La responsabilité pénale du dirigeant et de sa société dans le cas de blessures involontaires.

Par Manon Vialle, Juriste.

4799 lectures 1re Parution: 4.94  /5

Explorer : # responsabilité pénale # sécurité des machines # lien de causalité # obligation de prudence

Par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 27 février 2018, n°16-87.147, la Haute juridiction s’est prononcée sur la responsabilité pénale d’une société et de son dirigeant suite à une faute non intentionnelle.

-

Le cadre de la responsabilité pénale d’une société et de son dirigeant suite à une faute non intentionnelle a été précisé par la Cour de cassation.

Reprenons les faits : Une fillette de 2 ans qui accompagnait sa mère à la bergerie pour donner le biberon à un agneau, a eu son bras sectionné par la mangeoire mécanisée pour les moutons.
La société X qui a conçu la machine agricole, son gérant ainsi que la compagnie d’assurance de la société ont été reconnus coupables «  de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité ». La société X a été condamnée à une peine de 20 000 euros d’amende et le gérant à une peine de 10 000 euros d’amende avec sursis. Ils ont également été condamnés à indemniser les parties civiles.
Les défendeurs ont formé un pourvoi en cassation pour contester le lien de causalité entre le dommage et la victime.

1. L’obligation particulière de prudence ou de sécurité dans le cadre du travail

Selon la définition donnée par l’article R. 4311-4-1 du Code du travail, une machine est « un ensemble équipé ou destiné à être équipé d’un système d’entraînement autre que la force humaine ou animale appliquée directement, composé de pièces ou d’organes liés entre eux dont au moins un est mobile et qui sont réunis de façon solidaire en vue d’une application définie ». Les juges ont donc logiquement considéré que la machine agricole qui a causé les blessures de l’enfant constituait un équipement de travail puisqu’elle formait un outil utilisé par l’éleveur pour nourrir ses animaux.

Les machines doivent également être sécurisées comme le soulignent la Directive du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 ainsi que le Code du travail (Annexe I à l’article R4312-1) : « les machines doivent par construction être aptes à assurer leur fonction, à être réglées, entretenues sans que les personnes soient exposées à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par la notice d’instructions  ; que les mesures prises visent à supprimer les risques pour la sécurité ou la santé durant la durée d’existence prévisible de la machine, y compris les phases de montage et de démontage, même dans le cas où les risques d’accidents résultent de situations anormales prévisibles  ; que selon ses points 1.3.7. et 1.3.8, les éléments mobiles de la machine doivent être conçus et construits de manière à éviter les risques de contact qui pourraient entraîner des accidents ou, lorsque les risques subsistent, doivent être munis de protecteurs ou de dispositifs de protection  ».

Or, en l’espèce, il n’y avait pas de dispositifs de protection sur la mangeoire. La Cour de cassation ajoute qu’ « en sa qualité de concepteur et de constructeur de matériel agricole, la société ne pouvait qu’avoir connaissance des exigences de sécurité requises en la matière et avoir conscience des risques que générait l’absence de toute protection de parties mobiles potentiellement dangereuses ».
Par conséquent, le gérant de la société n’a pas respecté les dispositions légales et règlementaires. Son comportement a conduit à la violation « manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité » et a engagé sa responsabilité pénale ainsi que celle de la société, personne morale.

Pour rappel, l’article 121 - 3 al 3 et 4 CP dispose : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

2. Le lien de causalité entre le dommage et la victime non salariée

Revenons à l’argument avancé par la société et son gérant lors du pourvoi en cassation : l’absence de lien de causalité entre le dommage et la victime.
Ils précisaient que l’utilisateur de la machine agricole et la victime n’étaient pas salariés de la société et qu’ils ne pouvaient donc pas mettre en avant les dispositions du Code du travail pour obtenir leur condamnation et la reconnaissance de leurs préjudices physiques et psychologiques. La Cour de cassation a refusé la remise en cause de l’engagement de la responsabilité pénale en démontrant que l’élément imprévisible de cet accident ne pouvait être soulevé et que les dispositifs de protections règlementaires concernent « tous ceux qui sont susceptibles de se trouver à proximité » de la machine et non pas seulement les salariés.

3. Le lien de causalité entre le dommage et la violation des règles de sécurité et de prudence

Enfin, la Haute juridiction s’est prononcée sur un autre argument apporté par les demandeurs au pourvoi. Ils remettaient en cause le lien de causalité entre le dommage et la violation des règles de sécurité et de prudence du fait de la faute de la victime qui n’a pas surveillé suffisamment l’enfant pour l’empêcher d’approcher son bras de la machine. Les juges ont pour la première fois mis en avant la notion de « comportement humain aisément prévisible ». Ils ont réfuté l’argument avancé par les demandeurs car la présence d’un enfant sur les lieux d’une exploitation agricole familiale est prévisible et aurait dû être anticipée lors de la conception de la machine avec la mise au point d’une protection adéquate.

La Cour de cassation a, par conséquent, débouté la société et le dirigeant de leurs demandes et a confirmé la responsabilité pénale des deux personnes morale et physique.

Manon VIALLE, Avocat

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

72 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs