Le rapport d'evaluation de la commission : fin annoncée d'un regime specifique à l'automobile ? Par Patrice Mihailov, Avocat

Le rapport d’evaluation de la commission : fin annoncée d’un regime specifique à l’automobile ?

Par Patrice Mihailov, Avocat

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Explorer : # distribution automobile # réglementation # concurrence # consommateurs

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La Commission a produit son Rapport d’évaluation sur l’application du règlement n° 1400/2002. Contre toute attente, l’analyse est très sommaire. Le document se présente plutôt comme une préparation des esprits à l’intégration de la distribution automobile au régime général et à la fin d’une exemption spécifique.

Le moment est pourtant choisi, de faire le point sur le respect des conditions de l’exemption, telles qu’elles sont énoncées par le Traité instituant la Communauté européenne, à savoir, l’amélioration de la distribution, le bénéfice d’un profit équitable pour le consommateur, l’absence de restrictions non indispensables et l’impossibilité pour les parties d’éliminer la concurrence.

L’amélioration de la distribution

a) L’institut LONDON ECONOMICS, missionné par la Commission, a relevé qu’une rationalisation des réseaux avait été entreprise, permettant de réaliser des économies d’échelles, tout en facilitant le contrôle de leur réseau par les constructeurs. L’auditeur a toutefois précisé, que ce mouvement avait été amorcé avant l’entrée en vigueur du règlement n° 1400/2002 et que les avantages supposés n’étaient pas étayés par les chiffres.

A l’examen, les données compilées témoignent de ce que les entreprises de distribution n’ont pas profité des économies d’échelle attendues de leur concentration et ont au contraire enregistré une dégradation de leur rentabilité, à mesure qu’elles augmentaient en taille.

b) Depuis une quinzaine d’années, les constructeurs se sont appliqués à réduire progressivement la rémunération des distributeurs, qui ont entrepris de compenser la réduction de leur marge par l’augmentation de leur chiffre d’affaires. C’est là pour l’essentiel, que se trouve l’origine du mouvement de concentration des distributeurs.

L’influence du règlement s’est faite sentir ailleurs. En tentant d’imposer un modèle de distribution sélective multimarque, la Commission a entamé les prérogatives des constructeurs relatives au contrôle de leur réseau. En réponse, les constructeurs ont élevé le niveau des investissements exigés de leur distributeurs, de manière à décourager les initiatives multimarques, autant que les candidatures non désirées.

Cette double contrainte – réduction de la rémunération et augmentation des charges – est la cause de l’accélération du mouvement de concentration observé par l’institut LONDON ECONOMICS.

La réduction du nombre des points de vente qui en résulte (en France, baisse de 36 % entre 2002 et 2004 ; rapport LONDON ECONOMICS, p. 37), accompagnée d’une moindre réduction du nombre des ateliers agréés (rapport LONDON ECONOMICS, p. 139), constitue une régression sensible des avantages retirés de la constitution de réseaux agréés. On se souvient pourtant qu’il n’y a pas si longtemps, le maillage des réseaux était au cœur des préoccupations de la Commission (considérant n° 4 du règlement n° 1475/1995) : il ne l’est manifestement plus.

Le profit réservé aux consommateurs

a) La concentration des réseaux de distribution a entraîné l’émergence de groupes de distribution multimarques, capables d’imposer une discipline de prix à l’échelle régionale et de priver le consommateur de la possibilité qu’il avait jusque-là, de mettre en concurrence des distributeurs voisins. La Commission a bien voulu l’admettre, imputant à tort cette évolution à la faculté reconnue au distributeur de céder son affaire à autre membre du réseau sans l’accord du concédant (Rapport d’evaluation, p. 14).

b) La Commission se flatte d’une réduction des écarts de prix observés dans les différents Etats membres (Rapport d’évaluation, pp. 4-7).

En réalité, la différence des tarifs demeure très élevée et augmente parfois : si l’on considère les données compilées par la Commission elle-même, elle atteint près de 33 % sur une PEUGEOT 207 (http://ec.europa.eu/comm/competition/sectors/
motor_vehicles/prices/2008_04_b.pdf).

En outre, la Commission oblitère commodément le fait que depuis plusieurs années, les constructeurs ont entrepris de rémunérer leurs distributeurs sur la base d’un système de marge variable, aux termes duquel la remise fixe est désormais réduite au minimum, tandis que l’essentiel de la rémunération est accordé au travers de remises conditionnelles.

En contrôlant plus étroitement la rémunération de leurs distributeurs, les constructeurs augmentent leur marge dans les pays où ils entendent pratiquer des prix de détail faibles (très remisés par rapport au tarif) et la réduisent dans ceux où ils détiennent une part de marché importante et où ils entendent pratiquer des prix élevés (pas de remise possible sur le prix tarif).

En parallèle, les constructeurs ont compromis le développement de l’activité des mandataires, notamment en soumettant les distributeurs à l’obligation de livrer eux-mêmes les véhicules aux utilisateurs finals et en proposant aux mandataires les plus importants, de leur vendre directement des véhicules des véhicules neufs.

Les importations parallèles sont ainsi parfaitement contrôlées, pour n’exister que dans une mesure marginale et ne pas remettre en cause la segmentation géographique du marché européen.

En pratique, les consommateurs européens ne profitent donc pas des écarts de prix (pas plus que les distributeurs, qui pourraient recourir de la même manière aux mandataires).

c) La Commission a reconnu que la mise en œuvre du règlement n° 1400/2002 avait entraîné une augmentation des coûts de distribution : "(…) la quasi totalité des associations nationales de concessionnaires (…) ont fait valoir que l’entrée en vigueur du REC pourrait expliquer les importantes modifications apportées aux normes contractuelles, et certaines associations estiment à 20 % environ la hausse des coûts qui en résultent pour les concessionnaires" (Rapport, p. 16) ; "(…) le REC a peut-être poussé les constructeurs automobiles à réagir (…) en adoptant des normes de sélection plus strictes, ce qui peut avoir incité les concessionnaires à réaliser de plus gros investissements pour une marque particulière, et entraîné ainsi une augmentation globale des coûts de distribution" (Rapport, p. 5).

Le coût des structures de distributions exigées par les constructeurs, est finalement supporté par les consommateurs, dans une mesure qui n’est pas justifiée par une contrepartie utile puisque l’essentiel des dépenses est mobilisé par le développement de l’image de marque.

Les restrictions non indispensables

L’exemption des accords de distribution est admise à la condition que les restrictions de la concurrence n’excèdent pas la mesure nécessaire à l’obtention des avantages retirés de l’organisation de réseaux.

Cette condition est généralement négligée par les constructeurs, qui sont animés d’une logique différente et retiennent non sans réalisme, que tout ce qui n’est pas puni est autorisé.

Ainsi, les contrats intègrent généralement des clauses restreignant la liberté commerciale du distributeur, qui ne sont nullement nécessaires à l’amélioration de la distribution.

Un exemple de ces clauses peut être trouvé dans l’obligation faite aux distributeurs de disposer d’une solution informatique "globale".

On conçoit facilement la légitimité d’une liaison télématique reliant les terminaux du constructeur et de chaque distributeur du réseau, permettant d’organiser la prise de commande, le suivi de la production, la livraison et le paiement des véhicules ou des pièces et plus généralement, la gestion du compte ouvert dans les livres du constructeur.

