Hormis qu’il s’agisse d’un coup classique, l’affaire avait fait l’objet d’une expertise judiciaire, pour chiffrer les malfaçons, et l’expert de déclarer que le syndic de l’époque « intervenait en tant que syndic et aussi en tant que maître d’œuvre ». Sur cette déclaration, le syndicat des copropriétaires avait engagé une action en responsabilité civile professionnelle à l’égard dudit syndic et avait vu sa demande rejetée par la cour d’appel qui estimait qu’il n’avait pas manqué à son devoir de conseil étant donné l’absence d’obligation légale de mandater un maître d’œuvre dans ce type de travaux. Dont acte ! La Cour de cassation n’a pas infirmé ce raisonnement mais a en revanche considéré que la cour d’appel avait commis un défaut de base légale en ne prenant pas en compte que
« le syndicat des copropriétaires invoquait des manquements dans le suivi des travaux et dans les paiements faits à l’entreprise, et sans constater que le syndic avait accompli toutes les diligences lui incombant dans la gestion des travaux » [1].
Que faut-il comprendre de cette décision ? Eh bien que le syndic est non seulement un professionnel de la gestion et de l’administration immobilière mais également un sachant dans le domaine de la construction. Cette affirmation doit tout de même être nuancée. Ce que dit la Cour de cassation en novembre 2023 est que, certes, le syndic n’a pas l’obligation de recourir à un maître d’œuvre de conception ou de suivi d’exécution lorsque cela ne lui est pas imposé légalement, toutefois, s’il s’en dispense, il doit être en mesure de suivre le chantier et d’en assurer le bon déroulement.
En réalité, cette sévérité à l’égard des syndics, dans le cadre d’opérations de construction, n’est pas nouvelle. Par exemple, il est de jurisprudence constante qu’un syndic engage sa responsabilité lorsqu’il ne signale pas à l’assemblée générale des copropriétaires l’obligation de souscrire une assurance dommage-ouvrage [2], ou encore, qu’il s’abstient d’assigner les constructeurs dans le délai de la garantie décennale alors qu’aucune autorisation de l’assemblée n’était nécessaire, une assignation en référé interruptive de ce délai [3]. Il faut alors retenir une extrême vigilance du syndic qui, outre son devoir de gestion, doit également se prévaloir d’un rôle de conseil. Ainsi, pour éviter l’engagement de sa responsabilité, se doit-il en connaître les contours et savoir s’en prémunir… surtout en l’absence d’accompagnement d’un professionnel du bâtiment.
- La responsabilité du syndic à défaut de maître d’œuvre : la problématique de la responsabilité du syndic est une base du droit de la copropriété. Tout d’abord, cette responsabilité est à distinguer de celle du syndicat des copropriétaires qui découle de l’article 14 de la Loi du 10 juillet 1965 et se caractérise par l’absence de faute, en ce qu’elle est de plein droit dès lors que les désordres proviennent d’une partie commune. A contrario, la responsabilité du syndic nécessite donc la preuve d’une faute et rejoint le champ des responsabilités dites « du professionnel ». Ainsi, cette responsabilité est assimilée à celle d’un mandataire [4], et fondée sur les fautes de gestion du syndic dans le cadre de la mission qui lui est impartie de gestion, d’administration et de conservation de l’immeuble [5]. Il convient de noter que cette responsabilité peut être engagée par le syndicat, mais également par un copropriétaire ou même un tiers qui établirait, sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle de droit commun, que son préjudice a été causé de manière causale par la faute du syndic [6].
Lorsque l’on considère que la responsabilité du syndic est de type « professionnelle », cela permet de distinguer deux catégories de fautes : celles afférentes à sa mission et celles afférentes à sa qualité. Pour les fautes afférentes à sa mission, comme évoqué, le syndic est tributaire de devoirs particulièrement définis et détaillés aux termes de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Aussi, un manquement dans l’accomplissement de l’un d’entre eux est susceptible d’engager sa responsabilité. A titre d’exemple évident, un syndic qui n’exécute pas de manière diligente les décisions d’assemblée générale met en cause sa responsabilité [7]. En matière de construction, par exemple, il a été largement admis la faute du syndic qui ne procède pas à la déclaration de sinistre à l’assureur multirisques de l’immeuble [8]. De même, le syndic engage également sa responsabilité en outrepassant ses pouvoirs, notamment lorsqu’il entreprend des travaux sans autorisation de l’assemblée générale [9], ou encore, en faisant réaliser des travaux non conformes à la décision de l’assemblée générale [10].
