Recours gracieux et procédure disciplinaire : la Cour de cassation fixe les limites.

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Explorer : # procédure disciplinaire # recours gracieux # droit du travail

La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 mars 2025 [1], s’est prononcée sur les exigences de forme et de délai applicables aux décisions prises par l’employeur à l’issue d’un recours gracieux formé par un salarié contre une sanction disciplinaire.

Cette décision apporte d’utiles précisions sur l’articulation entre les dispositions légales du Code du travail et les procédures conventionnelles spécifiques, notamment dans le secteur des industries électriques et gazières.

-

1. Les spécificités de la procédure disciplinaire dans les industries électriques et gazières.

1.1. Le cadre juridique applicable.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, une salariée cadre d’une société d’économie mixte d’électricité avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave.

La procédure disciplinaire était encadrée par le Code du travail mais également par la circulaire PERS.846 du 16 juillet 1985 applicable au personnel des industries électriques et gazières.

Cette circulaire prévoit pour les salariés sanctionnés la possibilité d’exercer un recours gracieux.

Pour les cadres, une sous-commission de discipline est saisie, rend un avis, et sur cette base, l’employeur prend une décision sur le recours, conformément au paragraphe 32 de la circulaire.

1.2. Le déroulement de la procédure en l’espèce.

La chronologie des événements était la suivante :

  • Entretien préalable le 14 février 2013 et licenciement pour faute grave notifié le 7 mars 2013.
  • Recours gracieux formé par la salariée le 30 mars 2013.
  • Examen du recours par la sous-commission de discipline le 7 octobre 2014 et notification de l’avis à l’employeur le 17 novembre 2014.
  • Décision de l’employeur maintenant la sanction adressée à la salariée le 23 décembre 2014.

La salariée contestait son licenciement en reprochant notamment à l’employeur de n’avoir pas respecté le délai légal d’un mois entre l’avis de la sous-commission et la notification de la décision sur le recours gracieux.

2. Les solutions dégagées par la Cour de cassation.

2.1. Sur le délai applicable à la notification de la décision prise après recours gracieux.

La salariée invoquait l’application de l’article L1332-2 du Code du travail qui prévoit qu’une sanction disciplinaire doit être notifiée dans un délai maximal d’un mois après l’entretien préalable [2].

La Cour de cassation considère que ce délai légal ne s’applique pas à la décision prise par l’employeur dans le cadre d’une procédure statutaire de recours gracieux, confirmant ainsi sa jurisprudence antérieure sur l’autonomie des procédures conventionnelles [3].

Elle précise que l’article L1332-2 du Code du travail concerne uniquement la sanction prononcée dans le cadre de la procédure disciplinaire de droit commun, correspondant à la "première phase de la procédure disciplinaire" selon la circulaire PERS.846.

Par conséquent, aucune disposition n’imposait à l’employeur de respecter un nouveau délai d’un mois à compter de l’avis de la sous-commission de discipline pour notifier sa décision sur le recours gracieux.

2.2. Sur la motivation de la décision prise après recours gracieux.

La salariée soutenait également que l’employeur n’avait pas suffisamment motivé sa décision de maintien de la sanction à la suite du recours gracieux, se contentant de renvoyer aux motifs énoncés dans la lettre de licenciement initiale.

La Cour de cassation rejette également ce grief, prenant ainsi une position différente de celle adoptée dans un précédent arrêt concernant un agent non cadre [4].

Elle relève que la lettre de licenciement du 7 mars 2013 comportait bien l’énoncé des motifs invoqués par l’employeur, conformément à l’article L1232-6 du Code du travail, et qu’il "n’est justifié d’aucune disposition imposant à l’employeur de reprendre cet énoncé dans sa décision relative au recours gracieux" [5].

3. Portée et implications de la décision.

3.1. Distinction entre procédure disciplinaire légale et conventionnelle.

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de décisions antérieures distinguant clairement ce qui relève de la procédure disciplinaire légale et ce qui relève de la procédure disciplinaire conventionnelle [6].

Il convient de ne pas confondre les règles applicables à la procédure initiale de sanction avec celles qui encadrent les recours internes prévus par les dispositifs conventionnels.

3.2. Autonomie des procédures de recours gracieux conventionnelles.

La Cour affirme l’autonomie des procédures de recours gracieux conventionnelles par rapport aux dispositions légales du Code du travail, dans la continuité de sa jurisprudence sur le point de départ du délai de prescription de l’action en contestation du licenciement [7].

Cette solution respecte l’économie générale des procédures de recours gracieux qui, dans leur logique inspirée du droit administratif, constituent une possibilité supplémentaire offerte au salarié de contester une sanction, sans suspendre ses effets.

3.3. Conséquences pratiques pour les employeurs et les salariés.

Pour les employeurs, cette décision apporte une sécurité juridique bienvenue en confirmant qu’ils ne sont pas tenus de respecter le délai d’un mois prévu à l’article L1332-2 du Code du travail pour notifier leur décision prise après un recours gracieux.

Pour les salariés relevant de statuts spécifiques prévoyant des recours internes, il importe de bien distinguer les règles applicables à chacune des phases de la procédure et de ne pas transposer automatiquement les dispositions légales du Code du travail aux mécanismes conventionnels de recours.

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1Cass. soc. 12 mars 2025, n° 23-14.011 FS-B.

[2C. trav., art. L1332-2.

[3Cass. soc. 22 juin 2011, n° 10-14.542.

[4Cass. soc. 7 novembre 2007, n° 06-42.988, Bull. 2007, V, n° 184.

[5Cass. soc. 12 mars 2025, n° 23-14.011 FS-B.

[6Cass. soc. 5 mai 1999, n° 97-40.701.

[7Cass. soc. 8 septembre 2021, n° 19-22.251.

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