Les contrats en usage dans la plupart des réseaux vont beaucoup plus loin et font obligation au distributeur d’acquérir les équipements et logiciels désignés par le constructeur, qui sont également destinés :
- à enregistrer dans sa totalité et en détail la comptabilité du distributeur, le moindre mouvement de caisse, l’organisant selon le plan comptable défini par le constructeur en fonction de critères propres ;
- à accueillir le fichier client du distributeur, ainsi que le suivi détaillé de son activité commerciale, tant dans le secteur de la vente que de l’après-vente ;
- le système fonctionnant en réseau avec le constructeur, qui profite de remontées d’informations quotidiennes et d’un accès en temps réel à l’ensemble des informations.

Profitant de ces données, le constructeur peut désormais réduire la rémunération de son distributeur à la mesure strictement nécessaire à son équilibre, identifier les achats réalisés par le distributeur auprès d’autres fournisseurs, de même qu’il peut s’approprier le fichier client de son distributeur et le cas échéant, le mettre à disposition d’un concurrent.

Il convient d’ajouter que dans la mesure où ce système a vocation à régir l’entreprise dans la moindre de ses activités, son existence même suffit à faire obstacle à la représentation d’une marque concurrente dans la même structure.

Cet aspect de la relation constructeur/distributeur n’est pas explicitement régi par le règlement.

Tout juste a-t-il fait l’objet d’une communication de la Commission (http://ec.europa.eu/comm/competition/sectors/motor_vehicles/legislation/faq_fr.pdf), dont la portée juridique est pratiquement nulle et qui est à ce point sibylline, qu’aucun constructeur ne s’est senti enclin à renoncer à la moindre de ses prétentions dans ce domaine.

L’élimination de la concurrence pour une partie substantielle des produits

a) La Commission s’est préoccupée de l’adoption par les constructeurs d’accords de distribution similaires :

"Par ailleurs, il n’est pas impossible que l’on assiste, à l’avenir, à une prolifération des réseaux d’accords monomarques parallèles couvrant une partie substantielle du marché et empêchant l’arrivée de nouveaux entrants" (Rapport d’évaluation, p. 5).

Le règlement n° 1400/2002 était conçu dans le but précisément de régénérer le marché par l’entrée de nouveaux acteurs et le développement de nouvelles formes de distribution. Hormis l’émergence de la réparation indépendante, l’application du règlement n’a cependant donné lieu à aucune évolution notable, si ce n’est le puissant renforcement de la position tenue par les réseaux officiels.

b) Il convient d’ajouter que si la concurrence intermarque est aujourd’hui très vive (ce constat étant fait sous la réserve du cloisonnement persistant du marché européen), la concurrence intramarque est pratiquement inexistante. Les raisons en sont essentiellement les suivantes.

En premier lieu, le système de marge variables est conçu de telle manière que le concessionnaire ne peut pas prendre le risque d’acheter des véhicules à meilleur compte à l’étranger, sans s’exposer à des sanctions financières rédhibitoires.

Ce système de rémunération a encore le mérite de réduire la possibilité pour le distributeur d’accorder à ses clients des remises qui l’engageraient dans une concurrence par les prix avec le reste du réseau.

En second lieu, dans le courant des années 1990, les constructeurs ont entrepris de constituer des plaques régionales de distribution, plaçant sous le contrôle d’un seul opérateur, des points de vente jusqu’alors concurrents.

Cette stratégie, mise en œuvre en même temps que l’introduction des marges variables, a nécessairement eu un impact négatif sur la concurrence intramarque.

Enfin, force est de constater que les mandataires n’ont pas étendu leur action aux transactions entre concessionnaires de même marque établis dans des Etats membres différents, alors que les écarts de prix justifiaient le développement de cette activité.

Sur ces constatations, les conditions de l’exemption ne paraissent pas satisfaites. A qui la faute ?

L’incrimination du règlement lui-même

La Commission incrimine l’existence d’un règlement spécifique : "(…) les règles spécifiques du REC peuvent avoir été contre-productives dans certains cas. (…) il semble donc que les dispositions du REC qui s’écartaient des principes généraux dérivés de la jurisprudence des juridictions européennes et qui sont actuellement reflétées dans le règlement n° 2790/1999 de la Commission peuvent, (…) être considérées comme excessivement strictes, trop complexes et/ou superflues" (Rapport d’évaluation, p. 14).

Pour illustrer son propos, la Commission fait valoir que :

- le dispositif reconnaissant aux concessionnaires la liberté d’ouvrir des points de vente et de livraison sans l’accord du concédant "(…) s’est révélé presque totalement inefficace" (Rapport d’évaluation, pp. 6, 7, 16) ;

- l’obligation de motiver la résiliation du contrat serait inutile : "(…) l’enquête de la Commission n’a pas permis d’identifier un seul cas dans lequel l’obligation de communiquer les raisons justifiant la décision de résiliation (…) a permis à un juge ou un arbitre de déterminer que le préavis avait en réalité été donné pour sanctionner un comportement proconcurrentiel" (Rapport d’évaluation, p. 12) ;

- la possibilité de céder librement la concession à un autre distributeur du réseau serait également vaine, voire nuisible : "l’objectif fixé n’a pas été atteint, et le REC a probablement entraîné, au contraire, une concentration des concessionnaires dans certaines zones locales, ce qui pourrait créer à l’avenir des problèmes pour les autorités de concurrence nationales" (Rapport d’évaluation, pp. 12, 14) ;

- les "(…) contraintes de nature réglementaire destinées à favoriser les contrats de sous-traitance pour les services de réparation, (…) ainsi que, dans une certaine mesure, le multimarquisme", "(…) n’ont pas apporté les améliorations attendues" (Rapport d’évaluation, p. 16).

Curieusement, la Commission ne propose aucune explication à l’échec de ces dispositions : elle n’en cherche pas. En réalité, la règle n’est pas en cause : c’est la volonté de l’appliquer qui fait défaut.

La mise en œuvre laxiste du règlement

a) Madame Neelie KROES a précisé que la Commission avait pris très au sérieux les plaintes des distributeurs des réseaux GM et BMW, ajoutant que la position de la Commission à l’égard des critères de sélection était désormais très claire (discours du 25 Septembre 2006).

Force est de constater cependant, que ces plaintes n’ont suscité aucune sanction et que les constructeurs concernés ont été admis à négocier l’amendement de leur contrat, dans des conditions d’ailleurs parfaitement opaques.

A cette occasion, la Commission s’est abstenue de critiquer la mise en œuvre des solutions informatiques globales mises en œuvre dans les réseaux GM et BMW, qui n’ont pas d’autre objet que de contrôler le comportement commercial et l’initiative concurrentielle des distributeurs, se bornant à préciser que "(…) les concessionnaires n’étaient pas tenus de divulguer les informations commerciales confidentielles relatives à d’autres marques au moyen de ces systèmes de communication d’information" (IP/06/303 du 13 Mars 2006).

En pratique les constructeurs peuvent donc s’affranchir des conditions d’exemption posées par le règlement et n’encourent au pire, que le risque de devoir faire amende honorable.

b) L’exemple du préavis de résiliation est à cet égard parfaitement édifiant.

Anticipant les purges qui accompagnent habituellement le changement de règlement d’exemption, la Commission avait indiqué dans sa Brochure explicative, que la nécessité invoquée au soutien de la mise en œuvre du préavis réduit à un an, devait présenter un caractère objectif et vérifiable.

Lors de l’entrée en vigueur du règlement 1400/2002, les constructeurs ont pratiquement tous résilié leurs contrats sous préavis réduit à un an, sans jamais justifier de la nécessité objective d’une réorganisation dans l’urgence.

