregistrée sans délai et sans bakchich, il vous est garanti que votre contrat sera finalisé à la fin du remplissage du formulaire et non quand le juriste aura le temps. En définitive, la disruption ne serait-elle pas la réponse idoine face à une offre de services juridiques hors-sol des réalités africaines ?

De plus, les services proposés par les plateformes de legaltechs offrent la possibilité d’utiliser l’intégralité des outils de nouvelles technologies. Cette particularité rend ces plateformes intéressantes avec la perspective d’une expérience utilisateur plaisante [3]. Elles se développent aussi grâce aux innovations techno-marketing afin d’être plus compatibles sur tous les types de terminaux (ordinateurs, tablettes et smartphones), ce qui en facilite l’usage. Rien de plus simple pour faire une consultation avec son avocat que de la faire au moyen d’une visio-conférence en un clic, au lieu de prendre un rendez-vous et se déplacer jusqu’au cabinet situé au centre-ville bouchonné.

Il est apodictique que la legaltech viendra fortement améliorer le marché du droit OHADA, pour pallier les insuffisances de celui-ci. Cette nouvelle doctrine répond à un nouveau besoin, celui semble-t-il de s’adapter à la consommation à l’ère du numérique.

La legaltech, une évolution des modes de consommation du droit

La transformation du droit apparaît comme l’une des manifestations d’un modèle économique beaucoup plus vaste, dénommé « économie collaborative » [4]. De plus, le grand public africain s’interroge davantage sur la transparence et la tarification des services juridiques. Il souhaite s’émanciper des pratiques inadaptées des acteurs traditionnels (avocats, huissiers et notaires). Ces professionnels sont les malheureux partisans historiques d’une économie libérale relativement incompatibles avec le marché africain et ses réalités.

En effet, la majorité des africains ( traçons de gros traits :) perçoit l’avocat avec l’image grégaire de celle du requin vénal offrant ses services à une élite corrompue. Le juge est vu comme un instrument de corruption. L’huissier est vu comme ce vautour rodant autour de la proie en agonie dans son désert économique. Le notaire, par son métier plus que confidentiel, quant à lui est lui perçu comme une personne dont il faut se méfier. Toutes ces perceptions hors sol des hommes de loi démontrent une seule et même chose : la réfraction que le grand public a envers la justice et le droit.

A la question de se demander si les opérateurs de la legaltech pourront permettre de créer un nouveau paradigme de l’image de la justice et du droit et, corolairement, de susciter le renouveau de la consommation de l’information juridique, laissons-nous aller à des hypothèses.

Le problème de la non-souscription des justiciable aux services juridiques vient d’une part du manque de faible pouvoir d’achat et d’une autre, d’un manque d’information générales. Si les legaltechs parviennent les premières à déterminer les besoins des justiciables africains en matière de droit et de services en ligne et qu’elles créent des offres à coût réduit, elles réussiront à « plateformiser » le marché du droit sur un espace numérique.

L’avantage de cette solution est l’ouverture d’un vaste marché avec d’innombrables segments de clientèle et la création d’un écosystème legaltechs / juristes à proprement parler. La communication entre ces derniers permettra de savoir quelles offres de services pourront être le monopole de chaque acteur du marché. Par exemple, un entrepreneur peut consulter une legaltech qui offre un package de services qui prend en compte les formalités d’enregistrement de sa startup. Si ce dernier a une préoccupation complexe ou que sa situation requiert un conseil personnalisé, il pourra être mis en relation avec un conseil juridique via la legaltech, et c’est alors le professionnel prendra le relais. « Finalement, ces plateformes apportent du business aux avocats, affirme Alexis Deborde, puisque des entrepreneurs qui n’auraient pas forcément pensé à consulter un avocat vont mieux comprendre leur problématique grâce à l’accès à l’information qui leur est donné, et prendre conscience que leur projet nécessite un conseil plus avisé. Cela ouvre un nouveau marché aux avocats. » [5].

Il est plus préférable de se mettre dans une logique de partenariat que dans celle d’une concurrence entre Legaltechs et professionnels du droit, car la concurrence serait improductive tandis que le partenariat ouvrirait un important marché et proposerait de nombreuses promesses.

Les promesses de la Legaltech sur le marché du droit africain

La legaltech apparaît comme une solution idoine dans le sens où celle-ci répond à des besoins exprimés à court terme et se place aussi comme l’objet de la démocratisation du droit et de la justice en Afrique à long terme.

La legaltech comme réponse immédiate aux besoins du marché africain

La Legaltech apparait comme une solution qui permettra à toutes les professions et classes sociales d’atteindre un but, celui de l’accomplissement de l’Etat de droit et de Justice. Elle présente à bien des égards une solution pour tous, aussi bien pour les opérateurs économiques et les professionnels du droit que pour le grand public africain.

