Dans le souci de favoriser le travail indépendant en mettant en œuvre « une fluidification des parcours, une meilleure protection du travailleur indépendant, un cadre plus propice au rebond, un accès plus simple à la formation, une simplification de la transmission et une reprise d’entreprise », le législateur a adopté une loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante. Le constat est saisissant, les entrepreneurs n’utilisent pas suffisamment les outils juridiques mis à leur disposition pour leur protection. Ces outils juridiques se résument à la faculté de créer les sociétés unipersonnelles, la déclaration notariée d’insaisissabilité , l’adoption du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée et le dernier outil né est l’insaisissabilité de droit de la résidence principale avec la loi Macron de 2015.
Partant de là, le législateur a fait le choix d’introduire un nouveau statut de l’entrepreneur individuel avec la loi du 14 février 2022. En termes simples, l’ambition de ce texte est de protéger l’entrepreneur contre-lui-même en lui imposant une protection sans qu’il ait à satisfaire une autre obligation que de s’immatriculer. La quintessence de ce statut réside dans la séparation de droit de deux patrimoines de l’entrepreneur, une sorte de scission patrimoniale entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel.
Le premier est composé de « biens, droits, obligations et sûretés » de l’entrepreneur « utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes ». Le second est un patrimoine par défaut, il est composé d’éléments non compris dans le patrimoine professionnel.
En théorie, seul le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est engagé vis-à-vis des créanciers professionnels ; en d’autres termes les créanciers « dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel ». Le patrimoine personnel demeure pour l’instant protégé. Il n’est pas nécessaire de faire la moindre déclaration ou démarche administrative ou informative à l’égard des créanciers. Dès l’immatriculation de l’entrepreneur individuel s’opère automatiquement une division patrimoniale.
Cependant, cette mesure de protection présente, en pratique, une limite avec la possibilité pour l’entrepreneur individuel de renoncer à cette dichotomie patrimoniale entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sur demande écrite d’un créancier (nouvel article L.526-25 du Code commerce).
A titre illustratif, un établissement de crédit est en mesure d’obtenir la réunion du patrimoine individuel et du patrimoine professionnel de l’entrepreneur. Pour ce faire, il lui suffit de conditionner l’octroi du crédit sollicité à la réunion des patrimoines.
Cette faculté de renonciation constitue, à notre avis, une faiblesse pour cette loi et peut être un obstacle dans l’atteinte de l’ambition affichée. En effet, cette faiblesse s’est aperçue avec la loi Macron posant l’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur. Il est apparu dans le cadre des procédures faillites, beaucoup d’entrepreneurs sortent de la protection qu’offre la loi Macron en donnant en hypothèque leur résidence principale.
Quid de l’agriculteur dans tout ça ? L’activité agricole telle que posée à l’article L. 311-1 du Code rural est une activité indépendante. Par conséquent, ce nouveau statut juridique de l’entrepreneur individuel est aussi et surtout fait pour l’agriculteur. A défaut de constituer une structure sociétaire, il doit se l’approprier pour se protéger des créanciers, mais aussi contre lui-même. A fortiori, l’agriculteur n’ayant plus le choix, avec la disparition actée de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
Enfin, la crise actuelle a davantage exposé les travailleurs indépendants aux risques économiques inhérents à leurs activités (pertes de revenus non compensées, charges fixes à assumer malgré une activité à l’arrêt ou fortement réduite), le statut de l’entrepreneur individuel apparaît se montre comme le cadre juridique le plus approprié pour se prémunir de ces risques.