Dans le cadre des litiges suscités par ces mesures, la Commission a renié la position exprimée lors du renouvellement de son règlement, s’exposant d’ailleurs aux critiques de la Cour de Justice :

"Sans faire mention de la conception qu’elle a défendue auparavant dans ses brochures, la Commission défend un autre point de vue dans ses conclusions écrites, à savoir que la nécessité d’une réorganisation dépend exclusivement de l’appréciation subjective du fabricant, qui serait soustraite à un contrôle juridictionnel plus approfondi" (conclusions GEELHOED, Audi c/ Skandinavisk Motor) ; "(…) Cette thèse qui, en ce qui concerne la Commission, diffère de celle proposée par cette dernière dans sa réponse à la question 68 de la brochure explicative relative au règlement n° 1400/2002, ne saurait être admise" (arrêt CJCE du 7 Septembre 2006, Audi c/ Skandinavisk Motor).

En ce qu’il affecte la crédibilité du règlement d’exemption, le comportement de la Commission, est directement à l’origine de son inefficacité.

c) Le Commissaire en charge de la concurrence, Madame KROES, qui a été membre du Conseil de surveillance de VOLVO GROUP jusque en 2004, a exprimé la nouvelle approche de la Commission dans des termes que n’auraient pas renié les constructeurs : "J’ai de la sympathie pour ceux qui se plaignent des exigences plus strictes et plus coûteuses pour les distributeurs. Mais c’est un problème d’ordre commercial, et les articles 81 et 82 du Traité ne confèrent pas à la Commission le pouvoir d’aplanir les inégalités de puissance de marché entre parties contractantes" (discours du 25 Septembre 2006)

Dans cet esprit, la Commission précise sans ambiguïté, que le règlement d’exemption n’a pas vocation à prévenir ni régler les litiges entre les parties, renvoyant ces dernières à la négociation d’un code de bonne conduite "facultatif" : "(…) dans leur grande majorité, ces plaintes informelles ne portaient pas sur de véritables problèmes de concurrence, mais plutôt sur des différends commerciaux inter partes" (Rapport d’évaluation, p. 15) ; "(…) il peut se révéler avantageux pour l’ensemble des parties de se mettre d’accord sur un code de bonnes pratiques facultatif définissant une procédure d’arbitrage pour le règlement des litiges relatifs aux obligations contractuelles, ainsi que sur des normes minimales en matière de bonne foi et de confiance légitime dans le cadre des relations contractuelles entre les parties" (Rapport d’évaluation, p. 12).

Il faut se souvenir pourtant, que pendant près de vingt ans, la Commission a expliqué que l’emprise contractuelle des constructeurs pouvait affecter le comportement concurrentiel des distributeurs et qu’à ce titre, le contenu des contrats devait être encadré : "L’article 5 paragraphe 2 fait dépendre l’exemption de la clause de non-concurrence et de l’exclusivité de marque d’autres conditions minimales visant à empêcher qu’en raison de telles obligations le distributeur devienne par trop dépendant, économiquement, du fournisseur et renonce a priori à des actions concurrentielles qu’il peut en soi entreprendre, au motif qu’elles iraient à l’encontre des intérêts du constructeur ou d’autres entreprises du réseau" (règlement n° 123/85, considérant n° 17 – le même considérant est repris pour l’essentiel, dans le règlement n° 1475/95).

La Commission estime désormais qu’elle n’aurait pas à régir le contenu des contrats et "(…) qu’un règlement simplifié davantage fondé sur les effets serait plus efficace (…)" (Rapport d’évaluation, p. 15).

C’est oublier qu’aux termes mêmes de la délégation accordée à la Commission par le règlement n° 19/65, le règlement d’exemption a précisément pour objet de définir "les restrictions ou les clauses qui ne peuvent pas figurer dans les accords", ainsi que "les clauses qui doivent figurer dans les accords ou les autres conditions qui doivent être remplies".

L’avenir de l’exemption, selon le projet de la Commission

La Commission envisage de ne pas reconduire le règlement d’exemption spécifique à l’automobile, pour faire entrer ce secteur dans le champ du règlement général : "La Commission conclut qu’un régime plus flexible, s’inspirant davantage des principes généraux applicables aux restrictions verticales actuellement intégrées dans le règlement n° 2790/1999, aurait assuré un niveau équivalant de protection de la concurrence (…)" (Rapport d’évaluation, pp. 16, 17).