1. La legaltech au secours des entreprises

Un marché inexploité existe à ce jour grâce aux particularités de l’Acte uniforme relatif aux sociétés : il s’agit de l’ensemble des TPE/PME ainsi que des entreprenants qui n’ont pas toujours les moyens financiers de recourir à un cabinet d’avocat d’externe ou à un juriste interne. La gestion du risque juridique est souvent mal connue et non prise au sérieux. Pour les entrepreneurs, l’avènement du droit OHADA se traduit dans cet état par le besoin d’accroître le développement économique régional en favorisant un sentiment de confiance des investisseurs [6]. L’accès pour les opérateurs économiques, à des services juridiques sont gage de sécurité financière dans leurs rapports au sein de leurs propres entreprises mais également dans leurs relations externes.

Ainsi, le recours à des services juridiques totalement dématérialisés ou à des cabinets d’avocats visionnaires ayant adapté leurs offres de services, deviendra de plus en plus ordinaire pour cette nouvelle génération d’entrepreneurs. Comme l’a préconisé l’UEMOA dans sa charte relative à la promotion et au financement des PME dans l’UEMOA , les Etats parties doivent « faciliter la formation des chefs de micro et petites entreprises qui se formalisent en vue de leur permettre de disposer d’outils de gestion simplifiés et leur faire bénéficier d’un suivi et d’un accompagnement pendant un an au moins. Tout ou partie des coûts de la formation, de l’accompagnement et du suivi devront être prises en charge par les Agences nationales de promotion des PME » [7].

2. La legaltech profit des métiers du droit et de la justice

Pour les professionnels du droit, la transformation numérique du droit constitue une importante clientèle à capter. D’autant plus que dans la plupart des pays de l’espace OHADA [8], les avocats n’ont pas le monopole du conseil juridique, ce qui met en confiance les Legaltechs de mise en relation clients et d’automatisation de documents. Cette situation permet de trouver de nouveaux clients et de les fidéliser. Grâce aux plateformes B2B [9], la Legaltech ouvre les vannes d’une manne importante de clientèle. Les juristes peuvent jouir d’un grand nombre de potentiels clients, en renforçant leur visibilité sur les plateformes numériques.

La visioconférence permet de maitriser les coûts. Elle permet au juriste de faciliter leurs méthodes de travail et de gérer leurs agendas avec beaucoup de clarté, ce qui a pour corolaire de générer de la performance. La numérisation des actes permet une sécurité juridique plus accrue [10] et le stockage des fichiers dans le cloud permet de s’affranchir des archives physiques sous la bannière de l’éco-responsabilité.

Enfin, la technologie permet aux juristes de s’affranchir des tâches chronophages et ennuyantes telles que la recherche documentaire et la rédaction d’actes simples. Le traitement automatisé permet de profiter d’une technologie qui a pour but de soulager les professionnels de la charge de travail en déléguant au maximum les tâches.

3. La legaltech à la rescousse du grand public africain

La technologie appliquée au droit facilite l’information juridique et la rend plus accessible et plus simple aux particuliers. Pour l’Homo africanus, l’acquisition du réflexe juridique représente toujours plus de sécurité [11]. Rendre le droit plus clair en simplifiant les procédures est l’une des plus belles choses offertes par la Legaltech. Grâce au Legal Design, les justiciables peuvent comprendre le droit et accomplir aisément des tâches juridiques primaires (rédaction d’un contrat de bail, d’un contrat de travail, etc.). Le propre de la legaltech est de générer des services sur mesure et personnalisés. Il ne sera plus obligatoire de se déplacer chez un notaire pour signer un testament ou chez un avocat pour créer sa SARL grâce à la signature électronique [12].

Enfin, avoir recours à un cabinet de recouvrement de créances pour des factures impayées devient obsolète grâce à l’intelligence artificielle. Une application permettra de générer automatiquement en fonction des échéances, des courriers électroniques de rappel aux éventuels retardataires.

Souvent appréhendée comme une menace pour un droit pas toujours sollicité, la Legaltech pourrait nous soulager de bien d’apories.

B. La legaltech, objet de la démocratisation du droit africain sur le long terme

Grâce à la croissance des économies africaines, il y a plus de motivation à inclure des technologies de pointe pour conduire l’ascension économique et social. La Legaltech a offrira de nombreux avantages : en permettant aux TPME de pouvoir sous-traiter les tâches du service juridique interne, en facilitant les démarches administratives complexes et chronophages, en réduisant des coûts, tout en étant efficace et rapide.

