L’obligation de sécurité des centres commerciaux : "Lincoln" à la poursuite de l’escalator.

Par Alexandre-M. Braun, Avocat.

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Explorer : # responsabilité civile # sécurité des centres commerciaux # accidents d'escalator # indemnisation des victimes

Dans quelle mesure un magasin est-il responsable d’une chute subie par un de ses clients ? La diffusion de « Lincoln, à la poursuite du bone collector » par TF1 donne l’occasion de répondre à cette question posée par un des romans à l’origine de la série.

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Ce mardi 11 mai 2021, TF1 commence la diffusion de la série Lincoln : à la poursuite du Bone collector. Il s’agit de l’adaptation de romans policiers écrits par Jeffery Deaver, consacrés aux enquêtes de Lincoln Rhyme, ancien policier devenu tétraplégique, génie de l’analyse des scènes de crimes (Si ces thrillers sont d’une qualité inégale, certains sont excellents. L’auteur de ces lignes recommande la lecture du Singe de pierre, qui se déroule dans le milieu des migrants asiatiques clandestins à New-York, et de The kill room, hélas non traduit en français, qui réussit la gageure de ne pas être manichéen alors qu’il est consacré aux assassinats ciblés commandités par le gouvernement américain).

Cette série nous donne l’occasion de réfléchir aux aspects juridiques des récits originaux, et notamment de l’un d’entre eux, The steel kiss, qui n’est pas disponible en français (le titre signifie littéralement « Le baiser d’acier »).

Cet opus commence par une problématique qui n’est, dans le fond, qu’une question de responsabilité civile. Dans un centre commercial, le panneau supérieur d’un escalier mécanique se dérobe sous les pieds d’un client. Ce dernier chute, est happé par le moteur, et meurt dans de terribles conditions.

L’avocat de la famille de la victime demande alors [1] son aide au personnage principal. Il explique en effet que les incertitudes sur les causes du dysfonctionnement de l’escalator l’empêchent d’identifier le tiers responsable et complexifient, ou à tout le moins retardent, le processus d’indemnisation.

Qu’en serait-il en droit français ? La victime d’un accident d’escalator peut-elle facilement identifier un responsable ?

La Cour de cassation a périodiquement l’occasion de se pencher sur de telles questions. Le dernier état de sa jurisprudence sur les accidents d’escaliers mécaniques date de 2003. En l’espèce, une voyageuse avait été heurtée et renversée par une valise lâchée par une personne non identifiée alors qu’elle se trouvait sur un escalator de la gare Montparnasse. La Cour d’appel de Paris avait exonéré la SNCF de toute responsabilité, excipant du fait que l’escalator fonctionnait normalement et que l’accident avait pour origine le fait d’un tiers.

La Cour de cassation, se fondant sur la responsabilité du fait des choses [2] casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, estimant que, dès lors que l’escalator en mouvement était au moins pour partie l’instrument du dommage, le fait d’un tiers ne peut en totalité exonérer le gardien de l’escalier mécanique qu’à la condition d’avoir été à l’égard de ce dernier imprévisible et irrésistible (Cass 2eme civ, 13 mars 2003, n°01-12.356).

Pour le dire très simplement, la SNCF (ou un centre commercial) est bien gardien de l’escalier mécanique fonctionnant dans ses locaux et, en principe, responsable d’un accident subi sur cet équipement en mouvement.

La responsabilité d’un centre commercial, du fait d’un accident survenu du fait d’une chose inerte est plus difficile à actionner.

La Cour de cassation estime en effet que

« la responsabilité de l’exploitant d’un magasin dont l’entrée est libre ne peut être engagée, à l’égard de la victime d’une chute survenue dans ce magasin et dont une chose inerte serait à l’origine, que sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du Code civil, à charge pour la victime de démontrer que cette chose, placée dans une position anormale ou en mauvais état, a été l’instrument du dommage » [3].

Pour synthétiser :
- Si le client d’un centre commercial est victime d’un accident causé par une chose inerte, il lui appartient de démontrer une anomalie de ladite chose (position anormale, mauvais état) pour engager la responsabilité du magasin,
- Si le client d’un centre commercial est victime d’un accident causé par une chose en mouvement (singulièrement, un escalator), le magasin est en principe responsable, sauf à démontrer que l’accident a été causé par le fait d’un tiers, imprévisible et irrésistible.

En définitive, le droit français apparaît plus protecteur que le droit américain, dans sa version fictionnelle présentée par Jeffery Deaver - qui est potentiellement pertinente : l’auteur est un ancien avocat - pour l’indemnisation d’une victime d’accident d’escalator. Du moins en ce qui concerne le principe de l’indemnisation, les quanta attribués outre-Atlantique étant classiquement plus généreux.

Reste une problématique, posée dans The steel kiss, et qui est universelle : celle du temps judiciaire, quand bien même des procédures d’urgence permettent aux victimes d’obtenir des provisions sur indemnisation dans des délais raisonnables.

Alexandre-M. BRAUN
Avocat à la Cour
https://braun-avocat.com

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[1Chapitre 6.

[2Alors régi par l’article 1384 du Code civil, devenu l’article 1242.

[3Cass 1ere civ, 9 sept 2020, n°19-11.882, Responsabilité civile et assurance 2020, commentaire 201, note Anaïs Hacene.

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