Cette perspective, que la Commission détaille dans le Rapport d’évaluation, conduirait la suppression des dispositifs visant notamment à :
- protéger la représentation multimarque en limitant les obligations d’achat et en permettant la distribution de marques différentes dans un même hall d’exposition (Rapport d’évaluation, pp. 5, 6) ;
- permettre l’ouverture de points de vente ou de livraison supplémentaire : la "clause d’essaimage" (Rapport d’évaluation, pp. 6, 7, 12) ;
- imposer la disponibilité de l’ensemble des véhicules de la gamme produite par le constructeur (Rapport d’évaluation, p. 7) ;
- ouvrir l’accès des réparateurs indépendants aux informations techniques (Rapport d’évaluation, p. 8) ;
- permettre aux distributeurs d’acheter des pièces d’origine aux équipementiers directement (Rapport d’évaluation, p. 11) ;
- permettre aux concessionnaires de céder librement leur affaire à un autre distributeur du réseau (Rapport d’évaluation, p. 12) ;
- obliger les constructeurs à motiver la résiliation (Rapport d’évaluation, p. 12) ;
- imposer un préavis de résiliation de deux ans dans les contrats à durée indéterminée (Rapport d’évaluation, p. 11) et une durée minimale de cinq ans pour les contrats à durée déterminée (Rapport d’évaluation, p. 12).

Le projet de la Commission est parfois justifié par des considérations surprenantes, qui ont dû laisser perplexes nombre de distributeurs :

"On peut supposer que même en l’absence des dispositions concernées du règlement, nombreux seraient les constructeurs à conclure des contrats autorisant le multimarquisme lorsque cela se révèle judicieux d’un point de vue commercial" (Rapport d’évaluation, p. 5).

"(…) il semble peu probable qu’un constructeur automobile choisirait de réagir au comportement proconcurrentiel d’un concessionnaire en menaçant de l’expulser de son réseau" (Rapport d’évaluation, p. 12).

"(…) il ne serait pas dans leur intérêt [l’intérêt des constructeurs] d’encourager l’instabilité et les stratégies à court terme au sein des réseaux, étant donné qu’ils doivent pouvoir s’appuyer sur des concessionnaires loyaux désireux de consentir d’importants investissements" (Rapport d’évaluation, p. 12).

"(…) il peut se révéler avantageux pour l’ensemble des parties de se mettre d’accord sur un code de bonnes pratiques facultatif (…)" (Rapport d’évaluation, p. 12).

L’inadéquation du règlement général

a) Conformément aux dispositions de l’article 3.1. du règlement n° 2790/1999, la distribution sélective quantitative est exemptée "(…) pour autant que la part de marché n’excède pas 30 % (…)" (Lignes directrices sur les restrictions verticales, point 186).Dans la mesure où ce seuil s’appliquerait dans l’avenir à la distribution automobile, le groupe PSA (PEUGEOT et CITROEN) serait contraint de distribuer désormais ses véhicules au travers d’un réseau purement qualitatif et ouvert à n’importe quel investisseur.

Dans ces conditions, l’abaissement du seuil aurait probablement pour effet de susciter un nouveau durcissement des critères de sélection et un encadrement plus strict encore, de la rémunération des distributeurs.

Il aurait sans doute pour autre effet de conduire le constructeur à filialiser les points de vente les plus importants. Considérant l’efficience économique très médiocre des succursales en comparaison des concessions traditionnelles, on ne manquera pas d’observer sur ce point encore, une nette régression du modèle de distribution.