Cette évolution radicale et philosophique des services juridiques permettra à terme, aux populations d’avoir facilement recours à un professionnel du droit dans des situations où celles-ci n’osaient même pas consulter par peur des tarifs ou par méconnaissance du fonctionnement judiciaire. Les legaltech contribueront à la démocratisation du droit en le rendant plus accessible. Les entrepreneurs de la legaltech pourront réussir à réconcilier les particuliers et la justice, là où la profession est tenue en échec depuis de nombreuses années à cause de méthodes de travail hors-sol. La somme de l’accessibilité 24/24 des services et des tarifs réduits et transparents, le justiciable est placé au cœur de la stratégie commerciale des legaltech et cela le rassure.

A terme, grâce à l’effort combiné des institutions et des acteurs privés du droit, l’accès à la justice ne sera plus perçu comme un marqueur social mais plutôt comme une norme, un droit fondamental recouvré. La promotion d’une hygiène juridique permettra à nos sociétés africaines (longtemps en réfraction avec le droit et la justice) d’accéder à des sociétés plus développées sur le plan socio-économique. Le droit africain doit faire le pari de la transformation numérique pour rattraper les fossés qui nous séparent des autres continents.

L’hégémonie des legaltechs pose des préoccupations au niveau des professionnels du droit. Cette préoccupation soulève une autre plus pernicieuse qui est le déphasage des juristes africains aux enjeux du numérique.

Raymond Yao
Chief Digital Officer chez JusTIC Legaltech
yraymondconstant chez gmail.com
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[2Dans l’UEMOA, le taux de bancarisation strict a progressé de 0,8 point de pourcentage, passant de 17,2% en 2018 à 18,0% en 2019 et 19% en 2020. En 2020, le taux d’inclusion financière ou taux global d’utilisation des services financiers (TGUSF) a atteint 63,8% au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). C’est ce qu’a annoncé la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) dans son rapport 2021 sur l’inclusion financière dans la région. Quant au taux de bancarisation élargi (qui prend en compte le TBS, plus les utilisateurs des services de microfinance), il s’est quant à lui affiché à 78,5% au Togo, soit le plus fort taux devant le Bénin (72,2%), le Sénégal (52,0%) et le Burkina Faso (43,4%), pour une moyenne régionale de 39,7%.

[3Le terme UX (acronyme de l’anglais : User experience), expérience utilisateur, désigne la qualité de l’expérience vécue par l’utilisateur dans toute situation d’interaction. L’UX qualifie l’expérience globale ressentie par l’utilisateur lors de l’utilisation d’une interface, d’un appareil digital ou plus largement en interaction avec tout dispositif ou service. L’UX est à différencier de l’ergonomie et de l’utilisabilité (on parle alors de l’UX Design).

[4l’économie collaborative, au sens où l’entend la Commission européenne, a, en effet, un champ plus vaste que le phénomène de l’ubérisation, les « transactions réalisées dans le cadre de l’économie collaborative pouvant avoir un caractère lucratif ou non lucratif », alors que le phénomène de l’ubérisation est généralement associé à l’idée de rémunération tant de la plateforme, que du fournisseur du service, rémunération qui peut d’ailleurs s’opérer sous la forme d’un prix ou sous la forme de données personnelles ou non personnelles.

[6Gourouza Magagi Zeinabou Abdou, « La vente électronique dans les espaces UEMOA, CEDEAO et OHADA », (2014) 4 Revue de l’ERSUMA 11.

[7Cette charte s’inscrit dans le cadre du Programme d’action pour la promotion et le financement des PME dans l’UEMOA (PAPF-PME), qui a pour objectif de permettre aux entreprises de disposer d’un environnement favorable afin d’être plus compétitives. La charte comprend 45 articles portant notamment sur le cadre institutionnel de promotion des PME, les mesures d’accompagnement relatives à l’accès aux marchés publics, la fiscalité, l’innovation et la recherche.

[8République Démocratique du Congo, Bénin, Gabon, Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceux-ci

[9B2B (ou B to B) est une abréviation qui désigne l’ensemble des activités commerciales nouées entre deux entreprises. Le marché B2B concerne un nombre d’acteurs plus limité que celui du grand public et fait donc davantage appel à la personnalisation des produits ou des prestations.

[10AUSCGIE, art. 133-1, 256-2 et 456 ; lire aussi G.M. Zeinabou Abdou, préc., note 6.

[11P.-G. Pougoué et Y. Kalieu, préc., note 93, p. 146 et 147 ; Jean Gatsi, « La protection des consommateurs en matière de contrats à distance dans la directive du 20 mai 1997 », D. 1997.1378.

[12V. RTD Civ. Dématérialisation des actes judiciaires : le mouvement s’accélère – Blandine Mallet-Bricout – RTD civ. 2019. 671

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