La responsabilité du syndic peut également être attachée à sa qualité même de professionnel. Il faut savoir que depuis longtemps la loi et la jurisprudence réglementent une obligation de nature juridique pesante sur certaines catégories professionnelles pour assurer un équilibre dans les relations contractuelles entre le particulier, profane, et le professionnel, sachant. De ce fait, un vendeur immobilier aura pour contrainte d’informer précisément son client sur certains aspects de la vente et du bien vendu. De la même manière, le syndic se doit d’informer les copropriétaires sur l’administration de l’immeuble. Or, il arrive que cette obligation d’information tire vers un devoir de conseil. En ce sens, en matière de copropriété, il a été reconnu la responsabilité du syndic qui n’alerte pas les copropriétaires sur le caractère illégal d’une décision que se proposait de prendre l’assemblée générale [11]. En matière de construction, il a aussi été considéré que le syndic commettait une faute en ne préconisant pas le recours à un maître d’œuvre pour la conception et pour la réalisation de travaux sur des façades d’immeuble [12].
Jusqu’alors, toutes ces obligations de conseil et d’information découlaient des connaissances même requises pour le professionnel. Même celle qui impose au syndic de conseiller sur le recours à un maître d’œuvre parait appropriée compte tenu de sa mission de gestionnaire d’une copropriété. En revanche, dans sa décision de novembre 2023, la Cour de cassation est allée plus loin. Elle attribue au syndic une mission de « suivi des travaux », soit de sachant de la construction et non de la copropriété. Or, ce type de connaissances est généralement attribué à un architecte ou à un bureau d’étude. En conséquence, cette décision amène à penser qu’un syndic qui ne se fait pas accompagner d’un maître d’œuvre dans le suivi d’exécution des travaux, devra se doter de connaissances en construction pour éviter tout contentieux ultérieur. A défaut, il aura tout intérêt à faire intervenir un maître d’œuvre. Cependant, cette intervention à un coût et elle ne se justifie pas forcément pour des travaux d’importance moindre. Quid si la copropriété refuse l’engagement du maître d’œuvre ? Cela permettrait-il de dédouaner le syndic par la suite ? La cour ne répond pas sur ce point mais il est à penser que le refus exprès d’une assemblée générale puisse exonérer le syndic de cette responsabilité.
- La responsabilité du syndic en présence d’un maître d’œuvre : il est certain que la présence d’un architecte, d’un bureau étude, doit décharger le syndic d’une responsabilité au titre de la conception ou du suivi d’exécution des travaux. Ceci étant dit, ce dernier n’est pas exempté de toute obligation et se doit de revenir à celles qui lui incombent en sa qualité de gestionnaire immobilier, telles que définies dans l’article 18 de la Loi du 10 juillet 1965. Ainsi, pour l’espèce évoquée dans l’arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 2023, il est indubitable que le syndic a commis une faute en continuant de verser des acomptes à une entreprise qui ne présentait pas des caractéristiques de viabilité et qui laissait présager un abandon de chantier et des malfaçons. En revanche, sur le choix même de la réalisation du chantier, sur ses modalités d’exécution, la présence d’un professionnel du bâtiment doit, en principe, soulager le syndic de cette responsabilité. D’autant que ces professionnels du bâtiment ont aussi un devoir d’information et de conseil dans leur domaine de connaissance. A titre d’exemple, en application de l’article L111-1 du Code de la consommation, l’architecte est tenu d’une obligation précontractuelle d’information. A cet effet, il se doit de mettre le consommateur en mesure d’apprécier les « caractéristiques essentielles du bien ou du service ». Cela signifie que le devoir de conseil de l’architecte est large et ne s’arrête pas qu’à la nature stricte du projet. Il se doit de prendre en compte les caractéristiques environnementales, administratives et mêmes juridiques. Un défaut d’exécution dans les travaux pourra donc lui être imputable, plutôt qu’au syndic.
Cette responsabilité du professionnel du bâtiment est évidement essentielle pour le syndic qui ne peut maitriser un champ de compétence aussi vaste. Dans l’arrêt du 16 novembre 2023, il doit également être considéré que la faute du syndic est d’autant plus recherchée que l’entreprise responsable du défaut d’exécution des travaux a disparu du fait de sa liquidation.
Toutefois, qu’en est-il si l’entreprise est encore en vie ? A mon sens, le syndic aura tout intérêt à mettre en cause ce prestataire qui, en sa qualité de professionnel, a aussi une obligation de conseil vis-à-vis du syndic, peu importe la présence ou non d’un maître d’œuvre. Aussi, une action récursoire est avec certitude à envisager pour un syndic qui n’aurait pas été assisté d’un maître d’œuvre d’exécution. Pour le reste, l’évolution du métier de syndic doit inciter à la réflexion quant à sa formation sur les notions de construction…