Il faut ajouter que les réseaux PEUGEOT et CITROEN sont entièrement composés de distributeurs exclusifs. Or, dans le cadre du règlement 2790/1999 et compte tenu du seuil de 30 %, cette exclusivité ne serait plus exemptée et entrerait dans le champ de l’interdiction des ententes verticales.

b) L’application du régime général aurait également pour effet – et c’est sans doute là le plus grave – de compromettre définitivement la représentation multimarque.

Dans le cadre du règlement n° 2790/1999 et à la différence notable du règlement n° 1400/2002, le constructeur ne perd pas le bénéfice de l’exemption lorsqu’il oblige le concessionnaire dans les termes d’une obligation d’achat qui représente la totalité de son chiffre d’affaires.

Dans ce cas, l’exclusivité de représentation qui en découle est encore aggravée par le défaut d’exemption des accords conclus pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée supérieure à cinq ans.

Ce qui signifie que l’exclusivité de représentation s’accompagnerait d’une précarité contractuelle, qui nous renvoie aux contrats à durée déterminée d’un an, que les concessionnaires connaissaient avant l’adoption du règlement n° 123/85 et qui sont encore largement en usage aujourd’hui dans le secteur du deux roues (régi par le règlement 2790/1999).

Etant observé que si l’obligation d’achat n’excède pas 80 % du chiffre d’affaires annuel, l’engagement du concessionnaire ne s’analyse pas en une obligation d’exclusivité.

Il est pourtant assez clair que la représentation d’une marque concurrente ne peut pas être cantonnée à une part aussi résiduelle de l’activité du distributeur et qu’en pratique, il sera contraint de facto de limiter son activité à la représentation d’une marque exclusivement.

La perspective inespérée d’un régime aussi libéral, s’accorde pourtant mal des dispositions de l’article 6 du règlement n° 2790/1999, qui prévoient le retrait du bénéfice de l’exemption dans le cas où l’effet cumulatif des contrats (a fortiori s’agissant de contrats d’exclusivité ou de quasi exclusivité) aurait pour effet de restreindre l’accès au marché.

Par ailleurs, dans ces hypothèses, on voit bien que la liberté proclamée d’acquérir des pièces d’origine ou de qualité équivalente auprès des équipementiers directement, sera désormais très réduite, pour ne pas dire complètement anéantie.

c) Enfin, l’intégration du secteur de l’automobile au régime du règlement général d’exemption, aurait encore pour effet de rétablir la possibilité pour les constructeurs de mettre en œuvre une distribution à la fois sélective et exclusive (s’agissant là de l’exclusivité territoriale).

Perspective surprenante, si l’on considère que dans la Brochure explicative du règlement n° 1400/2002, la Commission défendait une politique exactement inverse, précisant que son nouveau règlement s’articulait notamment autour de "(…) l’interdiction de la combinaison entre distribution sélective et distribution exclusive (…)" (Brochure explicative, p. 12).

Dans le schéma du règlement général cependant, la combinaison n’est possible qu’à la condition d’autoriser les ventes actives hors zone, ce qui limite en principe les effets de la restriction de concurrence.

L’exclusivité territoriale n’est généralement pas regardée comme une menace par les distributeurs, qui y trouvent une forme de protection de leurs investissements, dont il faut sans doute rappeler qu’ils sont sans équivalent dans la distribution, tous secteurs confondus. Et le fait de réserver la possibilité de ventes hors zone n’enlève pas tout son intérêt au dispositif, dans la mesure où la garantie demeure, qu’aucun distributeur concurrent ne viendra s’installer sur le territoire concédé.

Il reste que dans un avenir dominé par les groupes de distribution, la question de posera nécessairement du maintien d’une concurrence intermarque suffisante, sur des marchés locaux où l’essentiel des marques seront représentées par des distributeurs exclusifs monomarque, appartenant à un nombre restreint d’opérateurs.

La réforme souhaitable

En envisageant de renoncer purement et simplement à l’encadrement du secteur de la distribution automobile, la Commission s’engage non seulement à renier le travail accompli depuis 1985, mais en aggravant le déséquilibre entre constructeurs et distributeurs, ouvre la porte à des excès qui peuvent réduire la concurrence, affecter les prix de détail et augmenter la mortalité d’entreprises dans la distribution.

Autant d’inconvénients qui paraîtront peut-être négligeables, comparés aux dangers présentés dans l’immédiat par la crise financière et économique, les nécessités liées à la protection de l’environnement et l’émergence de concurrents chinois et indiens, que les constructeurs européens n’ont pas convenablement anticipés et qui les exposent sans aucun doute à des restructurations douloureuses.

La prévalence manifeste de ces dernières considérations explique pourquoi a Commission ne s’appesantit pas sur les causes de l’inefficacité alléguée du dispositif réglementaire, s’engageant d’emblée dans le développement d’un programme de soutien plus ou moins adroit à l’industrie automobile.

Les conséquences de la tolérance manifestée depuis des années à l’égard des pratiques mises en œuvre dans ce secteur sont pourtant préoccupantes.

La concurrence intramarque est aujourd’hui pratiquement nulle : au sein d’un même réseau, la concurrence par les prix n’existe pas, de même que sont insignifiantes les ventes croisées entre distributeurs d’Etats membres différents.

La dépendance des distributeurs est complète et assujettit de la même manière les petits concessionnaires et les plus grands groupes, les uns et les autres prenant la mesure de la précarité de leurs investissements : combien de groupes ont osé reprendre des affaires sans l’agrément du constructeur ?

Le marché de l’automobile est fermement verrouillé : quelle part y ont pris les mandataires ou les acteurs de la grande distribution ?

Cette évolution n’a pas renforcé les constructeurs mais les a fragilisés, en les détachant progressivement du marché réel et en leur permettant d’évoluer dans un environnement artificiellement protégé, au sein duquel les clients ne sont pas les consommateurs mais les distributeurs, avec cet avantage extraordinaire que les constructeurs décident du volume d’achat des premiers, à défaut de pouvoir agir aussi efficacement sur les seconds.

Le repli brutal de la conjoncture, dont les conséquences promettent d’être durablement aggravées par la révolution technologique qui accompagne les changements climatiques, sonne comme un incontournable rappel à la réalité (qui n’est pas sans analogie avec les difficultés rencontrés dans le secteur bancaire).

La Commission, qui propose aux constructeurs de continuer à s’affranchir des lois du marché, en augmentant substantiellement leur maîtrise des débouchés, n’a pas pris la mesure du problème. En fragilisant davantage la distribution et en acceptant la réduction constante de ses effectifs, la Commission prend le risque d’affecter finalement la demande et par voie de conséquence, l’activité des constructeurs eux-mêmes.

Ainsi, l’essor de la réparation indépendante a profité de l’éviction des agents de marque, tandis que la pénétration des marques asiatiques s’est appuyée sur les points de vente abandonnés par les constructeurs européens, à l’occasion de restructurations successives.

Dans ces conditions, la Commission – dont le rôle n’est pas de décider quel secteur d’activité doit être favorisé aux dépens de tel autre – doit s’attacher à restaurer l’autonomie de la distribution et s’employer à définir les contours d’un règlement spécifique qui dénoue les trois principales entraves à son action efficace, que sont :
- l’importance excessive des investissements, qui connaissent une invraisemblable inflation, à mesure que la compétition se déplace de la qualité des produits vers l’image de la marque, et que la menace d’entrants se fait sentir ;
- le contrôle abusif de la rémunération, en pratique imprévisible et largement discrétionnaire ;
- enfin et surtout, l’accès que les constructeurs se sont aménagés à l’ensemble des informations comptables et commerciales des distributeurs, à tous égards illégitime et injustifiable.

Patrice MIHAILOV

Avocat

patricemihailov chez wanadoo.fr

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